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Brissot contre le comité autrichien

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Message  Bart Jeu 15 Déc 2005 - 21:52

Discours de Brissot à la Législative, le 23 mai 1792 sur le comité autrichien.


« J'ai dénoncé l'existence du comité autrichien, je vais prouver qu'il a existé, qu'il existe encore ; je vais appeler la vengeance des lois sur un coupable, la lumière sur ses complices. Il importe de fixer d'abord le caractère de ce comité autrichien ; ensuite je vous lirai les pièces qui constatent son existence.

Qu'entend-on par comité autrichien ? C'est une faction d'ennemis de la liberté qui, tantôt gouvernant au nom du roi qu'ils trompaient, tantôt dirigeant son ministère, ont constamment trahi le peuple et sacrifié les intérêts de la nation à ceux d'une famille. L'asservissement de ce comité à la maison d'Autriche est son signe principal, et sous ce rapport il n'est qu'une branche du parti qui domine la France. Les intrigues de ce parti datent du funeste traité de 1756, traité que nous devons à la perfidie du ministre Kaunitz. Esclaves de ce système autrichien, les Montmorin et Delessart n'ont été tour à tour que des mannequins dont Ies fils étaient à Vienne ; c'est M. Merci qui dirigeait le cabinet de France, lorsque le peuple a renversé la Bastille ; c'est lui qui le dirige encore à présent. Voilà ce qu'on a appelé le comité autrichien ; c'est en d'autres termes, le conseil clandestin qui jusqu'ïci a favorisé tous les projets des ennemis extérieurs de la Constitution. Voulez-vous connaître les traits caractéristiques de ce comité ? les voici :

1° Dévouement absolu à ce qu'on appelle la prérogative royale ; 2° dévouement absolu aux intérêts de la maison d'Autriche ; 3° point d'alliances avec la Prusse et l'Angleterre, quelque faciles et quelque avantageuses qu'elles fussent ; 4° indulgence envers les émigrés rebelles, sans adhérer cependant à toutes leurs vues ; 5° opposition à la guerre contre la maison d'Autriche, après l'avoir provoquée ; 6° enfin, projet d'établir les deux chambres. Si je prouve que tous ces traits s'appliquent au ministère dont le règne vient d'être détruit ; si je prouve qu'il a constamment trahi les intérêts de la révolution, qu'il a tout sacrifié à la famille royale ; si je prouve que, menacés dune ligue formidable, il nous en a caché l'existence ; qu'il a laissé désorganisées votre armée et votre marine ; si je prouve que le projet des ennemis de la révolution étant de nous diviser, il a contribué plus puissamment que personne à fomenter ces divisions, j'aurai prouvé, je crois, que l'on a eu raison d'accuser cet ancien ministère d'avoir formé, avec quelques députés de l'Assemblée constituante, un comité que l'on peut appeler autrichien, puis qu'il servait si bien la maison d'Autriche.

Des conspirations de ce genre ne s'écrivent pas ; et quoiqu'on ne puisse douter de leur existence, il est quelquefois difficile d'en trouver les traces matérielles. Par exemple, personne n'ignore que lord Biout n'ait dirigé derrière la toile le cabinet de Saint-James ; et cependant quel est l'Anglais qui ne rirait pas si on lui demandait des preuves légales ? N'en était-il pas de même de la coalition du ministère avec le lord Filfox ? Cependant je ne m'étendrai pas dans des généralités. Je vais dénoncer les ministres, leurs correspondances en main. C'est par M. Montmorin que je commencerai, et je ne dirai rien qui ne soit appuyé sur des pièces authentiques. Je les ai puisées dans les archives des affaires étrangères, où, malgré l'intelligence avec laquelle on a soustrait les pièces les plus importantes, malgré le peu de temps que j'ai eu pour visiter cinq' à six cartons, dans la mission que m'en avait donnée le comité diplomatique, concurremment avec MM. Lasource et Lemontey, j'ai fait néanmoins des découvertes suffisantes pour suppléer aux pièces qui manquent, et pour suivre les traces que l'on avait cru soustraire à nos recherches. J'en userai même généreusement avec M. Montmorin. Je n'examinerai aucun des faits antérieurs à l'époque du 1er juin. Par exemple, je ne parlerai pas de la déclaration du 28 avril, dans laquelle il avait exagéré les principes démocratiques pour vous tromper sur les communications secrètes qu'il faisait aux cours étrangères ; je ne vous parlerai pas des protestations contre deux lettres du Moniteur, qui décelaient les projets sinistres qui se tramaient alors, et qui ont éclaté depuis; ni du passeport qu'il donna, le 20 juin, à la reine, sous le nom de madame de Koff. Je vais examiner la conduite de M. Montmorin dans trois époques différentes, depuis le 21 juin jusqu'à l'ouverture de votre session, ensuite jusqu'au 10 mars, et enfin depuis le 10 mars jusqu'à ce jour.

Ce fut à l'époque du retour du roi de Varennes que le ministère trouva le secret de s'assurer des membres qui avaient jusqu'alors défendu énergiquement la cause du peuple ; ce fut alors que, fier de ce renfort, il déploya les plus savantes manœuvres, et qu'il eut la plus grande part dans les travaux de l'Assemblée constituante. Je pourrais ici citer le témoignage de la notoriété publique. Il serait difficile en effet, lorsque tant de cris se sont fait entendre contre ces conciliabules, de croire que les dénonciations multipliées faites contre lui aient été sans réalité ; mais, sans m'arrêter à des probabilités, je ne citerai que M. Montmorin lui-même. Voici une note écrite de sa main elle se trouve insérée dans une lettre adressée à M. Noailles, ambassadeur de France à la cour de Vienne, en date du 3 août 1792

Les meilleurs esprits de l'assemblée nationale, ceux qui jusqu'à présent y ont eu le plus d'influence, se sont réunis, et se concertent avec les véritables serviteurs du roi pour soutenir la monarchie, et rendre à sa majesté le pouvoir et l'autorité nécessaires pour gouverner. Il ne s'écoulera certainement pas quinze jours avant que l'état affligeant où se trouve le roi et la famille royale ait cessé.

Et plus bas on lit :

Depuis que ces députés se sont réunis à nous, nous avons senti la nécessité de les ménager, pour les maintenir dans le parti qu'ils viennent de prendre.... Des me sures sévères ont été prises avec eux pour réprimer les factieux que nous avons à combattre.

Qui ne voit, qui ne reconnaît les excellents esprits dont parle M. Montmorin ? Qui ne nomme ces intrigants dont la conduite et le langage changèrent à cette même époque, et qui, après avoir défendu le peuple, se coalisèrent ensuite avec le ministère, contre lequel ils n'avaient cessé de déclamer ? Analysez cette lettre et, à chaque mot, vous y reconnaîtrez la corruption de ce comité autrichien. Pourquoi s'est-il réuni avec les députés qui exerçaient le plus d'influence sur l'assemblée ? parce que, si la vérité n'attend la réunion des esprits que de la force des raisons, la corruption ne l'attend que de l'influence des personnes. Ces députés, dit-il ensuite, se sont réunis aux serviteurs du roi. Tout est précieux dans cette phrase. Ne voyez-vous pas dans cette réunion de serviteurs du roi la source des décrets qui ont été rendus alors ? Ne voyez-vous pas la tactique des ajournements, des motions d'ordre, du tumulte même, moyens employés tour à tour pour écraser ces factieux dont on se méfiait. Ce mot de serviteur du roi n'est-il pas le plus éloquent abrégé des principes de M. Montmorin et de son attachement, non pas à la royauté constitutionnelle, mais au royalisme antique ? Le vizir qui s'agenouille devant le sultan et l'esclave qui embrasse la poussière devant le vizir, ont-ils un langage plus abject ? Comme il contraste avec ces paroles d'un ministre patriote : La révolution a régénéré l'empire français ; vingt-cinq millions d'hommes sont rendus à la liberté !

Opposez à ces paroles celles qu'on trouve répandues dans plusieurs des lettres de M. Montmorin.... : Le peuple a des fureurs.... Cet état est violent.... Le roi reprendra son autorité avec le temps... En un mot, vous verrez que jamais il ne parle que du roi ; que dans toute sa correspondance il ne voit que l'intérêt du roi. Dans une circulaire officielle, il dit : La Constitution. marchera ; il ne faut plus espérer de la détruire. Ces espérances qu'avait conçues jusqu'alors M. Montmorin, ne s'accordaient-elles pas très bien avec son expression de véritable serviteur du roi. Ces expressions ne feraient-elles pas croire que la bassesse a aussi ses nuances. Est-ce en se disant le vrai serviteur du roi, que le ministre des affaires étrangères soutenait auprès des différentes cours la dignité de la nation ? C'était aussi comme serviteur du roi que le ministre de la marine se concertait avec les assemblées coloniales, pour mettre les colonies dans la dépendance du roi seul ; c'est comme serviteur du roi que le ministre de la justice délivrait des lettres de grâces, lorsque la Constitution le lui défendait ; en un mot, qu'il violait toutes les lois pour augmenter l'autorité royale au préjudice de là souveraineté de la nation. Quel est le véritable sens de ces mots ? le voici. La monarchie, selon eux, est une propriété du roi ; car on ne rend à un homme que ce qui lui appartient. Mais quoi! la nation et ses représentants n'étaient-ils donc que des usurpateurs, puisqu'ils voulaient le forcer a rendre l'autorité qu'ils avaient limitée... ! Mais c'est la dernière phrase de la note qui est un trait de lumière.

Il ne s'écoulera pas quinze jours, dit le ministre, avant que l'état affligeant où se trouvent le roi et la famille royale ait cessé.

Qui lui avait donc donné cette certitude? Pouvait-il disposer à son gré de la majorité de l’assemblée constituante ? Y aurait-il compté, s'il n'avait su l'influencer par la corruption ? Il est donc prouvé : 1° qu'à l'époque de la révision il existait une coalition ou un comité secret ; 2° que ce comité était formé entre les membres influenciels de l’assemblée constituante et les serviteurs du roi ; 3° que son projet était d'augmenter l'autorité royale ; 4° qu'il croyait disposer de la majorité des membres de l’assemblée constituante ; 5° que M. Montmorin en était membre.

Maintenant il faut prouver qu'il était dévoué à la maison d'Autriche. Voici une lettre de M. Montmorin à M. Noailles en date du 30 avril :

Les meilleurs esprits de l’assemblée, et j'ose même dire, sans craindre de me hasarder, la grande majorité de l’assemblée, apprécient les avantages de cette alliance, et l'on travaillera à en resserrer les liens aussitôt après le r établissement du roi dans son autorité. Je suis persuadé qu'on ne voudra pas s'écarter des principes suivis jusqu'à présent, et qu'on s'en tiendra à l' alliance avec l'Autriche. Cet objet me tient infiniment à cœur.

Ne voyez-vous pas dans l'expression les meilleurs esprits, ces membres influenciels qui formaient la coalition du comité autrichien ? Ce n'est pas, dit-il plus bas, avec légèreté que je vous parle de la majorité de l’assemblée nationale ; j'y compte, et j'en suis certain.

Comment un homme aussi prudent, aussi circonspect que M. Montmorin, pouvait il avancer qu'il était sûr de la décision de l'assemblée nationale, à moins qu'il n'eût des moyens sûrs de l'influencer ? Il faut même observer que la grande majorité de l'assemblée constituante ignorait encore alors les avantages ou les inconvénients de ce traité, puisqu'elle ne l'avait pas encore discuté. Il espérait sans doute que, fatiguée par trois années de travaux et tourmentée par la crainte, elle se laisserait aller aux suggestions de ces hommes à excellents esprits, qui préparaient, dans des conciliabules secrets, toutes ses déterminations.

Fidèle aux principes de ce comité, M. Montmorin a trahi la France, en sacrifiant ses intérêts à la maison d'Autriche, en lui faisant croire que le vœu de la France était de maintenir le traité de 1756. Ce traité, qui était fatal sous l'ancien régime, puisqu'il faisait couler gratuitement notre or et notre sang, nous convenait-il plus sous un régime libre ? Certes, une alliance dans la maison d'Autriche avec un parent qu'elle croyait dépouiller, qui lui payait des subsides, et qui avait à sa disposition deux cent cinquante mille hommes de troupes, pouvait être avantageuse à cette maison ; mais elle est très suspecte à la nation : cependant M. Montmorin a cru qu'elle pourrait servir son ambition ; aussi écrivait-il à. M. Noailles : La saine partie de l'assemblée nationale est toute en faveur de la maison d'Autriche ; elle désire que les liens qui l'unissent à la cour de France soient resserrés.

Ainsi, il nous mettait au pied de la maison d'Autriche, alors même que tout le peuple fiançais était indigné contre elle. Il nous dissimulait les traités secrets et les préparatifs hostiles de cette cour. Cependant, il savait, que, par sa circulaire de Padoue, en date du 26 juillet, l'empereur soulevait toutes les puissances de l'Europe contre nous ; que, par son traité de Pilnitz, de la même date, il s'était lié avec la Prusse ; or, un tel traité était I'outrage le plus sanglant qui pût être fait à la nation française, et la violation la plus manifeste des traités. Au lieu de faire éclater son indignation, il continue de se prosterner aux pieds de la maison d'Autriche ; et il écrit à l'ambassadeur, le 30 août, que, loin de vouloir rompre le traité de 1756, la nation désirait qu'il fût resserré de plus en plus. Nous le voulions, ministre abject. Non, les Français ne veulent pas resserrer des liens qui les attachaient avec des tyrans. Ils veillent traiter avec les Allemands, leurs frères ; mais jamais leur or et leur sang ne couleront pour les hommes qui les dominent. Pourquoi Montmorin voulait-il conserver invariablement l'alliance avec la maison d'Autriche ? Il s'explique un peu plus bas, en disant : qu'il importe au roi de conserver l'appui de la maison d'Autriche.

Ce n'est pas tout. Et ce dernier point est prouvé par la correspondance de M. Noailles avec le ministre : ce dernier n'a cessé d'annoncer à M. Montmorin les traités secrets conclus par Léopold, les armements, les mouvements de troupes ordonnés par lui, et d'insister sur l'augmentation des garnisons du Brabant, et surtout sur la versatilité de l'empereur ; versatilité telle, disait-il, d'après un homme qui s'y connaissait. bien, que si on le laissait suivre son intention, il armerait à la fois dix mille hommes pour les démocrates, et dix mille hommes pour les aristocrates. Enfin il prédisait, d'après une parole de M. Cobentzel, qu'on ne manquerait pas d'avoir la guerre au printemps. Il lui avait notifié les mêmes intentions de la part de la Russie et de la Suède, qui avaient demandé la permission de faire hiverner les troupes dans les Pays-Bas. Non-seulement il a enseveli ces nouvelles dans les plus profondes ténèbres, mais il a même rassuré la nation dans les communications qu'il faisait alors à l'assemblée nationale. Il. nous représentait l'empereur comme un allié fidèle. J'avoue, disait-il, que l'on annonce des armements, mais je me défends d'y ajouter foi. Quel a été l'effet de cette illusion volontaire ? Il n'a provoqué aucun armement, il n'a négocié aucune alliance, pas même la neutralité de l'Angleterre.

(suite du discours message suivant)


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Message  Bart Jeu 15 Déc 2005 - 21:53

(suite du discours)

Ses correspondances de Berlin lui annonçaient qu'un traité avec cette cour serait facile, et lui-même en convenait : Je ne vous dissimulerai pas, écrivait-il dans le même temps à M. Noailles, qu'on trouverait à Berlin plus de disposition et de facilité qu'on n'en attendait d'abord. Cependant, qu'a-t-il fait pour procurer à la France les avantages de cette alliance ? Instruit des préparatifs hostiles que faisaient les cours et les puissances étrangères, il aurait dû se concerter avec le ministre de la guerre et celui de la marine ; au contraire, c'est précisément alors que l'armée fut désorganisée, et que la marine dépérit.

Ainsi, point de communication à l’assemblée, ni des traités nouveaux, ni de la rupture de la maison d'Autriche, ni des armements de cette puissance ; il y a donc double trahison, et elle est d'autant plus grave qu'elle a été suivie d'un plein effet, et que c'est elle qui nous condamne à la funeste inactivité à laquelle nous sommes réduits. Il a gardé le silence sur les mouvements des émigrés rebelles, sur les noms et les moyens de leurs chefs. Cependant M. Noailles lui dénonçait et les rendez-vous de Polignac et l'ambassade d'Esterhazy, et les mouvements de M. Breteuil auprès de la cour de Vienne, et les millions que l'Allemagne, la Russie et la Prusse donnaient aux princes, et les lettres affreuses qu'ils envoyaient en France. Tous ces renseignements, M. Montmorin les cachait soigneusement ; et Delessart les a enveloppés du même mystère : il en a même nié l'existence. Cette dissimulation en la séparant de toutes les autres circonstances, n'est-elle pas elle seule une trahison ? Voici, entre autres, une note de l'envoyé de Suède à la cour de Vienne, communiquée au ministre de France par M. Noailles.

Le soussigné a l'honneur de déclarer à son éminence le prince de Kaunitz, en conséquence des ordres qui lui ont été donnés par sa cour, que le roi de Suède partage tous les sentiments de sa majesté impériale pour le rétablissement de la monarchie française ; que, comme elle, elle envisageait la situation du roi de France comme une captivité. Enfin, que ma cour est prête à prendre, de concert avec sa majesté impériale, les mesures que pourront exiger les circonstances.

Il avait envoyé à M. Montmorin une autre note, par laquelle les princes sommaient les puissances liées par le concert, de remplir leurs engagements et de délivrer le roi. Le ministre a constamment tenu un profond silence sur tous ces faits.

Il prenait donc part aux projets des émigrés, il les protégeait : c'est ce dont je trouve encore la preuve dans une lettre de renvoyé de France à Genève. Elle est datée du 9 août 1790.

Lorsque j'eus l'honneur de prendre congé de vous, l'année dernière, vous me permîtes de servir le comte d'Artois quand l'occasion s'en présenterait. Depuis cette époque, le roi, par une note écrite de sa main, m'a autorisé à prendre service chez lui c'est ce que j'ai fait, et je vous prie de me faire connaître vos intentions pour l'avenir. D'après votre silence, je n'ai pu me dispenser d'obéir à M. le comte d'Artois, et de faire, pour me rendre auprès de lui, une absence dont il rendra compte au roi. Si cette démarche, quoique contraire aux intentions que vous m'aviez précédemment manifestées, ne vous paraissait pas convenable, je vous prierai de ne l'attribuer qu'à mon désir de faire ce qui peut vous être agréable. Soyez persuadé de mon entier dévouement.

Signé, GÉDÉON DE PUDIÈRES de CASTELLON.


Qui de nous ne frémit pas à cette lecture ! Ainsi donc, un ministre ordonnait à un envoyé de France de se prêter aux projets des plus cruels ennemis de la nation ; ainsi il connaissait ces projets. D'où il faut naturellement conclure qu'il en était nécessairement complice. Qui oserait soutenir qu'il n'est pas ici coupable d'une trahison manifeste ?

On dira peut-être qu'il se trouve compris dans l'amnistie du 14 septembre ; non, il ne faut pas confondre les prévarications ministérielles avec les délits que de simples citoyens auraient commis dans l'effervescence d'une révolution. Les premières sont trop dangereuses pour qu'on doive. jamais les comprendre dans une amnistie. Ces pièces suffiront sans doute pour confondre le ministre coupable qui osait naguère parler de son patriotisme et vanter son honneur. Qu'on juge par ces pièces celles qui ont échappé de nos mains ; qu'on en juge par son obstination à maintenir, auprès des cours étrangères, des agents voués à l'aristocratie, les Bombelles, les Dussault, les Dosmont, les Béranger, les Montesson, les Castellanne, les Marigny, etc. En vain mille voix s'élevaient contre eux ; il répondait froidement que ce n'était pas le moment d'envoyer, dans les cours étrangères, des hommes connus par leur attachement à la révolution ; et cependant la Russie souffrait alors le démocrate Genet. Mais tandis que celui ci faisait tous ses efforts pour rétablir, aux yeux de la cour de Pétersbourg, la dignité de la nation française, les ministres semblaient l'avoir entièrement oubliée ; et il existait, il y a peu de jours, soixante de ses lettres sans réponse, lui qui n'avait cessé de donner des preuves de patriotisme, qui, non content d'avoir envoyé 1200 livres pour les frais de la guerre, d'avoir depuis vendu sa montre, son épée, pour faire un nouveau don de 800 livres, joint à une médaille d'or, écrivait en dernier lieu à M. Montmorin : Vous m'avez annoncé que l'on doit me donner une gratification de 800 livres ; l'état ayant besoin dans ce moment de la plus austère économie, je vous prie de me dispenser de la recevoir.

Une pareille lettre était sans doute un crime aux yeux du ministre Montmorin, puisqu'il avait complètement oublié ce chargé d'affaires. Quel a été l'effet de cette obstination à ne choisir les agents de la diplomatie que parmi les partisans de l'ancien régime ? Il en est résulté qu'on a regardé la révolution comme un songe, et qu'on devait la regarder ainsi, puisqu'on voyait le peuple qui triomphait, n'avoir pas la force de faire préférer, dans la distribution de ces places, les amis de la révolution. De là, les mauvais traitements qu'ont éprouvés les Français dans les états voisins ; de là la coalition de plusieurs cours, de là l'idée fausse qu'elles ont conçue de nos moyens, et qui nous a privés de plusieurs alliances importantes.

Est-il nécessaire d'ajouter à cette liste de crimes dont M. Montmorin, et surtout le comité dont il fait partie, se sont rendus coupables, les moyens qu'ils ont employés pour égarer l'opinion publique dans l'intérieur : les placards, les journaux, les libelles, dont la profusion attestait la source ? Et c'est dans ce même temps que ce ministre criait contre les libelles, lui qu'il serait si facile de convaincre d'avoir une foule de libellistes à ses gages, et qu'il demandait une loi sur la liberté de la presse ! Si jamais un ministre a nui à la nation, c'est lui ; son crime est certain, et il est plus coupable que M. Delessart. Il n'est aucun des griefs énoncés contre ce dernier, qui ne lui soit applicable.

Quels sont les autres serviteurs du roi ? Il ne les nomme pas, mais leurs œuvres les désignent assez. Je ne citerai point M. Delessart qui était entièrement dévoué et à M. Montmorin et au système de la maison d'Autriche, car déjà vous avez prononcé contre lui un décret d'accusation. Vous allez le prononcer contre M. Duport qui n'est pas l'agent le moins actif de cette faction. La longue liste des atteintes qu'il a portées à la Constitution prouve qu'il voulait la sacrifier au pouvoir exécutif. Et en effet, la profession de foi du comité autrichien est précisément d'employer tous les moyens de relever l'autorité royale, parce qu'on espère un jour la mettre au niveau de celle du roi d'Angleterre, la renforcer du système des deux chambres, parce que dans ce système un roi peut disposer de l'or et du sang des citoyens ; et que c'est là le but des intrigues de la maison d'Autriche, c'est-à-dire, un moyen de donner une nouvelle force au traité de 1756. Vous devez aussi prononcer incessamment contre M. Bertrand, ses mensonges, la désorganisation de la marine, qui est son ouvrage, sa complaisance pour les officiers de Coblentz, qui annonce sa complicité avec les émigrés, ses adieux au ministère, qui semblent annoncer de très grandes espérances à la contre-révolution, enfin, ce qui n'est pas assez connu, son projet de donner au roi la suprématie des colonies, concerté avec les assemblées coloniales, et auquel se lient les troubles de Saint-Domingue.

Je n'anticiperai point sur ce qui vous sera dit à cet égard d'après le rapport des commissaires nouvellement arrivés : il sera facile de prouver que les secours dont vous avez ordonné l'envoi ont été si mal combinés, qu'arrivant successivement, ils n'ont pu servir à seconder en rien les efforts des commissaires civils, et que les colons ont eu le temps de corrompre tous les soldats à mesure qu'ils arrivaient. Voici le second grief, bien plus fort. Vous vous rappelez l'invitation que vous fîtes au roi de ne point faire tourner le fer des soldats contre les mulâtres. Non-seulement il n'eut aucun égard à cette invitation, mais il la couvrit du plus profond silence. Il ne la communiqua point aux assemblées coloniales, et les troubles s'accrurent, et la division se fomenta de plus en plus ; enfin, le parti des blancs surtout, se souilla de flots de sang qu'il fit couler pour assouvir ses vengeances. Tels sont les maux de tout genre que l'on doit attribuer à la coalition désignée sous le nom de comité autrichien.

Je vous l'ai dit, le but de ce comité est et sera toujours d'élever ce que l'on appelle la prérogative royale aux dépens de celle des représentants du peuple ; de soutenir la maison d'Autriche, parce qu'elle devait soutenir à son tour l'autorité du roi et les prétentions des émigrés. De là les veto qui protégèrent les conspirateurs, et dont on se vantait. Lisez les proclamations par lesquelles on a prétendu en expliquer les motifs. Voyez avec quel art on y cherche à discréditer l’assemblée nationale et à relever les prérogatives royales. Voyez encore ce ministre dans ses rapports à l'assemblée, accumulant mille difficultés, se plaignant de son inactivité en même temps qu'il entravait ses opérations ; combinant un message pour couper, intervertir une délibération ; intervenant dans les discussions ; donnant lieu à des séances orageuses pour en prendre occasion de faire des leçons à l’assemblée nationale. Voyez-le dans les journaux qu'il dirigeait : ils n'ont cessé de prêcher le mépris de l’assemblée nationale. Ne faudrait-il pas être aveugle pour ne pas voir le système de ce comité autrichien ? Ce système était et est encore celui des intrigues pour influencer le roi, et des calomnies pour égarer l'opinion publique.

C'est celui que M. Montmorin disait être meilleur que les moyens violents ; et il s'écartait en cela des vues des princes. Des calomnies et des semences de division valent mieux, suivant lui, que des armées. Il est encore, ce comité, dans la nomination précipitée du gouverneur du fils du roi ; il se manifeste tous les jours, par les placards, par les mille et un suppléments de journaux ; il est dans cette procédure du juge Larivière, qui avait pour but de commencer la contre-révolution par un juge de paix ; enfin, il se montre dans la dénonciation ridicule de ses chefs, contre les écrivains qui ont eu le courage de dévoiler ses intrigues. Qui n'a pas reconnu son influence dans la lenteur, dans le défaut total, dans l'hypocrisie des préparatifs de guerre confiés à des bureaux appartenant à ce comité ? Qui ne l'a pas reconnue dans la communication de nos plans de campagne à nos ennemis, même avant qu'ils fussent connus de nos généraux, dans les mécontentements simulés, dans les démissions combinées des officiers ? Ces démissions, évidemment encouragées par une faction puissante, ne sont-elles pas un crime, quand elles ont pour but de réduire la France à un état d'impuissance qui la force de consentir à une médiation ?

Ouvrez un registre d'information, et bientôt vous aurez porté la lumière sur toutes les manœuvres de ce comité. Chaque pièce vous dévoilera celles que l'on imagine chaque jour pour parvenir au but principal, celui des deux chambres. Toutes ces pièces, qui sont, soit au comité de surveillance, soit au comité diplomatique, ou celles qui, m'ont été directement confiées, sont des dépositions faites par-devant des juges-de-paix, des municipalités, etc., des renseignements fournis par des corps administratifs, des notes toutes signées, etc. Elles vous feront connaître enfin cette chaîne d'intrigues dont le premier anneau est tenu à Vienne par Breteuil, l'autre ici, à Paris, par le comité autrichien. Vous verrez qu'il propage sa doctrine dans les états-majors, les tribunaux ; qu'il existe, ce comité, dans les conciliabules et les rassemblements de gens suspects, qui se font à Paris ; ouvrez ce registre, et vous y verrez le projet, tant de fois conçu et tant de fois abandonné, d'enlever le roi.

Ouvrez ce registre, et vous apprendrez quel était l'objet de ce complot, qui devait soumettre l'assemblée nationale à la police, d'un juge de paix ; ouvrez ce registre, et vous verrez ceux qui prêchent au jeune prince royal le mépris de la Constitution, qui ressuscitent aux yeux du roi les signes de la noblesse ; ouvrez ce registre, et vous verrez les manœuvres qu'on a employées dans la garde du roi pour se l'asservir ; enfin, ouvrez ce registre, et vous y trouverez des pièces que la prudence ne me permet pas de dévoiler, etc. »

(Fin du discours)
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