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Brissot : Sur l'Empereur et le traité de 1756

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Message  Vogesus Sam 10 Juil 2010 - 21:21

Discours de J.-P. Brissot, député de Paris, sur la nécessité d'exiger une satisfaction de l'Empereur et de rompre le traité du 1er mai 1756, prononcé le 17 janvier 1792, à l'Assemblée

Archives parlementaires : Tome XXXVII (p. 464 et s.)
Bibliothèque de la Chambre des députés : Collection des affaires du temps, Bf-in8° 165, tome 149, n°18


Le masque est enfin tombé ; votre ennemi véritable est connu : l'ordre donné au général Bender vous apprend son nom ; c'est l'empereur. Les électeurs n'étaient que ses prête-noms, les émigrants n'étaient qu'un instrument dans sa main. Vous devez maintenant mépriser les émigrants ; c'est à la haute cour à venger la nation de la révolte de ces princes mendiants. (Applaudissements dans les tribunes.)
Cromwell força la France et la Hollande à chasser Charles. Une pareille persécution honorerait trop les princes ; saisissez leurs biens et abandonnez-les à leur néant. (Applaudissements.)
Les électeurs ne sont pas plus dignes de votre colère ; la peur les fait prosterner à vos pieds. (Applaudissements.)
Plusieurs membres sortent de la salle.
Cependant leur soumission peut n'être qu'un jeu ; mais qu'importe à une grande nation cette hypocrisie de petits princes ? L'épée est toujours dans nos mains, et cette épée doit nous répondre de leur bonne conduite pour l'avenir.
Votre ennemi véritable, c'est l'empereur ; c'est à lui, à lui seul que vous devez vous attacher ; c'est lui que vous devez combattre. Vous devez le forger à rompre la ligue qu'il a formée contre vous, ou vous devez le vaincre. Il n'y a pas de milieu ; car l'ignominie n'est pas un milieu pour un peuple libre. (Applaudissements.)
L'empereur est votre ennemi ; il vous en a donné des preuves. Il cherche ou à vous attaquer ou à vous effrayer. Une guerre ouverte est moins dangereuse que cette guerre sourde. Vous devez donc provoquer une satisfaction qui mette un terme à ces inquiétudes dispendieuses. Si vous devez être attaqués, il vous convient de prévenir ; si l'on veut vous amuser, vous ne devez pas vous endormir ; si l'on ne tend qu'à vous forcer, par la terreur, à une capitulation indigne de vous, il faut réaliser ce que vous avez tant juré : la Constitution ou la mort. (Applaudissements.)
La mort ! elle n'est pas à craindre.
Examinez votre position et celle de l'empereur; prenez conseil des principes et de votre force. La force vous vengera, les principes vous absoudront. Il ne faut pas vous dissimuler, Messieurs, la nature de la haine de vos ennemis. Notre Constitution est un anathème éternel à tous tes trônes absolus. Tous les rois doivent haïr notre Constitution ; elle fait leur procès ; elle prononce leur sentence ; elle semble leur dire à chacun : Demain tu ne seras plus, ou tu ne seras roi que par le peuple.
Cette vérité, Messieurs, a retenti au fond du cœur de Léopold. Il a cherché à en reculer le fatal moment, et telle est la cause secrète de sa haine pour la nation française, de la protection qu'il accordait aux émigrants et aux électeurs, de la ligue des rois qu'il cherche à soulever contre nous.
Non, Messieurs, ce n'est pas la noblesse française qu'il veut rétablir ; ce n'est pas les prérogatives d'un fantôme politique qu'il veut faire revivre. Léopold craint pour son trône; c'est son trône qu'il cherche à maintenir, par une vaine ligue, contre le torrent de l'esprit de liberté. Il en veut tarir la source, et la source est en France. Ah I s'il entendait mieux ses intérêts, s'il connaissait la. force de la Révolution actuelle, il renoncerait à de pareils moyens pour l'arrêter; il préviendrait la Révolution, en la naturalisant doucement chez lui. L'inoculer, c'est lui ôter son mal pour les despotes. (Applaudissements.)
J'ai dit, Messieurs, vous mettre sous les yeux la véritable cause des mouvements de Léopold : elle doit seule diriger les vôtres. Vous en devez conclure qu'il ne suffira pas, pour l'apaiser, de décider sur quelques différends. On ne manquera jamais de prétextes pour vous tracasser et pour vous attaquer. Il faut donc aller droit au but ; il faut dire à l'empereur : «  C'est notre Constitution que vous avez en horreur; c'est elle que vous voulez détruire ; ou renoncez à ces projets, ou préparez-vous à la guerre ».
Je ne vous rappellerai point, Messieurs, tous les faits qui tendent à prouver l'inimitié secrète
de Léopold pour votre Constitution. Le rapporteur de votre comité vous les a fidèlement développés. Je ne m'arrêterai pas même à d'autres faits qui pourraient vous prouver que des rassemblements existent dans le Brabant, qu'on y proscrit la cocarde nationale, tandis qu'on accueille la cocarde blanche. Il est cependant un de ces faits dont la preuve est dans les mains de votre comité, et qui vous fera voir avec quelle bonne foi le gouvernement de Bruxelles exécute ses propres ordonnances. Il y existe un passeport donné par un officier de l'Empire à deux déserteurs français pour se rendre à Coblence ; mais, Messieurs, il faut dédaigner des faits aussi peu importants, lorsque l'inimitié se peint par des bien plus frappants. Or, je la trouve, cette inimitié, gravée dans quatre faits incontestables.
Vous avez, en vertu du traité de 1756, sollicité les bons offices de l'empereur et son intervention pour faire cesser les rassemblements des émigrés ; et il les a refusés, et les rassemblements ont continué dans ses États et dans ceux des électeurs. A peine, au contraire, I'électeur de Trèves, que vous menaciez de votre juste courroux, a-t-il requis sa protection contre vous, que l'empereur la lui accorde, qu'il donne des. ordres au général Bender pour le protéger contre vos troupes en cas d'attaque. L'empereur a adhéré au conclusum de la Diète, dans lequel on déclare que les princes possessionnés dans la ci-devant Alsace ne peuvent se départir de leurs droits féodaux, c'est-à-dire, dans lequel on déclare la guerre à la Constitution française. Il a de plus requis les cercles de s'armer pour soutenir ces prétentions. Enfin, Messieurs, l'empereur a invité les principales puissances de l'Europe à former une ligue armée pour prévenir (ce sont ses termes) d'autres mouvements et entreprises préjudiciables aux droits du roi des Français, et pour maintenir l'honneur et la dignité des couronnes : tel est l'objet de la circulaire de Padoue, de la convention de Pilnitz, du traité entre l'empereur et la Prusse, du 25 juillet; du traité conclu entre lui et les États généraux, et enfin des lettres mêmes qu'il a écrites au roi des Français, où il menace de son intervention.
Or, Messieurs, les deux premiers faits offrent une violation manifeste, et du droit des gens et du traité de 1756. Le troisième est un véritable acte d'hostilité. Mais le quatrième offre une violation bien plus coupable et des traités et du droit des gens ; c'est un attentat au droit d'indépendance de chaque nation ; c'est une conjuration de têtes couronnées contre la liberté française, conjuration excitée et fomentée par empereur même. ,
On vous dira peut-être, pour excuser cette ligue, qu'elle a été formée avant l'acceptation faite par le roi de la Constitution ; mais je vous cite des actes bien postérieurs à cette acceptation, des actes qui prouvent que cette ligue n'a point été interrompue par elle. On vous dira que ces actes n'ont point la violence pour but, qu'on veut seulement, dans un congrès, corriger quelques vices de notre Constitution. Mais ce congrès, fût-il pacifique, serait encore un outrage à la nation française. Anathème donc aux ambitieux qui, pour perpétuer le trouble et leur influence, en ont conçu l'idée ; anathème aux puissances assez folles pour le protéger.
Eh ! Messieurs, de quel droit l'empereur veut-il intervenir dans nos démêlés ? Qui lui a donné mission de prévenir les mouvements et entreprises préjudiciables à la dignité du roi des Français ? Son prédécesseur, Joseph II, était à peine monté sur le Trône, qu'il fit signifier à l'ambassadeur de France que le roi ne s'ingérât pas dans les affaires de l'empire, s'il voulait vivre en bonne union ; et il ne s'agissait de la part de la France que d'une intervention en faveur d'une simple communauté ! Il s'agit ici de notre Constitution, et Léopold veut y intervenir ! A-t-il donc été partie contractante dans notre Constitution ? l'a-t-on appelé comme garant ? qui l'aurait appelé ? serait-ce le peuple ? Messieurs, tout pouvoir vient du peuple, et sa force suffit et sa force suffira pour maintenir chaque pouvoir ; et il cesserait d'être souverain, s'il pouvait exister hors de lui un juge suprême entre lui et ses officiers. Serait-ce le roi ? Cette invocation serait un crime .de lèse-nation envers le peuple, qui lui a délégué son Empire. L'empereur n'est qu'un étranger à notre Constitution, et du moment qu'il veut Intervenir dans les différends qu'elle pourrait exciter, il usurpe un pouvoir qui ne lui appartient pas ; il devient l'ennemi de la nation. Eh ! à combien plus forte raison doit-on le regarder comme un ennemi, quand on le voit, ne se bornant pas à ses propres forces, invoquer celles des autres puissances, former des traités avec elles contre la nation française ! Oui, Messieurs, il faut ou que ces traités soient déchirés, ou que la liberté française soit anéantie.
Deux partis se présentent pour amener l'empereur à ce point : l'un est la guerre immédiate ; l'autre est une explication préliminaire à la guerre. Votre comité a préféré ce dernier parti ; un seul motif l'a déterminé. Votre comité était bien convaincu que l'empereur avait commis assez d'actes d'hostilités pour autoriser la France à lui déclarer immédiatement la guerre mais il a cru que la loyauté et la générosité françaises nous commandaient de tenter, pour la dernière fois, la ressource des explications avant d'avoir recours aux armes. Ce motif est louable, sans doute. Cependant, si cette générosité pouvait entraîner la nation dans un précipice, lui causer la perte de sa liberté, ou au moins de grandes calamités ; cette générosité ne deviendrait-elle pas un crime national ? Or, tel est le danger évident auquel on s'expose en exigeant, de l'empereur, des déclarations qui doivent infailliblement entraîner dans des négociations.
On lui demande s'il veut exécuter le traité de 1756, s'il veut s'engager à ne pas attaquer l'indépendance de la nation française. Mais, Messieurs, si l'empereur est dans des dispositions hostiles, et si cependant il n'est pas prêt à exécuter ses desseins, que doit-il faire ? Vous amuser avec des réponses équivoques, satisfaisantes en apparence, insignifiantes au fond. Avec cette diplomatie à double face, il vous dira qu'il n'entend pas troubler votre tranquillité ni votre indépendance, mais qu'il craint pour ses États ; que cette crainte l'oblige à prendre des précautions militaires : il vous dira qu'il n'a promis de secours aux électeurs qu'au cas où les rassemblements seraient dissipés, et dans le cas où ils seraient attaqués ; que son titre de chef de l'Empire oblige à ce devoir ; il vous dira qu'il a lui-même dissipé ces rassemblements, parce qu'il sait bien qu'il est difficile de le prouver diplomatiquement : il vous dira qu'il a été obligé d'adhérer au conclusum de la Diète, mais qu'il est toujours prêt à interposer sa médiation, à employer ses bons offices ; il vous dira, enfin, qu'il est toujours pénétré d'attachement pour le roi, pour sa famille, etc.
A ces longues écritures, il faudra répliquer par d'autres. Voilà donc un procès par écrit ; voilà donc des courriers, des estafettes, qui vont, viennent pour porter des réponses et des répliques qui n'offriront que des tergiversations éternelles. Pendant ce temps, les préparatifs militaires se continuent ; 6 mois s'écoulent avant que vous ayez obtenu une réponse satisfaisante.
Eh ! ne croyez pas ici, Messieurs, que je calomnie le cabinet de Vienne ; j'ose vous assurer que ce tableau ne sera pas démenti par vos ministres mêmes qui connaissent le mieux ce cabinet. Or, Messieurs, si nous ne devons obtenir que des tergiversations, que des réponses équivoques ; si ces réponses doivent nous engager dans une guerre .de plume interminable ; si cette guerre peut nous faire perdre un temps précieux pour la guerre franche, pour la bonne guerre ne serions-nous pas insensés de préférer à cette dernière une négociation infailliblement illusoire et funeste !
Un peuple libre a rarement l'avantage dans les négociations de cabinet. Emploie-t-il des agents patriotes ? ils sont trompés. Emploie-t-il des agents ministériels? il est trompé. Il l'est surtout quant il est obligé de se fier à des agents qui ne sont pas de son choix, quand ces agents sont des hommes qu'il est facile de circonvenir et de séduire, quand ils sont choisis par un pouvoir exécutif, que la nature des choses rend peut-être en secret ennemi de sa liberté. Un peuple libre ne fait bien ses affaires que par lui-même, ou par des agents sans cesse exposés à ses regards. Or, à la guerre, c'est la nation qui négocie, et ne se laisse point tromper. A la guerre, tout est public, tandis que tout est mystère et souvent fraude dans le cabinet. Il vaut donc mieux pour un peuple libre qui veut assurer son indépendance d'en assurer le succès par ses armes que par des finesses diplomatiques. (Applaudissements.)
Qui peut mieux sentir cette vérité que le peuple français ? Quelle confiance peut-il avoir dans les négociations, tant que la diplomatie restera dans les mains d'hommes regrettent le bon temps où, pour leurs menus plaisirs, ils pouvaient tracasser et bouleverser l'Europe, (Applaudissements.) Tant que cette diplomatie ne sera pas populaire, c'est-dire franche, ouverte, simple, peu coûteuse et circonscrite dans les relations vraiment avantageuse à la France ; tant qu'elle sera une feuille de bénéfices entièrement réservée aux privilégiés et aux créatures de l'ancien régime, quelle confiance, le peuple peut-il avoir dans des négociations, en les voyant dirigées par des hommes fastueusement entretenus pour contrarier ses intérêts, par des valets qui parlent encore du roi leur maitre et décrient la nation, qui ne quittent leur poste que pour arborer la cocarde blanche, et qui restent impunis ? (Vifs applaudissements.) Quelle confiance surtout prendre dans une négociation avec la cour de Vienne, quand on sait que son influence prédomine toujours dans le cabinet de la France, quand on doit craindre que l'ambassadeur ne soit entraîné par cet intérêt, et par conséquent quand il est naturel de craindre un concert fatal à la cause populaire ? Confier le salut du peuple à de pareilles négociations, n'est-ce pas l'exposer bien légèrement?
On va se récrier contre ces défiances.
Mais, Messieurs, il s'agit du bien le plus précieux, et la confiance a perdu presque tous les
peuples libres.
Ainsi tergiversation infaillible de la part du cabinet de Vienne, et concert probable entre lui
et celui de France ; voilà ce que vous devez attendre de cette négociation. Il faut donc y renoncer.
Mais quelle nécessité d'ailleurs a cette négociation ? Demander une explication, n'est-ce pas
supposer que la conduite de l'empereur est équivoque ? n'est-ce pas supposer que les actes d'hostilité ne sont pas évidents? n'est-ce pas annoncer une faiblesse qui ferait croire à votre impuissance ou à votre frayeur ?
Je ne dirai donc pas, avec votre comité, à l'empereur : Voulez-vous exécuter le traité de 1756 ? Mais je lui dirai : Vous avez violé vous-même ce traité de 1756 ; donc nous sommes autorisés à le regarder comme rompu. - Je ne lui dirai pas avec votre comité : Voulez-vous vous engager à ne pas attaquer ni la France, ni son indépendance ? Mais je lui dirai : Vous avez formé une ligue contre la France, on doit donc vous combattre. - Cette attaque est juste, car ou iI faut fermer les yeux à la lumière, ou il faut convenir qu'une ligue formée par des puissances étrangères contre une nation libre, est un véritable acte d'hostilité. Louis XIV déclara la guerre à l'Espagne, parce que l'ambassadeur espagnol avait pris le pas sur le sien à Londres. Ce n'est pas sur des prétextes aussi frivoles qui ne conviennent qu'au despotisme avide de conquêtes, que se fonde la guerre d'un peuple libre. Il s'agit de notre indépendance, et nous ne pouvons la conserver qu'en prévenant nos ennemis.
Les exemples, Messieurs, ne nous manqueraient pas pour prouver la justice de cette attaque. Le fameux Charles XII est menacé, en montant sur le trône, par la ligue de trois princes qui voulaient profiter de sa jeunesse et de son inexpérience pour le dépouiller, par les rois de Danemark et de Pologne et par le tsar. Le conseil délibère en sa présence ; on propose une négociation pour détourner la tempête par des négociations. Tout d'un coup, le jeune prince se lève. « Messieurs, leur dit-il, j'ai résolu de ne jamais faire une guerre injuste, mais de n'en finir une légitime que par la perte de mes ennemis. Ma résolution est prise, j'irai attaquer le premier qui se déclarera, et quand je l'aurai vaincu, j'espère faire quelque peur aux autres. »
Charles XII tint parole. Seul et sans allié, il battit successivement les rois de Danemark et de Pologne et le tsar. Il les battit : et s'il essuya des disgrâces par la suite, il ne les dut qu'à la maladie des conquêtes dont il était tourmenté.
Ce fut ainsi qu'en agit le parlement d'Angleterre en 1650. Après avoir publié, dans une déclaration solennelle, que, ne voulant point troubler les nations étrangères, il n'entendait point qu'elles le troublassent, en intervenant dans ses différends, il attaque aussitôt la Hollande qui donnait asile aux rebelles : et la Hollande était alors au plus haut degré de gloire et de puissance, et Ruyter commandait ses flottes! Le prince Rupert, battu, poursuivi par Blacke, se réfugie avec sa flotte dans le Portugal. Blacke, l'y suit ; et, quoique la république d'Angleterre fût en paix avec le Portugal, il attaque son ennemi dans le Tage, et le détruit entièrement.
Rappelez-vous enfin, Messieurs la fameuse campagne de Saxe, par le célèbre Frédéric, campagne dont l'exemple vous a été cité par le comité. 4 puissances le menaçaient ; en les prévenant, il tourna l'orage contre elles. Eh ! certes, notre cause est bien plus juste que celle de Frédéric. La ligue formée contre lui était secrète ; il n'en eut la preuve que lorsqu'il eut pris Dresde, où il saisit l'original du traité dans les archives de la chancellerie. La ligue formée contre nous est publique. Aucun acte d'hostilité n'avait précédé I'invasion de Frédéric, tandis que la protection ouverte, accordée aux émigrés, et que l'ordre donné au général Bender ne peuvent être considérés que comme des actes d'hostilités.
Les circonstances nous font encore, comme à Frédéric, une loi de cette attaque. N'avons-nous pas à craindre que si Léopold ne laisse pas encore éclater ses desseins hostiles, c'est que les forces des confédérés ne sont pas réunies ? N'avons-nous pas à craindre qu'on n'emploie ces protestations amicales, ces ordres de dissiper les rassemblements, pour nous tromper, pour nous amener à une inertie funeste pour nous, utile pour nos ennemis ? Car pendant cette comédie politique, nos préparatifs militaires épuisent nos ressources, les inquiétudes renaissent, les agitations intérieures se continuent, les forces combinées s'unissent, les prétentions se montrent, la hauteur se déploie dans les offices, les menaces succèdent au ton mielleux, on s offense, l'invasion suit, une guerre désastreuse éclate dans nos foyers mêmes, les mécontents se rallient bientôt autour des drapeaux étrangers et la guerre civile se joint à la guerre étrangère.
Telles sont les vues secrètes de vos ennemis ; ils sont rois, et vous êtes peuple ; ils sont despotes, et vous êtes libres. Or, il n'y a point de capitulation sincère entre la tyrannie et la liberté. Les tyrans étrangers veulent donc ou nous écraser ou nous tromper; ils ne peuvent encore nous écraser, ils cherchent donc à nous tromper. En nous trompant, en nous traînant de délais en délais, ils gagnent et nous perdons. Notre position actuelle est avantageuse, leur position est défavorable; le temps améliore la leur, détériore la nôtre. Places bien fortifiées, approvisionnements abondants, 100 000 Français libres, courageux, bien armés, qui n'attendent que le signal pour attaquer, pour s'emparer des places excellentes dont il sera ensuite difficile de les chasser ; une société de plusieurs millions d'hommes voués à la liberté, formant un corps de réserve impénétrable et une source inépuisable de recrues : telle est notre situation, tel est le tableau consolant que vous en a présenté le ministre de la guerre.
Quelle est, au contraire, la position de vos ennemis ? Je ne parle pas des troupes des électeurs, destinées presque toutes à la parade ; mais celles de l'empereur, les seules redoutables, sont dispersées, suffisent à peine à contenir des pays immenses ; des milliers d'hommes armés dans les montagnes de Styrie réclament une représentation plus égale à la Diète ; la Gallicie menace, encouragée par l'exemple de la Pologne ; le Brabançon ronge, en frémissant, son frein ; les troupes elles-mêmes commencent à sentir le leur. La saison, la dispersion de ses forces, leur propre esprit, celui qui domine dans ces pays, tout est donc contre l'empereur. On aurait donc tout à gagner en l'attaquant; on perd tous ces avantages en attendant. (Applaudissements.)
En un mot, Messieurs, — et je défie de répondre à ce dilemme —, ou l'empereur veut la guerre, ou il ne la veut pas. S'il la veut, il serait insensé de ne pas le prévenir ; s'il ne la veut pas, il serait insensé lui-même de ne pas la prévenir, en nous donnant aussitôt la satisfaction que nous avons droit d'attendre de lui. Car quel est l'objet de cette guerre ? Ce ne sont pas des conquêtes à faire, ce ne sont pas même des injures à venger, c'est un danger à prévenir. Que l'empereur fasse cesser ce danger ; il le peut d'un seul mot : qu'il renonce à la ligue formée contre notre indépendance, et nous déposerons nos armes. Les quitter auparavant, c'est violer le serment solennel que nous avons fait dans la mémorable journée du 14 janvier ; car nous avons juré de regarder, de traiter en ennemies les puissances étrangères qui voudraient attaquer notre Constitution, ou intervenir dans nos discussions. Or, l'empereur est évidemment dans ce cas ; donc il faut ou nous résoudre au parjure, ou le combattre, s'il persiste dans sa ligue contre notre Constitution.
Ici, Messieurs, je dois marquer et résumer tes différences et les rapprochements qui sont entre le projet et du comité et le mien.
1° Il demande des explications. Je n'en veux point. Je veux qu'on notifie à l'empereur que nous le regardons comme ennemi, s'il ne nous satisfait pas immédiatement. Les explications supposent des doutes ; il n'y en a point sur les actes d'hostilité de l'empereur. Il ne faut point dissimuler ses torts ; un peuple libre doit être vrai, surtout, vis-à-vis des rois.
2° La forme. de l'explication nous met à la merci de l'empereur. Exiger une satisfaction, c'est le mettre à la nôtre; nous en sommes juges. Des explications n'ôtent point les inquiétudes ; la satisfaction les dissipe entièrement.
3° Je pense, comme le comité, que cette satisfaction ne doit plus rouler sur la défense des rassemblements, mais sur une renonciation formelle à la ligue contre la France.
4° Je veux la guerre au 10 février, si cette renonciation n'est pas parvenue. (Applaudissements répétés.) Et cette volonté ne paraîtra point comminatoire, comme le paraît la demande en explication.
5° Enfin, si j'adopte le délai du comité, c'est parce qu'il est assez long pour être loyal et qu'il n'est pas assez long pour être dangereux ; c'est que ce délai est nécessaire pour forcer l'empereur, par son intérêt, à se hâter de rechercher la paix, et de, l'obtenir par une satisfaction franche.
Il blesse, s'écrie-t-on, la majesté de la couronne impériale. Mais l'empereur n'a pas craint de blesser la majesté du peuple français. Il n'y a pas de déshonneur pour un roi de céder devant une nation, il n'y a point de déshonneur de céder devant la justice. Que les rois abjurent enfin ces fausses idées de grandeur : il n'y a d'honneur que dans la vertu, de déshonneur que dans le mal. Cette maxime est vraie pour les rois comme pour les simples citoyens. Si donc l'empereur a tort, un pas rétrograde l'honorera plus qu'une victoire à l'appui de l'injustice. N'eût-il pas la vertu de le faire, il y aurait du gain à en avoir la politique. C'est par des vertus désormais que les rois peuvent expier ou faire oublier encore quelque temps leurs longues usurpations.
Ainsi, Messieurs, mon projet laisse à l'empereur la ressource de la paix : elle est dans sa main ; il en usera s'il est de bonne foi ; s'il ne l'est pas, nous serions insensés de lui accorder un plus long terme, et de ne pas l'attaquer. Ainsi, par mon projet le peuple français allie ce qu'il doit à sa sûreté avec, la noblesse et la dignité de son caractère.
Il ne faut pas vous le dissimuler : l'empereur, soit politique, soit meilleur conseil, parait abjurer l'idée de guerre, si l'on en juge au moins par les ordres qu'il a transmis aux électeurs ; au ton de l'office du 28 septembre, succède un ton plus doux. Un peuple libre ne varie point ainsi, parce qu'il marche toujours sur la ligne des principes. Nous étions justes dans le premier message, nous le serons encore dans le second. En exigeant une. satisfaction qui nous ôte toute inquiétude, et en donnant à l'empereur un terme pour nous la procurer, nous lui prouverons que les Français dédaignent de profiter de la détresse de leurs ennemis, pour lui imposer des lois dures ; qu'ils ne se vengent des outrages qu'en pardonnant aux rois. C'est alors qu'ils mériteront cette belle devise du peuple romain : Parcere subjectis et debellare superbo.
Après vous avoir démontré qu'une guerre immédiate est juste, nécessaire, commandée par les circonstances et par vos serments, à moins que l'empereur ne la prévienne dans un bref délai par une satisfaction qui vous ôte toute inquiétude, je dois vous prouver maintenant — et c'est le point sur lequel je diffère davantage avec le comité — que loin de demander à l'empereur s'il veut exécuter le traité de 1756, nous sommes autorisés à le regarder, d'après lui, comme anéanti.
Vous vous rappelez, Messieurs, que, suivant le traité du 1er mai 1756, entre le roi de France et l'impératrice, ils s'étaient promis, tant pour eux que pour leurs successeurs, de se garantir leurs États contre les attaques de quelque puissance que ce fût ; qu'ils s'étaient promis un secours de 24 000 hommes, ou de 8 à 9 millions, dans le cas où l'un ou l'autre serait attaqué. Vous vous rappelez que la France, fidèle à ses engagements, a dépensé des trésors énormes, versé le sang de plusieurs milliers de citoyens, pour aider la cour de Vienne dans l'absurde guerre de 7 ans, qui, entreprise par nous sans aucun objet utile, a coûté à la France tous ses établissements dans l'Amérique et l'a couverte d'ignominie. Vous vous rappelez que, dégradée par ce traité au rang des puissances secondaires, devenue l'exécutrice complaisante et forcée des résolutions du cabinet de Vienne, la France a vu tranquillement s'effectuer le démembrement de la Pologne et l'invasion de la Bavière. Vous vous rappelez que, depuis la Révolution, la cour de Vienne, loin de payer la nation française d'un juste retour, loin d'employer ses bons offices et ses troupes pour faire cesser les rassemblements des émigrants, et les conspirations contre sa liberté, a protégé, au contraire, et ces
rassemblements et ces complots. Il en résulte que la cour de Vienne a violé constamment le traité de 1756 depuis le commencement de notre Révolution.
Et dès lors, par quelle extravagance les respecterions-nous? par quel excès de démence voudrions-nous maintenir un traité où les intérêts de la France ont été immolés par un ministre corrompu à l'intérêt de la maison d'Autriche ; où la France fait des sacrifices immenses, et ne reçoit rien en compensation ; où elle s'engage dans une réciprocité de défense, lorsque la nature des choses rend l'attaque de ses États presqu'impossible et la défense très facile, tandis qu'au contraire l'attaque de l'Autriche est très facile, et la défense très difficile ? Comment nous obstinerions-nous à maintenir un traité qui prive la France de ses alliances les plus naturelles ; qui lui a ôté la confiance dans l'Empire, sa prépondérance en Allemagne, pour la transporter dans la maison de Prusse ; qui lui ferme les canaux les plus avantageux de commerce; qui l'enveloppe dans des guerres continuelles et les plus absurdes ; en un mot, qui met à la dévotion de la maison d'Autriche, ses trésors, et le sang de tous ses citoyens ?
Non, Messieurs, un pareil traité ne peut se concilier avec les principes de la Constitution des
Français. Elle leur défend impérieusement toute conquête; elle leur défend toute guerre offensive, à moins que leur propre sûreté ne l'exige. Ils ne peuvent donc plus former aucun traité offensif avec les nations. Je dis plus, et c'est un point important qui mérite d'être approfondi, je dis qu'ils n'en doivent pas contracter de défensif qui n'aurait pas, d'un côté, pour objet leur propre sûreté, et qui, de l'autre, ne serait pas renfermé dans la stricte défense ; car, suivant les rubriques de l'ancienne diplomatie, un traité défensif se tournait aisément en traité offensif. Il est si facile de se faire attaquer pour se plier aux termes du traité !
Les Français doivent être les frères de tous les hommes, de tous les peuples. Ils veulent être justes et bienveillants envers tous. Or, se lier exclusivement avec tel ou tel peuple, s'engager à défendre exclusivement tel ou tel peuple contre toute espèce d'attaque, c'est faire un traité d'inimitié éventuelle contre tel ou tel autre peuple; c'est par conséquent violer le principe de la fraternité universelle. (Applaudissements.)
La nature vient ici au secours des principes qui doivent diriger la France dans les nouveaux traités d'amitié qu'elle doit former avec les nations. La nature a gratifié la France des avantages qui peuvent assurer l'exercice de cette fraternité ; car notre situation topographique et politique est telle, que nous avons peu à redouter les attaques extérieures, que nous pouvons aisément les repousser, par conséquent nous ne ressentons pas un grand besoin de secours étrangers pour notre défense. Si nous ne pouvons pas, comme les Américains, nous affranchir entièrement du joug des alliances défensives, du moins pouvons-nous y mettre de telles conditions qu'elles ne blessent pas les principes. Depuis l'Océan jusqu'aux Alpes, la France est bordée par l'Empire et par l'empereur. L'Empire n'est qu'un fantôme ; l'Autriche antérieure n'est pas redoutable; le Brabant libre se lierait naturellement à la France ; ou s'il reste soumis à l'empereur, il sera plus inquiétant pour lui que pour ses voisins.
Quels sont nos autres voisins ? Les Suisses, dont le gouvernement a besoin de la paix, dont le peuple aime la liberté et la France ; le roi de Sardaigne, dont les moyens sont nuls, dont le peuple est français, à qui la nature permet, l'entrée de la France, mais lui interdit une retraite sûre : l'Angleterre, que sa situation éloignera longtemps de toute guerre européenne, qui, quoique voisine de la France, ne peut frapper qu'au loin sur elle, et la force des choses accélère le moment où ce moyen même lui sera enlevé ; la Hollande, qui, rendue à la liberté, ne sera pas l'ennemie d'un peuple libre, qui, gémissant sous le despotisme, ne peut lui être redoutable ; la Hollande où le stathouder est tout, où ce tout n'est rien ; la Hollande où le stathouder n'est que le serviteur des puissances étrangères, et qu'un maitre impuissant des citoyens peu soumis ; l'Espagne enfin, que la nature a séparée de la France par des montagnes impénétrables, et dont la profonde détresse atteste l'impuissance.
Dans cette position à l'extérieur, défendue par des montagnes, par des mers, des forteresses, des armées nombreuses, mais ce qui vaut mieux, ce qui est inexpugnable, par des millions d'hommes, qui veulent la liberté, pourquoi la France n'élèverait-elle pas sa diplomatie à sa véritable hauteur ? pourquoi ne rejetterait-elle pas dans le néant ces traités fabriqués par l'ignorance et par la corruption ? Traités où les peuples ont été constamment sacrifiés aux intérêts de quelques individus ; traités souvent aussitôt rompus que signés; traités, prétextes éternels de guerre, plutôt que le fondement de la paix ? Pourquoi ne se bornerait-elle pas à un traité d'amitié, non seulement avec ses voisins, mais avec tout le genre humain? Pourquoi ne réduirait-elle pas la diplomatie à ce qu'elle doit être désormais à la connaissance du commerce ou des rapports paisibles qui peuvent lier les nations ?
En un mot, Messieurs il faut ou déchirer notre Constitution, on déchirer les traités qui la blessent. Or, le traité passé avec la .cour de Vienne, en 1756, la blesse essentiellement; car vous ne pouvez plus promettre de sacrifier à l'empereur des milliers d'hommes pour satisfaire ses ressentiments ou ses caprices dans des guerres étrangères. Donc, puisque votre Constitution vous commande l'abandon de ce traité, vous ne pouvez plus, comme le conseille votre comité, en demander l'exécution à l'empereur ; vous devez, au contraire, lui déclarer que votre Constitution vous force d'y renoncer. La loyauté française vous dicte celte déclaration. Vous devez lui dire : « Les Français sont les frères de tous les hommes ; ils ont juré de ne s'armer que pour leur propre défense ; ils ne peuvent donc s'armer pour vos querelles personnelles ; mais la nation française vous offre son amitié, sa fraternité ; et tout ce que voues pouvez attendre d'un voisin bon, juste et loyal. Soyez juste avec nous, et nous ne troublerons jamais la paix de vos États. »
Je vous le demande, Messieurs, l'empereur aurait-il le droit de s'offenser d'un pareil langage ? Doit-on craindre qu'il le porte à vous déclarer la guerre ? Ce serait lui prêter une démence qu'il n'a pas. Mais fût-il assez aveugle pour se livrer à des ressentiments, votre résolution ne devrait pas varier ; votre Constitution doit être sacrée pour vous; vous ne devez pas souffrir qu'une main étrangère touche à cette arche sainte ; vous ne devez pas l'altérer, pour quelque crainte que ce soit, ou vous cesseriez bientôt d'être libres. Rome avait pour principe de ne jamais négocier avec son ennemi qu'il ne fût soumis : Rome dut à ce principe la grandeur. Vous devez la vôtre à votre attachement inébranlable pour votre indépendance, à votre courage pour attaquer vos ennemis qui voudraient l'entamer. C'est votre premier pas dans la carrière diplomatique, il doit être grand, assuré; il doit offrir une grande leçon aux princes qui seraient tentés d'imiter l'empereur. Il faut qu'il plie, ou si vous pliez vous-mêmes, les outrages s'accumuleront sur vos têtes.
Eh ! pourriez-vous craindre, Messieurs, cette Autriche dont le peuple est déjà votre ami, si son gouvernement vous hait ? Pouvez-vous craindre ce cabinet de Vienne que fit trembler Riche- lieu qui ne gouvernait que des esclaves ; à qui Louis XIV enleva ses plus belles provinces à qui le timide Fleury donna lui-même des lois ? La France libre craindrait ce cabinet aujourd'hui divisé en deux partis qui trompent mutuellement l'empereur, le font tomber dans des contradictions perpétuelles ; ce cabinet qui, joué par des intrigants avides, affectait d'abord une fausse fierté ; qui, mieux éclairé par la situation des Pays-Bas, a déjà refusé aux électeurs les secours qu'il avait promis d'abord ! Je vous le disais dernièrement, je n'ai qu'une crainte, c'est que nous n'ayons pas la guerre, et cette crainte se réalise ; car dans tous les cabinets le désir de la guerre n'a été qu'un jeu pour vous épouvanter (Applaudissements); et si I'on pouvait sonder tous les replis de la diplomatie, vous découvririez peut-être l'intrigue honteuse, intrigue qu'a déjouée la marche loyale et franche de cette Assemblée et de la nation française.
Déjà je vois ces amis de la paix qui prêchaient vivement la guerre, changer de langage. La Hollande, disent-ils, la Prusse, la Russie vont se déclarer pour l'empereur si on l'attaque. Ils l'ont promis peut-être, mais leurs intérêts les empêcheront de réaliser ce traité. Ne vous ai-je pas prouvé qu'il était presque impossible entre des puissances dont les intérêts sont discordants ? Mais voulez-vous rompre infailliblement la coalition de toutes ces puissances ? rompez le traité de 1756. La rupture de ce traité vous est un sûr garant de la neutralité de la Prusse ; elle lui assure le retour de son allié naturel pour la France.
L'Empire, en vous voyant rompre ce traité, espérera aussi de retrouver dans la France une utile protection. L'intérêt de l'Empire est de briser l'union monstrueuse qui existe entre l'empereur et la Prusse, qui menace d'écraser la ligue germanique, qui en a déjà effrayé les divers membres, si l'on en juge au moins par les lettres de l'empereur même et du roi de Prusse au corps germanique.
Aussi, Messieurs, ne doit-on pas douter que pour peu que nos négociateurs fussent habiles et éclairés, il ne fût, en cas de guerre, très facile d'amener presque tous les électeurs à la neutralité ; car presque tous doivent désirer l'abaissement de la maison d'Autriche. L'intérêt du stathouder est de conserver l'amitié de l'Angleterre ; et l'Angleterre voit d'un très mauvais œil le traité que les Provinces-Unies ont passé avec l'empereur. Enfin, voulez-vous juger par un trait frappant de la versatilité des membres de cette coalition couronnée ? Les deux puissances qui paraissaient les plus ardentes pour l'exécuter, pour fondre sur la France, la Russie et la Suède, se sont tout à coup refroidies: elles ont reçu la notification de notre Constitution. Sans doute, elles ont senti qu'il valait mieux porter leur attention sur les événements qui, se préparent dans leur voisinage, que de s'engager dans une guerre lointaine et ridicule. Les trônes de Pologne et de Constantinople offrent une conquête plus facile que le trône de la France. C'est ainsi que la politique compliquée sur diverses cours de l'Europe les arrêtera toujours dans leur coalition contre la France.
On nous menace encore de l'Angleterre qui, dit-on, est garante de la constitution du Brabant, et dont le ministère a besoin de se populariser à nos dépens : mais voulons-nous donc conquérir le Brabant ? Notre Constitution nous le défend. Nous voulons forcer l'empereur, en attaquant le Brabant, de respecter notre Constitution, et une nation qui a juré de ne pas s'emparer d'un pouce de terrain sur ses voisins, peut-elle donner de l'inquiétude aux Anglais. Non, Messieurs, ce n'est pas en attaquant un peuple libre que le ministère anglais peut se populariser. Un pareil projet, dans les tristes circonstances où il se trouve, le précipiterait vers sa ruine. Il est passé ce temps où l'ardeur des conquêtes dans nos îles à sucre aurait pu tenter les Anglais, les exciter à profiter de nos embarras, et fermer les yeux à la justice. Le peuple anglais fait des vœux pour nos succès; ce seront un jour les siens ; il le fait, il le voit dans l'avenir; et, Messieurs, si vos ministres des affaires étrangères avaient eu quelque connaissance du caractère anglais, de la révolution qu'il vient d'éprouver ; s'ils n'avaient pas été dévoués à la maison d'Autriche, vous n'auriez pas à redouter aujourd'hui la coalition des puissances, ou la jonction de l'Angleterre, de l'empereur, du roi d'Espagne, de l'impératrice ; Ils auraient pu facilement opposer une union avec l'Angleterre, la Prusse et la Hollande. Rappelez-vous avec quelle facilité le régent forma l'union avec l'Angleterre, lorsqu'il fut aussi menacé par l'Espagne, soulevée par un cardinal ambitieux.
Mais, dit-on, qu'avons-nous à offrir aux Anglais ? Je ne dirai pas, comme on m'en a prêté l'intention pour me noircir, je ne dirai pas qu'il faut céder aux Anglais les îles de France et de Bourbon, parce que les Anglais n'ont déjà que trop de possessions territoriales à protéger ; parce que ces possessions sont toujours de faibles garants de la paix et de l'union. Je veux leur offrir un gage plus solide ; c'est leur intérêt personnels c'est l'amitié d'un grand peuple et d un peuple libre. Or, qu'est-ce qu'un peuple libre ? C'est un peuple qui ne tracasse pas ses voisins qui respecte leurs droits et les traités ; qui ne fait pas de guerres injustes, qui ne soudoie point ses despotes pour asservir les sujets. Avec l'amitié des Français libres, les Anglais n'auront plus à craindre de voir notre cabinet soudoyer le leur, soulever contre eux les puissances du Nord, payer des espions dans l'Inde pour exciter les Marrattes et les princes indiens, les tracasser encore dans le continent américain, ou dans leurs îles à sucre. Et n'est-ce rien, Messieurs, pour les Anglais, n'est-ce rien que le bonheur d'être enfin délivrés de toutes ces tracasseries ? C'était le système du cabinet de Versailles qui forçait l'Angleterre à entretenir une marine considérable pour protéger son commerce et ses possessions lointaines, une diplomatie ou un espionnage aussi dispendieux dans toutes les cours de l'Europe. La Révolution française, en renversant cet ancien régime, va dispenser l'Angleterre d'une partie de ses dépenses ; et l'amitié des Français assurant aux Anglais la tranquillité de leur commerce, leur offrirait les gages les plus désirables pour un peuple commerçant ; moins d'impôts et
un commerce étendu et confiant... Ah ! Messieurs, comme il eût été, comme il sera facile d'aplanir, à cet égard, les difficultés qui naissent plutôt des préjugés que de raisons bien fondées I La nature des choses appelle la France et l'Angleterre à une alliance fraternelle et durable, parce qu'elle sera fondée non sur des convenances de famille, mais sur des principes éternels et sur des intérêts communs.
Je fais toutes les objections qu'on peut opposer à cette alliance politique et commerciale, les
objections que l'on a opposées depuis le traité de paix de 1713 ; les objections que le judicieux Bolingbroke lui-même n'a pas rougi de répéter. Je sais que l'Angleterre elle-même témoigna une joie vive, lorsque son parlement s'opposa à la ratification de ce traité d'Utrecht qui unissait les deux nations par le commerce. Mais je sais aussi que les arguments tirés des époques où cette union a existé, ne sont plus applicables aux circonstances actuelles. Je sais que cette union est désirée par le commerce anglais, qui souffre autant que nous de la baisse de notre change, qui désire la lin de notre crise. Encore une fois, que la France et l'Angleterre s'unissent, qu'elles s'unissent avec l'Amérique, et l'Amérique et la liberté comme la paix, couvriront bientôt toute la terre. (Applaudissements.)
Ce n'est pas ici, Messieurs, le moment de me livrer aux grands développements que ce sujet
entraîne ; mais, je dois le dire, c'est avoir trahi la France que d'avoir négligé et dédaigné cette alliance, que de l'avoir sacrifiée à des considérations personnelles pour une Maison dont l'union n'est qu'un présent funeste et dont l'inimitié est peu redoutable. (Applaudissements.) C'est encore avoir fait preuve d'incapacité, que de n'avoir pas saisi les circonstances qui pressent le cabinet anglais d'accepter cette union ; il a de grands torts à expier aux yeux de la nation anglaise ; et son pardon se trouvait dans une alliance qui promet au commerce anglais une tranquillité, une durée qui peuvent seules réparer les calamités des préparatifs de guerre et de celle de l'Inde dans une alliance qui seule peut alléger le fardeau désormais insupportable des impôts.
Je ne nie pas, Messieurs, qu'il ne soit difficile à un peuple de se faire des alliés au milieu d'une révolution. Si les peuples pouvaient communiquer directement, la loyauté qui les inspire et leurs intérêts communs aplaniraient bientôt tous les obstacles ; mais les peuples sont livrés à des cabinets, dont les intérêts sont entièrement opposés, dont les intentions sont presque toujours perverses et la route tortueuse. Les cabinets attendent presque toujours que les révolutions soient consolidées pour s'engager. Cependant, Messieurs, la France aida l'Amérique au milieu même de ses défaites ; et telle est actuellement la balance politique de l'Europe, qu'il suffira que la France soit attaquée, pour trouver des alliés.
Le secret des alliances est dans la force ; déployez donc la vôtre et vous ne manquerez pas d'alliés ; montrez de la faiblesse et vous serez abandonnés. La force pourrait vous attirer la guerre, mais la faiblesse voues couvrirait d'ignominie. L'ignominie renferme tous les maux pour un peuple libre ; la guerre n'en offre pas même un. Elle est, et je vous l'ai prouvé, un bienfait; elle renverse l'aristocratie qui la craint; elle déjoue le ministérialisme qui la traverse après avoir feint de la vouloir (Applaudissements) ; elle consomme la révolution; elle cimente notre indépendance, elle ramène le crédit et la prospérité, enfin elle rompt les fers qui vous attachent à la maison d'Autriche.
Et ne voyons-nous pas que l'Autriche ne ménage notre alliance, que pour vous écraser par des subsides ; qu'elle ne peut en obtenir qu'en continuant à diriger notre cabinet ; qu'elle ne peut diriger notre cabinet qu'en le rendant indépendant de la volonté du peuple et de ses représentants ? Ainsi, Messieurs; c'est pour nous avoir esclaves qu'on veut nous avoir pour alliés. Ne voyez-vous pas que si notre cour veut conserver cette liaison, c'est pour avoir à sa dévotion des forces redoutables, c'est pour vous tenir sous la verge du despotisme et vous amener à ses fins par la. terreur ? Et pourquoi encore veut-on ménager aujourd'hui l'empereur? Parce qu'on est faible, parce qu'on aura un jour besoin de son bras pour vous asservir, parce qu'on veut lui donner le temps de rassembler des forces suffisantes. On demande la paix en janvier : ne serait-ce pas, pour avoir la guerre et vous faire battre en juin ? Ne serait-ce pas là le secret de nos ennemis ? Messieurs, le traité d'alliance avec l'Autriche a pensé nous coûter notre Révolution : son alliance pourrait peut-être un jour vous coûter votre Constitution. (Applaudissements réitérés.)
D'après ces différentes observations, je vous propose le projet de décret suivant :
Projet de décret.
« Art.1er. Le roi sera invité, par un message, à notifier à l'empereur, au nom de la nation française, qu'elle regarde le traité du 1" mai 1756 comme anéanti, et parce que l'empereur lui-même a violé ce traité, et parce qu'il est contraire aux principes de la Constitution françaises ; à lui notifier en même temps que la nation française est disposée, si l'empereur lui donne satisfaction sur les griefs ci-après, à conserver avec lui la bonne intelligence, l'amitié, la fraternité qu'elle a juré de maintenir avec tous les peuples.
«  Art. 2. Le roi sera invité pareillement à notifier à l'empereur, au nom de fa nation française, qu'elle regarde comme actes d'hostilité : 1° son refus d'interposer ses bons offices et d'avoir employé la force pour dissiper les rassemblements dans les électorats ; 2° la protection et promesse du secours qu'il a faite aux électeurs en cas d'attaque de la France ; 3 son adhésion aux divers traités qu'il a conclus pour opérer un concert avec les puissances européennes contre la nation française; à lui notifier en conséquence que les mesures militaires les plus promptes vont être prises pour agir offensivement, à moins que l'empereur ne donne, avant le 10 février, une telle satisfaction pour ces actes d'hostilité, que toutes les inquiétudes de la nation française soient entièrement dissipées. (Applaudissements.)
«  Art. 3. Enfin le roi sera invité à donner les ordres les plus précis pour que les troupes soient prêtes à entrer en campagne dans le plus bref délai possible. » (Applaudissements.)
Vogesus
Vogesus
Maire

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