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Brissot contre le général Lafayette

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Message  Bart Jeu 15 Déc 2005 - 21:55

Discours de Brissot à la Législative, le 8 août 1792 contre Lafayette


« Je viens briser une idole que j'ai longtemps encensée. Je me ferais d'éternels reproches d'avoir été le partisan et l'admirateur du plus perfide des hommes, si je ne me consolais en pensant que la publicité de mon opinion expiera ma trop longue erreur. Des témoins irréfragables accusent M. La Fayette : sa lettre du 16 juin à l’assemblée nationale, son ordre à l'armée du 26, et sa pétition lue à votre barre le 28 du même mois. Je vais retracer à vos yeux les dépositions de ces témoins. Il faut les avoir entendus avant de prononcer sur le sort du coupable. Je laisserai M. La Fayette rappeler qu'il présenta à l’assemblée constituante une déclaration des droits qui ne fut pas très accueillie ; qu'il épousa en Amérique la cause de la liberté avec laquelle il a, depuis lors, fait divorce. Je le laisserai faire son éloge, et suppléer prudemment à l'inaction des panégyristes et au silence de l'opinion. S'il n'avait commis d'autre crime que de se livrer au délire d'une vanité ridicule, échappant a vos regards par sa petitesse même, il ne mériterait point d'occuper le moins précieux de vos instants.

Mais ce n'est point une folie, c'est un crime qu'il a commis. Ce crime, je ne le chercherai point dans les calomnies qu'il vomit en insultant à un de vos décrets rendus à la presque unanimité, contre des ministres intègres, auxquels il lui est très permis de rendre le mépris qu'ils ont pour lui. Mais je le chercherai, ou plutôt je vous le montrerai peint en traits ineffaçables dans l'insolence mensongère avec laquelle il attaque les représentants du peuple, dans l'audacieuse perfidie avec laquelle il les accuse, et cherche à les déshonorer et à les perdre dans l'opinion.

Sous quel aspect présente-t-il l'assemblée des élus et des mandataires du souverain ? Sous l'aspect d'une réunion confuse d'hommes également méprisables, quoique divisés en deux partis ; sous l'aspect d'un monstrueux assemblage d'intrigants et de dupes, de factieux et de lâches, de tyrans et d'esclaves. Ouvrez sa lettre, vous y trouverez ces expressions dont le sens n'est pas équivoque : Portez vos regards sur ce qui se passe dans votre sein et autour de vous. Pouvez-vous vous dissimuler qu'une faction, et pour éviter les dénominations vagues, que la faction jacobite a causé tous les désordres ! c'est elle que que j'en accuse hautement. Et où est cette faction que M. La Fayette accuse ?

Ce n'est pas seulement autour de vous, comme il a l'adresse perfide de l'ajouter. S'il ne l'avait vue due hors de votre sein, que pourraient importer à la nation et ses visions, et ses calomnies, et ses injures et ses fureurs ? Mais cette faction, qu'il accuse, c'est ici qu'il la voit d'abord ; c'est dans votre sein qu'il la trouve ; s'il ajoute et autour de vous, cette addition machiavélique n'est qu'un voile qu'il jette sur la noirceur de son âme, un bandeau dont il couvre à demi l'empreinte du coup sacrilège qu'il a frappé, et une porte qu'il s'ouvre pour échapper à la loi insolemment provoquée.

Ce que M. La Fayette appelle faction jacobite, c'est cette masse imposante d'amis de la liberté qui n'ont jamais voté que pour elle ; c'est cette fière majorité qui, en consentant que César fût grand, a toujours voulu que Rome fût libre ; qui s'est fortement prononcée quant il a fallu opter entre les droits sacrés du peuple et les prérogatives usurpées ou conventionnelles des rois ; qui s'est constamment levée toute entière pour l'égalité contre des privilèges, pour des opprimés contre des oppresseurs, pour tous contre quelques-uns. C'est donc la majorité de l'assemblée nationale que le général La Fayette présente comme une faction. C'est elle qu'il accuse hautement d'être la cause de tous les désordres, Quelle affreuse conséquence ne laisse-t-il point à déduire ! C'est qu'il faut frapper et détruire cette majorité qu'il désigne, et que ce n'est qu'à ce prix que l'ordre et la tranquillité renaîtront. Je poursuis la lecture de cet impudent libelle, et non loin des expressions que je vous ai déjà citées, je vois une nouvelle preuve de perfidie et de conspiration. C'était peu d'avoir présenté une partie de l'assemblée comme une faction que rien n'arrête ; il présente l'autre partie comme une masse inerte et molle, qui ne sait s'opposer à rien.; il ne craint pas d'avancer que ce qu'il appelle la secte, la corporation jacobite, subjugue les représentants et les mandataires du peuple français.

Ainsi, les représentants et les mandataires du peuple sont donc courbés sous le joug de quelque chef de parti, à genoux devant quelques intrigants, prosternés bassement aux pieds de quelques séditieux ; ainsi les représentants, les mandataires du peuple sont donc des hommes sans caractère, sans énergie, sans respect pour leur mission, sans amour pour leurs devoirs, sans vertus, sans mœurs, sans probité ; ainsi, les représentants et les mandataires du plus grand de tous les peuples sont donc ce qu'il y a de plus vil et de plus méprisable dans l'univers. Oui, c'est ainsi qu'il les peint, cet horrible conspirateur, qu'on a encore le courage d'excuser !

En vain voudrait-on persuader que le tableau qu'il trace n'est le fruit que de l'étourderie ou du délire. J'y vois toutes les combinaisons d'une méchanceté réfléchie, d'une perversité paisible, d'une scélératesse froide. J'y vois l'intention bien marquée de dissoudre le corps législatif, et d'étouffer la liberté. Eh ! qui pourrait s'aveugler jusqu'au point de ne pas l'y voir ? Supposer une faction puissante dans le sein du corps législatif ; exciter des insurrections, ou préparer des assassinats ; montrer une grande masse d'hommes subjugués et nuls, c'est appeler le mépris public ; ainsi, le traître que j'accuse a su disposer les choses de manière à perdre à la fois tout le corps législatif. Si je ne présente qu'une faction, s'est-il dit à lui-même, je ferai tomber quelques têtes, mais le peuple se réunira autour de celles qui auront échappé à mes coups ; assurons un projet unique par l'emploi d'un double moyen ; ici, montrons des factieux dont l'audace ne fait point connaître de frein, et je les ferai tomber sous le tranchant d'un fer homicide ; là, montrons des hommes ineptes, des âmes lâches, et ils seront renversés de leurs sièges par le torrent de l'opinion ; obtenir le sang des uns et l'oubli des autres, c'est assurer la perte de tous, et arriver au but.

Ce but, le conspirateur que j'accuse, n'a pas même pris la peine de le voiler. Voulez-vous voir à découvert son projet liberticide ? fixez un instant vos regards sur le paragraphe que je transcris : Assurés qu'aucune conséquence injuste ne peut découler d'un principe pur, qu'aucune mesure tyrannique ne peut servir une cause qui doit sa force et sa gloire aux bases sacrées de la liberté de l'égalité, faites que la justice criminelle reprenne la marche constitutionnelle ; que l'égalité civile, que la liberté religieuse jouissent de l'application des vrais principes. Bouillé, Laqueuille, Mirabeau, tiendraient-ils un autre langage ? et quand ils exhalent leurs fureurs contre l’assemblée nationale, empruntent-ils d'autres traits ? Qu'êtes-vous d'après La Fayette, des hommes qui se sont livrés à des mesures tyranniques ; des hommes qui ont arrêté la marche de la justice criminelle, des hommes qui ont violé et l'égalité civile et la liberté religieuse.

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Dernière édition par le Mar 17 Jan 2006 - 10:48, édité 1 fois
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Message  Bart Jeu 15 Déc 2005 - 21:56

(suite du discours)

Je ne m'abaisserai point à justifier les décrets que La Fayette marque au coin de la tyrannie et de la violation de tous les principes ; mais je dirai qu'un général qui accuse le corps législatif, le menace ; je dirai qu'un général qui, à la tête de cinquante mille hommes, peint les décrets du corps législatif comme une violation ouverte des principes les plus sacrés, est un conspirateur qui provoque l'insurrection des troupes qu'il commande, qui cherche à anéantir la puissance législative par la force armée, qui vise manifestement à substituer les évolutions militaires aux discussions, et les baïonnettes aux lois. En effet, s'il était vrai que l'assemblée nationale fût une réunion de tyrans, pour qui il n'est rien de sacré, quel usage devraient faire de leurs armes les citoyens qui ne les ont prises que pour maintenir la liberté ! Quel autre parti l'armée aurait-elle à prendre que celui de marcher et de dissoudre ? Eh bien ! le général qui peint sous ce point de vue l'assemblée nationale à l'armée n'est-il pas ouvertement en état de conspiration ? Il ne fallait plus qu'un mot pour achever d'assimiler le langage de La Fayette à celui des conspirateurs d'outre-Rhin, et ce mot, La Fayette le prononce : Que le pouvoir royal soit intact. O perfidie dont on a peine à concevoir la profondeur ! Est-ce soupçon ou reproche ? Est-ce crainte ou accusation ? Que veut-on insinuer à l'armée et à la nation ? Veut-il leur persuader que nous avons voulu ; que nous voulons attenter au pouvoir constitutionnel du roi, ou bien que nous l'avons déjà fait ? C'est évidemment l'une ou l'autre de ces deux suppositions ; car si l'on avait été convaincu, si l'on avait voulu convaincre que l'assemblée nationale n'avait jamais touché à ce pouvoir, qu'elle ne voulait point y porter atteinte, à qui aurait-il été bon de demander que ce pouvoir restât intact ?

Dans la première supposition, que dit le général à l'armée, sinon : Arrêtez les projets ambitieux d'un corps usurpateur qui veut envahir un pouvoir qu'il ne peut avoir légalement, et qu'il ne cumule sur sa tête qu'au mépris de ses serments et du vœu national ? Que lui dit-il dans la seconde, sinon : Rétablissez les droits de celui que la Constitution vous donne pour chef ; vengez les violations commises contre son autorité légitime, et rendez-lui, par la force des armes, ce qu'on lui a enlevé par l'injustice des lois ? Que dit-il à la ligue des rois, à la faction des rebelles, à l'armée des conjurés ? que leur dit-il, sinon : Votre but est le mien ; notre cause est commune ; comme vous, c'est le roi que je veux défendre contre les attentats de la prétendue assemblée des représentants de la nation ; comme vous, je veux être le soutien de la monarchie française ; ce n'est pas à vous que je ferai la guerre ; mais avec vous je la ferai à la faction des républicains ; et n'est ce pas à cette faction que les conspirateurs et les tyrans prétendent faire la guerre ? n'est ce pas pour défendre le roi contre elle qu'ils ont prétendu se liguer ? Que vous ont dit dans le temps Léopold et Kaunitz ? Que personne ne vous attaquerait si vous mainteniez l'autorité royale dans toute sa plénitude ; mais que si vous osiez y porter atteinte, alors les puissances étrangères sauraient se lever pour punir votre coupable témérité. Que font sonner de toutes parts les rebelles ? qu'ils ne veulent que rétablir la monarchie et la religion. Eh bien ? La Fayette demande-t-il autre chose ? Comme eux, il veut seulement que le pouvoir royal soit intact, que la liberté religieuse reçoive l'application des vrais principes. Ce que Kaunitz vous a dit dans de longues notes officielles, ce que les conspirateurs répètent sans cesse dans leurs clameurs journalières, c'est ce que vous dit La Fayette, avec cette seule différence qu'il renferme ses expressions dans une précision ménagée, par une perfidie adroite qui, voulant éviter également, et d'être ignorée, et d'être punie, ne se montre qu'autant qu'il le faut pour être vue par l'opinion qu'elle fronde sans pouvoir être, frappée par la peine qu'elle craint.

Un général qui emprunte artificieusement tous les prétextes des ennemis de la patrie ne vous paraît-il pas lui-même un ennemi de la patrie ? A l'identité de langage, vous ne reconnaîtriez pas l'identité de sentiments, de motifs et de desseins ! Vous n'avez pu souffrir que des rois vous tinssent cet insolent langage, et vous le souffririez lâchement de la part d'un général ! Vous avez frappé tous les traîtres jusque sur les marches du trône, et vous n'oseriez les poursuivre jusqu'à la tête de vos camps ! Vous avez préféré les maux et les horreurs de la guerre à la honte d'être menacés par des ennemis couronnés, et vous préféreriez la honte de voir la majesté nationale outragée à la sévérité d'une loi contre un méprisable agent d'ennemis déjà bravés ! Non, l'assemblée ne se souillera point par une bassesse, quand elle peut s'honorer par un acte éclatant de grandeur. Je n'ai examiné jusqu'ici que la lettre de La Fayette ; il me reste maintenant à examiner sa pétition ; vous ne l'avez vu encore que dans le camp, je vais vous le montrer à votre barre. Quand je l'y vis paraître, je crus d'abord, je vous l'atteste, qu'il venait rétracter une lettre qui n'avait été écrite que dans un moment d'erreur, et j'étais prêt à lui rendre encore une estime qu'il eut longtemps; mais mon indignation égala bientôt ma surprise, quand je l'entendis ajouter l'insolence à la perfidie et l'audace à la trahison. Ici les prévarications s'entassent ; d'abord, c'est sans congé qu'il a quitté son armée, comme s'il était permis à un général d'abandonner des soldats en présence de l'ennemi, comme s'il pouvait être assuré que pendant son absence l'armée ne serait point compromise, comme s'il pouvait être certain que les ennemis ne feraient aucun mouvement, à moins qu'il n'eût eu la prudence de se concerter avec eux. Que vient-il faire ? Il vient vous dire qu'il a reçu un très grand nombre d'adresses de différents corps de l'armée, c'est-à-dire, en d'autres termes, qu'il a violé son devoir et la loi. S'il est vrai que la force publique soit essentiellement obéissante, et que nul corps armé ne puisse délibérer, pouvait-il recevoir des adresses des divers corps de son armée ? Ne devait-il pas faire punir ceux qui les lui auraient présentées, s'ils eussent persisté à violer la loi après qu'il la leur aurait rappelée ?

Non-seulement il reçoit ces adresses, que des soldats induits en erreur se permettent contre le texte de la Constitution, mais même, dans son ordre du 26 juin, il déclare qu'il reconnaît dans ces démarches, le patriotisme le plus pur, un témoignage de plus de dévouement à la Constitution. Ces adresses inconstitutionnelles, c'est lui-même qui les provoque, ce sont les agents qui l'entourent, qu'on voit parcourir les bataillons pour mendier des signatures. Ce fait, dirai-je, ou cette bassesse, qu'on a vainement voulu nier, ce fait est constaté par le témoignage même de divers officiers et soldats qui ont eu le louable courage d'invoquer la Constitution et de refuser de signer des actes qui la violaient ouvertement. Je vous rappelle la dénonciation qui vous fut faite, le 7 de ce mois, par M. Boutidoux, capitaine dans l'armée de La Fayette, dénonciation dont je dirai que le rapporteur de votre commission des douze a totalement oublié de faire mention, sans que je veuille néanmoins juger ses intentions patriotiques avec plus de sévérité qu'il ne veut que vous jugiez vous-mêmes celles de M. La Fayette ; dénonciation où M. Boutidoux vous déclare que, sollicité de signer une adresse d'adhésion à la pétition du général, il s'y est constamment refusé, la Constitution à la main, et que ce refus, qui eût dû ne lui mériter que des éloges, ne lui a attiré au contraire que des traitements si tyranniques qu'ils l'ont forcé à donner sa démission ; dénonciation enfin qui doit laisser d'autant moins de doutes, que le pétitionnaire invoque le témoignage de neuf bataillons qui ont imité son refus, malgré les sollicitations et les intrigues du général.

C'est donc à dire, non-seulement qu'il tolère la violation de la loi, mais que c'est lui-même qui la provoque, et qui n'a l'air de vouloir y mettre un terme que lorsqu'il croit avoir conquis un assez grand nombre de signatures pour se constituer l'organe et le représentant de son armée, auprès du corps législatif. Ne vous dit-il pas lui-même, dans sa pétition, ou plutôt dans son manifeste qu'il a pris, avec ses braves compagnons d'armes, l'engagement d'exprimer seul tous leurs sentiments communs. Exprimer le vœu d'une armée ! une armée a-t-elle un vœu ? a-t-elle pu en émettre ? lui a-t-il été permis de délibérer ? Le général qui l'a permis, le général qui l'a voulu, le général qui l'a approuvé, le général qui l'a fait faire, n'a-t-il pas commis un crime contre la Constitution, qui le défend expressément ?

A cette prohibition constitutionnelle, rejoint une loi du 29 septembre 1791, que je rappellerai encore à ceux qui, chargés de vous faire un rapport sur le compte de La Fayette, ne vous firent le premier jour qu'une indécente apologie que la force de la vérité les contraignit de rétracter le lendemain. Cette loi n'est pas équivoque, elle porte, art. de la section III : Toute délibération prise par les gardes nationales sur les affaires de l'état, du département, du district, de la commune, même de la garde nationale, à l'exception des affaires expressément renvoyées au conseil de. discipline, est un délit contre la Constitution, dont la responsabilité sera encourue par ceux qui auront provoqué l'assemblée, et par ceux qui auront présidé.

Je demande si une armée entière n'est pas plus essentiellement force publique que la garde nationale d'une commune ; si la délibération d'une armée entière n'est pas à la fois ; et plus criminelle, et plus dangereuse pour la liberté, que celle de la garde nationale d'une commune.

Le général qui est venu porter à l'assemblée nationale cette violation ouverte d'un article constitutionnel ne s'est-il pas ouvertement rendu coupable du crime de lèse-Constitution ? et il vient vous parler d'anéantir le règne des clubs, lui qui a transformé en club son armée entière ! Et il ose invoquer les lois, lui qui les a toutes violées en faisant d'un grand corps armé une assemblée délibérante ! Lui qui a foulé aux pieds le seul principe sans lequel tout gouvernement dégénère soudain en despotisme militaire, parce que la force devient droit, et l'obéissance nécessité... Il ne serait point coupable d'attentat coutre la sûreté publique, le violateur ouvert du seul principe qui fonde et maintient la liberté ! Ah ! si pour être accusé il faut s'être abandonné à des attentats plus horribles, jamais il n'existera de scélérat assez insigne pour être atteint par la loi.

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Message  Bart Jeu 15 Déc 2005 - 21:57

(suite du discours)

Si le premier attentat de ce genre commis contre la liberté française reste sans punition éclatante, la génération qui naguère vit naître la liberté française ne descendra point au tombeau sans y emporter des pleurs et des fers. Des fers ! oui, l'on vous en prépare, et c'est La Fayette qui les forge. Ne vous rappelez-vous donc pas qu'il n'a semblé paraître à votre barre que pour vous menacer de vous en couvrir : On a dit que ma lettre du 16, à l'assemblée nationale, n'était pas de moi ; on m'a reproché de l'avoir écrite au milieu d'un camp. Je devais peut-être, ajoute-t-il ironiquement, pour l'avouer, me présenter seul, et sortir de cet honorable rempart que l'affection des troupes formait autour de moi.

Te présenter seul... insolent conspirateur ! Est-ce donc que tu pouvais te présenter autrement ! Est-ce que tu pouvais marcher à la tête de ton armée, vers le saint et inviolable asile des représentants du souverain ! Est-ce que tu pouvais te montrer précédé des canons et entouré de baïonnettes ! Est-ce qu'il n'a donc tenu qu'à toi de venir frapper et anéantir ces sénateurs impuissants devant qui tu veux bien, par condescendance, te présenter seul.

Tu devais peut-être sortir de cet honorable rempart que l'affection des troupes formait autour de toi. Est-ce donc qu'aucune puissance humaine n'eût été capable de t'y atteindre ? Est-ce que la loi même n'aurait pu te tirer de derrière ce rempart ? Est-ce que, s'il ne t'avait pas plu d'en sortir pour nous braver, tu aurais pu y mépriser en paix et la voix de l'indignation publique, et la justice du sénat français ? Audacieux Catilina, serait-ce bien, réponds-moi, ce que tu as voulu nous dire ? As-tu méconnu la grandeur des mandataires du peuple dans ta stupide folie, ou as-tu voulu braver leur puissance dans ton arrogante témérité ? Ah ! si Catilina avait tenu ce langage au sénat de Rome, croyez-vous qu'il fût sorti du sénat comblé d'applaudissements, ou frappé du glaive de la loi ? Aussi le sénat romain fut-il, toujours grand et Rome longtemps libre.

Je me lasse de fixer mes regards sur des horreurs qui m'indignent. Laissez-moi passer sous silence les expressions révoltantes, soit de l'ordre du 26 juin, soit du discours lu à la barre. Le général craindrait que les offres énergiques des troupes particulièrement destinées à la défense des frontières, ne fussent traîtreusement interprétées par nos ennemis crachés ou publics, il suffit, quant à présent, à l'assemblée nationale, au roi, et à toutes les autorités constituées, d'être convaincus des sentiments constitutionnels des troupes.

Il suffit quant à présent ; mais si après que j'aurai paru dans le sanctuaire des lois ; si après que j'aurai parlé le langage altier d'un souverain aux représentants du souverain, même, ils ne tremblent à ma voix, s'ils n'obéissent à mes ordres, alors vous accomplirez vos offres, j'effectuerai mes menaces ; et malgré les imprécations et les anathèmes d'un sénat que je méprise, nous passerons le Rubicon. Déjà plusieurs se demandent si c'est vraiment la cause de la liberté et de la Constitution qu'ils défendent. Imposteur, tu les calomnies ; ils ont pour leurs représentants une confiance que tu n'as pas, ils respectent les lois que tu violes, ils aiment leur patrie que tu déchires, tu leur supposes les erreurs, les soupçons et les incertitudes dont tu voudrais les voir agités ; la fissent-ils en effet, la question que tu leur prêtes, n'est-ce pas toi seul qui en serais cause ? Ne leur as-tu pas dit toi-même qu'ils ne combattaient que pour une faction ? Toi, qui devrais les instruire, tu les égares ; au lieu d'être leur général, tu n'es que leur vil corrupteur.

C'est sous ce point de vue que je vous dénoncé La Fayette ; je le dénonce comme employant toutes sortes de moyens pour aveugler, pour tromper, pour séduire les soldats ; j'atteste sur le témoignage rendu par un officier-général au maréchal Luckner même, que La Fayette a fait distribuer à son armée pour 100 000 francs d'eau-de-vie. Qu'on juge des vues d'un général si prodigue envers les soldats des moyens d'égarer leur raison.

Enfin il est un fait... je n'osais presque pas récrire ; les caractères même que je traçais me semblaient ensanglantés... Le bandeau doit tomber des yeux de tous les hommes de bonne foi, qui sont ce que je fus moi-même, dupes du plus odieux des traîtres, idolâtres du plus vil des hommes.

Pouvez-vous vous défendre d'un frémissement d'horreur ! La Fayette a voulu faire marcher des troupes vers la capitale, et engager le brave Luckner, qui a été inébranlable, à partager cet acte de scélératesse et de haute trahison. La proposition en a été faite à Luckner par M. Bureau-Puzy. J'invoque ici le témoignage de six de mes collègues auxquels cet exécrable projet a été révélé en même temps qu'à moi : ce sont MM. Brissot, Guadet, Gensonné, Lamarque, Delmas et Hérault. Je demande qu'on interpelle le maréchal Luckner lui-même, et s'il reste le moindre doute sur l'exécration inouïe dont j'accuse ici La Fayette d'avoir voulu se rendre coupable, je consens à être moi-même aussi vil, aussi coupable, aussi sévèrement puni, aussi exécré que ce traître dont le nom seul me fait frémir ! Faut-il la moindre réflexion pour vous montrer ici le plus affreux des crimes ? N'est-il pas superflu de vous dire que, si le brave Luckner n'avait été ferme à son poste et fidèle à la loi, le sang des citoyens de Paris aurait coulé sous le fer de leurs frères trompés ; que le temple de la loi aurait été violé ; que la statue de la liberté aurait été couverte d'un crêpe funèbre ; et que La Fayette aurait été, pour la seconde fois, l'assassin de son pays ?

Cet homme, dont l'imprudence seule égale la scélératesse, a osé aire qu'on ne lui disputerait pas de bonne foi l'amour de la liberté. Lui ! l'amour de la liberté! Cromwell aussi parlait sans cesse de l'amour de la liberté, et répétait souvent le mot république, comme La Fayette le faisait en 1791. L'amour de la liberté dans le cœur de La Fayette ! et il ose défier qu'on lui dispute cette vertu ! Eh bien ! c'est moi qui accepte le défi qu'il a le front de faire à ses concitoyens, cet homme encore couvert du sang des victimes du Champ-de-Mars ; c'est moi qui l'accuse d'être le plus horrible ennemi de la liberté de sa patrie.

Qu'on ne vienne pas me parler des désordres que pourrait produire dans l'armée la proscription de son général. On insulte des soldats citoyens ; il savent qu'ils avaient une patrie avant qu'on leur donnât un chef ; ils savent qu'ils étaient libres avant qu'ils fussent commandés. Le législateur se déshonore quand il voit autre chose que les principes. Là où les principes cèdent, il n'y a qu'anarchie et dissolution. Qu'on ne vienne point m'étaler avec une pompe mensongère des services rendus jadis à la liberté par le héros des deux mondes. Lâches idolâtres ! parce que vous avez cru quelque temps encenser une divinité, resteriez-vous plus longtemps courbés, quant vous voyez que ce n'est qu'une idole ! Quand avons avez puni les soldats qui s'étaient rendus coupables à Tournay, à Mons et à Neubrissac, avez-vous calculé les fatigues qu'ils avaient jadis essuyées, les dangers qu'ils avaient bravés, les blessures qu'ils avaient reçues, les ennemis qu'ils avaient vaincus ? Et quand il serait vrai que Manlius eût sauvé le Capitole, si Manlius trahissait sa patrie, en devrait-il moins être précipité du roc Tarpéien? La Fayette n'a pas eu la gloire de sauver sa patrie, et il a la bassesse de la trahir.

Je n'ai plus qu'un mot à ajouter : le gouvernement militaire vous attend ; il y a déjà longtemps qu'on vous entraîne à votre insu vers ce genre de despotisme ; si vous ne frappez aujourd'hui le premier général rebelle, demain vous avez des tyrans. Je déclare que si La Fayette échappe au glaive de la loi, l'assemblée n'est point digne de sa mission, et qu'elle se déshonore par une timidité, une faiblesse, et une lâcheté coupables qui compromettent le sort de la liberté.

Pour moi, en démasquant un traître, j'ai servi mon pays ; si j'obtiens sa punition, j'aurai sauvé ma patrie ; si mes efforts sont impuissants, je n'en aurai pas moins acquitté le tribut que je devais à ma conscience. Le premier de tous mes vœux comme de tous mes serments est celui de vivre libre. Que m'importe de m'être exposé à la haine des courtisans, aux calomnies des libellistes, aux proscriptions des tyrans et aux poignards des assassins ? je demande que M. La Fayette soit mis en état d'accusation. »

(Fin du discours)
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