Forum sur la Gironde & Manon Roland
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Portrait de Bosc par Antoine Da Sylva

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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:10

Bosc, signale son goût très précoce de la nature, favorisé par l’environnement champêtre de son enfance, développé plus tard par les leçons de Durande à Dijon et par la lecture de Jean Jacques Rousseau :

« Je suis né à Paris le 29 janvier 1759. Mon père Paul Bosc, docteur en médecine, connu par d’utiles écrits sur la médecine et les arts chimiques, appartenait à une ancienne famille protestante des Cévennes ruinée par les guerres de religion. »

Les Bosc sont originaires d’un village du Tarn, Pierre-Segade. Les habitants de ce lieu isolé, malgré les interdictions, pratiquent le culte réformé. La famille Bosc exerce la médecine de père en fils. Paul hésite entre pasteur et médecin. Il entreprend d’abord ses études de médecine à Nîmes, puis en 1747, il entre au séminaire de Lausanne pour devenir pasteur. Pendant son séjour en Suisse, il s’affilie à une loge maçonnique sous le nom de d’Antic. En 1751, Paul est consacré pasteur à Genève mais il n’oublie pas qu’il a fait des études de médecine, comme sa religion ne lui permet pas de se présenter devant une faculté française, il obtient, en 1753, son diplôme de docteur en médecine à la faculté hollandaise de Harderwijk sous le nom de Bosc d’Antic. Mais à Paris, au contact de riches protestants étrangers, Paul Bosc change une nouvelle fois l’orientation de sa vie et se lance dans la chimie pour approcher les entreprises industrielles. C’est dans la manufacture royale de glace de Saint-Gobain qu’il exerce ses premières armes. La compagnie connaît une mauvaise passe. Paul perfectionne le lessivage de la soude en réduisant considérablement son coût et lance en 1757 une nouvelle technique de production en introduisant la recuisson des glaces. Les milieux protestants de Paris constatent qu’il ne remplit plus ses fonctions pastorales et lui donnent son congé. Heureusement car le chimiste s’est épris de Marie Angélique d’Hangest, demeurant à Wissignicourt au sud de Saint-Gobain. Paul Bosc fait l’impasse de son passé et se marie le 13 juin 1757 selon les rites de l’église romaine dans la paroisse de Saint-Rémy de Richecourt.

« Ma mère Marie Angélique d’Hangest était fille d’un officier général d’artillerie originaire de Laon. »

Les ancêtres de Marie Angélique, après avoir acheté des charges anoblissantes, avaient acquis le fief d’Hangest près de La Fère. Louis, son frère aîné, exerce le même métier que son père comme officier d’artillerie. En 1758, Paul Bosc quitte la manufacture de Saint-Gobain et le ménage s’installe à Paris. Paul fait la connaissance de François Veron de Forbonnais, inspecteur général des monnaies, qui lui propose de construire en société une fabrique de glaces à Rouelles. Le 9 janvier 1759, la société est fondée. Diderot glissera une planche de la fabrique dans son Encyclopédie. Le 25, Marie Angélique met au monde un fils, prénommé Louis Augustin Guillaume, mais deux ans plus tard à la suite d’une couche malheureuse elle s’éteint le 1er février 1761.

« J’ai passé les cinq premières années de ma vie à Vissignicourt, près de Laon, chez ma grand-mère maternelle. »

Pour recréer un foyer destiné en particulier à ses trois enfants en bas âge, Marie Angélique, Louis et Agathe, Paul Bosc, en avril 1762, épouse Angadrène, la sœur des frères Lallemand qui exploitent une faïencerie à Aprey. La jeune mariée lui apporte 30 000 livres de dot et une ferme située à Servin, hameau tout proche d’Aprey, que Paul transforme en faïencerie en 1767.

« De là je suis allé chez mon père alors remarié et exploitant une verrerie à Servin près de Langres et j’y suis autant de temps occupé à apprendre à lire et à écrire, et à faire des collections d’histoire naturelle, car j’ai eu ce goût du plus longtemps qu’il me souvient.
A cette époque, j’étais doux, bienveillant, mais sauvage. Je ne me trouvais heureux que lorsque j’étais seul au milieu des bois et entre les rochers qui abondent dans le lieu où je me trouvais. Peut-être cette disposition fut-elle produite par le peu de caresses et le peu de confiance que j’obtenais de ma belle-mère, de laquelle d’ailleurs je n’étais pas maltraité. »

Ayant appris qu’un groupe financier envisage de créer une verrerie en Auvergne, Paul s’intéresse à l’affaire. Il participe à la mise de fond et dirige la construction. La manufacture royale de verre de la Margeride est créée par lettre de patentes le 28 novembre 1769.

« Vers dix ans mon père quoi qu’il se fit 18000 livres de rente par son industrie accepta la proposition d’aller monter des verreries plus en grand à la Margeride près de Saint-Flour, et en partant me laissa en pension au collège de Dijon.
Comme enfant du corps d’artillerie j’avais des avantages à espérer en y entrant. Mon oncle, le général d’Hangest exigea qu’il dirigea mes études dans ce but, en conséquence je fus peu poussé à l’étude des langues anciennes mais beaucoup aux mathématiques ; je restai huit ans à ce collège, fort aimé de mes maîtres et de mes camarades, quoique je fus peu liant, parce que j’étais bien studieux, très rangé, très disposé à obliger tout le monde, et à défendre les opprimés. Les deux dernières années j'obtins de suivre le cours de botanique de Durande et dès lors, excepté les mathématiques, je me livrai presque exclusivement à l’étude de cette science, toutefois sans me refuser la lecture de tous les livres qui me tombaient sous la main ; cette fureur de lire était portée au point que je me refusais toutes les récréations et que je rallumais ma chandelle, après la ronde pour pouvoir lire pendant la nuit. J’avais eu de bonheur une chambre seule et la permission de sortir à volonté, tant été grande la confiance que le chef de la pension avait en moi. Dès lors je faisais souvent des extraits de mes lectures, ce qui me les a gravées dans la mémoire et m’a rendu habile analyste.
Toutes les vacances j’allais passer deux mois dans la famille de ma belle mère, où chez quelque ami de mon père, où en partie à la campagne du collège chez mon maître de pension Monsieur Caillet. Mes maîtres n’étaient points dévots et savaient que j’appartenais à une famille protestante, en conséquence ils ne me violentaient pas pour aller à la messe et ne m’empêchaient pas de lire les Philosophes, en sorte que je n’étais point forcé d’être hypocrite. Je fus cependant tenté de céder aux sollicitations des Chartreux et d’entrer dans leur couvent pour l’amour de la solitude et le plaisir de cultiver un petit jardin. »

Les difficultés s’accumulent à la Margeride. Les associés de Paul Bosc s’aperçoivent que le comte de la Tour d’Auvergne leur a cédé un terrain qui ne lui appartenait pas. D’autre part le comte les a escroqués en fourniture de bois. Les associés se retournent contre Paul le directeur d’exploitation et intentent des procès. En 1773, Paul se réfugie à Servin juste à temps pour assister au décès de sa femme. Il accepte une mission que lui confie Buffon en Angleterre, puis en 1776, avec les débris de sa fortune, il achète une charge de médecin du roi avec une présence trimestrielle à Versailles et s’installe à Paris pour exercer rue Meslé. Il rappelle son fils Louis qu’il avait placé en pension à Dijon, et le fait entrer le 28 février 1777 comme employé dans les bureaux du Contrôleur général des Finances. Louis travaille théoriquement dans une commission chargée de faire revenir dans le domaine royal, les propriétés aliénées sans motif suffisant. Necker supprime cette commission qui gêne certains intérêts particuliers. Alors Paul Bosc fait appel à un ami, Rigoley d’Ogny, intendant général des Postes, et le 1er juillet 1778, Louis entre à la Poste aux chevaux. En 1781, Paul Bosc déménage pour aller s’installer rue du Jardinet Saint-André, avec ses deux filles, Louis ayant loué un appartement rue des Prouvaires et Joseph étant parti entamer son éducation industrielle aux Forges du Creusot.

« A ma sortie du collège j’avais une bibliothèque de 4 à 500 volumes qui fut vendue avec la maison de Servin. Elle contenait de tout mais principalement des ouvrages de métaphysiques et de morale, sciences que j’aimais alors beaucoup parce qu’elles exigeaient de la réflexion. Mais les affaires de mon père prenaient une mauvaise tournure. Des intrigants s’étaient introduits dans l’association dont il faisait partie dans l’intention de spolier les fonds, et ils réussirent, au moins, à ruiner tous les associés par des procès sans nombre. Ne pouvant plus continuer ses entreprises, il se rendit à Paris pour suivre ses procès, et il chercha à me trouver une place dans un bureau, ce qu’il obtint au commencement de 1777… »

Dès son arrivée à Paris Louis Bosc pénètre dans le milieu du Jardin du Roi. Créé par un édit de 1626 dans le Faubourg Saint Victor, le ‘’Jardin royal des plantes médicinales ‘’ est d’abord un établissement d’inspiration médicale. Vers 1720, il cesse d’être le seul domaine des médecins pour devenir ‘’Jardin royal des plantes’’, puis ‘’Jardin du Roi’’, destiné aux agronomes et naturalistes dans le sens le plus large du mot. Depuis 1739, Buffon en assure l’intendance, il veille de très près aux destinés du Jardin, choisit avec beaucoup de soin les maîtres, enrichit les collections, augmente et embellit le Jardin, poursuit dans tous ces domaines une politique de prestige. Deux de ses collaborateurs contribuent à cette réussite, Daubenton et Thouin. Sous son intendance le Jardin est appelé ‘’le phare scientifique de l’Europe’’. La vogue est aussi grande dans le monde studieux des écoles que parmi le public, même le public élégant. La rue tortueuse, qui traverse le faubourg Saint Victor pour conduire au Jardin, est tous les jours sillonnée de carrosses, de chaises à porteurs, dont les occupants dépassent les piétons plus modestes. Au final tout le monde se retrouve assis dans l’amphithéâtre pour recevoir les cours d’un professeur réputé.

« A mon arrivée à Paris je fus mis par mon père en relation avec toutes les personnes qui se faisaient remarquer par leur succès dans les sciences, Parmentier, Daubenton, Buffon, Sage, Thouin, Romé de l’Isle, Buisson, Adanson, etc.… Leur société m’excita de nouveau, me guida dans ma marche. Je suivis tous les cours. Je fréquentais journellement le Jardin du Roi. C’est à la minéralogie, partie que j’avais le moins étudié que je me livrais d’abord avec le plus de suite sous Sage et sous Romé de l’Isle. Je devins bientôt un des élèves les plus forts et les plus chéris de ce dernier. Beaucoup de mes relations avec les minéralogistes datent de cette époque. Je me fis aussi des liaisons, à l’école du Jardin, qui durent encore. »

Depuis 1780, Louis est devenu l’ami des Roland rencontrés au Jardin du Roi. Le mari est un éternel malade. Lors d’un séjour à Paris, il a recours au soin de Bosc père. Revenu à Amiens qui est sa résidence administrative, Roland continue à suivre les prescriptions du ‘’seigneur père’’ par correspondance jusqu’à la mort de Paul en 1784. L’année suivante, La Pérouse prépare un long voyage autour du monde : « Sa femme avait beaucoup d’obligations à ma famille et sur ma simple demande me fait nommer naturaliste de son expédition. » Madame Roland réagit à la nouvelle de ce départ : « Si vous aviez une perspective d’avancement plus prochaine dans votre place, je vous combattrais victorieusement ; vous avez assez d’activité pour le genre d’entreprise qui vous tente, mais vous n’avez pas ce tempérament de fer qui seconde l’énergie morale et suffit aux fatigues d’un voyage. » Madame Roland ajoute qu’il est libre de sa décision et pourtant : « Il faut se taire, c’est où nous en sommes réduits en pleurant comme des enfants. » De son côté Rigoley d’Ogny conseille Bosc, avec les plus vives instances, de rester. Finalement la mort dans l’âme il renonce à son projet. Heureusement pour lui car La Pérouse et ses compagnons trouvèrent la mort sur les récifs de Vanikoro. Bosc poursuit ses travaux au Jardin du Roi et y ajoute une nouvelle branche :

« Bientôt une autre étude, vint partager mon attention, celle des insectes. Personne ne s’y livrait méthodiquement, Geoffroy y ayant renoncé, et Mauduit, Mallet, Guignot n’étant que des collecteurs. L’ouvrage de Geoffroy me servit de guide jusqu’à ce que Broussonet, revenu d’Angleterre me fasse connaître ceux de Fabricius. Plus tard j’étudiais l’ornithologie, l’ichtyologie, l’erpétologie, l’helminthologie et la conchyliologie, presque uniquement pour leur appliquer la nomenclature linnéenne que Jussieu préconisait ».
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:11

Carl von Linné, naturaliste suédois, avait conçu dès l’âge de 24 ans sa célèbre classification des plantes d’après les organes sexuels. Il avait choisi les étamines et les pistils, organes commodes à reconnaître, comme base de son système : les distinctions reposaient sur leur nombre et leur mode d’assemblage. Il arrivait finalement à renfermer tous les végétaux en 24 catégories. ‘’Dans l’extrême confusion apparente des choses, écrivait Linné, se découvre l’ordre souverain de la Nature’’. Voyageant à Paris, Linné entra en contact avec la famille Jussieu et se lia à elle intimement. L’enseignement de Jussieu prit pour Bosc sa pleine signification avec la rencontre du médecin et naturaliste Broussonet. Ensemble Bosc et Broussonet fondent la Société linnéenne puis la Société d’histoire naturelle de Paris, institutions destinées au plus brillant avenir. Le 23 août 1790, sous le cèdre du labyrinthe du Jardin du Roi est inauguré par les naturalistes de Paris le buste de Linné. Le buste si pompeusement inauguré ne tarda pas être brisé par la population, qui avait cru lire Charles IX à la place de Charles Linnoeus !

« A cette époque, mes collections de plantes et d’insectes, que je recueillais dans la forêt de Montmorency, étaient déjà de quelque importance et étaient journellement à la disposition de mes amis et des étrangers. Je concourus en 1788, avec Broussonet et Olivier à la fondation de la Société Linnéenne à laquelle succéda la Société d’histoire naturelle. C’est la seconde de ces Sociétés qui, en 1790, éleva au jardin des Plantes sous ma présidence un monument à Linnaeus ».

Les lettres de Madame Roland à Bosc nous montrent le cas qu’elle faisait de sa science de naturaliste. Elle l’appelle non sans humour ‘’monsieur le docteur’’ et le consulte souvent. Bosc commence à publier dans des revues scientifiques.

« Alors je fus excité à rédiger des mémoires pour remplir les Séances de ces Sociétés et j’en ai rédigé un grand nombre dont une partie dans le recueil de la Société d’histoire naturelle, dans le journal d’histoire naturelle, dans le journal de Physique. Les autres ont été envoyés à des sociétés provinciales et étrangères ».

Le domaine auquel s’intéresse Bosc et auquel il ne cessera de s’intéresser peut paraître au profane extrêmement répugnant : les insectes, les araignées, les vers. Parmi ses manuscrits au Muséum d’Histoire Naturelle, on trouve un ‘’Cenaculum insectorum’’ daté de 1788 (ms.873, 101 feuillets) et un manuscrit particulièrement émouvant intitulé ‘’Araignées de la forêt de Montmorency décrites et dessinées par Louis Augustin Guillaume Bosc pendant qu’il était caché à Sainte Radegonde lors de la Terreur, septembre 1793 (ms.872, 107 feuillets). Outre ses publications dans le Journal de physique, il commença une collaboration à l’Encyclopédie méthodique de Panckoucke (tomes 5 et 7) qui se poursuivit après la période révolutionnaire. C’est en effet après son départ en Amérique que se situe l’essentiel de son activité de naturaliste ; installé dans le jardin botanique de son ami André Michaux, il put se livrer à de nombreuses recherches d’histoire naturelle. Le Muséum a conservé 120 dessins originaux de graminées et de cyporacées exécutés pendant cette période (ms.876). Sa propre relation de voyage fait état de cette intense activité. A son retour, en 1798, il fait escale à La Corogne, puis pendant deux mois jusqu’à Paris il ne cesse en chemin de poursuivre ses observations de naturaliste. La même année il collabore aux Annales de l’agriculture française. Chargé d’une mission dans le midi de la France, il profite de l’occasion pour traverser les Cévennes et va visiter des parents restés fidèles au berceau de la famille. Sa rencontre avec une cousine germaine, Suzanne Bosc, se termine par un mariage le 9 avril 1799 à Paris. En 1801, associé à Thouin, il signe les tomes 11 et 12 du Cours complet d’agriculture de Rozier. Remarqué par Cuvier il entreprend enfin sa véritable carrière. Cuvier le charge d’abord d’une mission en Italie puis en 1803 le nomme inspecteur des Jardins et pépinières de Versailles. Le vicomte du Plessis note à cette occasion :
« Monsieur Bosc était un jour dans je ne sais quel carré des pépinières de Versailles, où l’on élaguait. Mon père eut envie d’une branche d’essence rare, pour prendre dessus de quoi greffer. Le jardinier dit qu’il était défendu d’en donner. Un homme entre deux âges, assez grand, qui n’était pas loin de là, intervint : C’est vrai, Monsieur ; mais il n’est pas défendu d’en ramasser. C’était Monsieur Bosc. Mon père fit sa greffe ; elle réussit très bien ».

En 1806, Bosc obtient l’inspection des pépinières dépendant du ministère de l’intérieur, cette même année il entre à l’Académie des Sciences. La gloire scientifique est enfin au rendez vous mais les soucis matériels subsistent. Dans une lettre écrite le 7 avril 1807 à son beau-frère Dehéran, il les impute en partie au blocus continental de Napoléon, et il en profite également pour passer en revue un emploi du temps surchargé :

« Fort irrégulièrement payé, les denrées montant tous les jours, les besoins croissant dans la proportion de l’accroissement de la famille, je suis souvent avec quelques écus devant moi, attendant dans l’anxiété qu’il plaise aux distributeurs de fonds de me faire dire que je puis me présenter. Et l’avenir ! C’est principalement la crainte fondée sur la situation actuelle des choses qui me tourmente. Je puis me trouver d’un moment à l’autre manquer de tout. Les travaux littéraires, qui faisaient un supplément si utile au revenu de mes places, sont suspendus par l’anéantissement complet du commerce, et ils ne le seraient pas que je ne pourrais m’y livrer utilement, faute de temps. Vous n’avez pas d’idée de la surcharge de mes occupations, sans qu’en résultat je tire profit de mon temps. Sous ce rapport, je pourrais donner des distractions à ma sœur, en la chargeant d’assister à ma place aux assemblées scientifiques et aux dîners de corps et autres qui en sont la suite. J’en suis aujourd’hui à la quatrième de mes réunions consécutives : samedi, Société Philomatique ; dimanche, Société d’Agriculture ; hier, Institut ; aujourd’hui, Institut ; et tous les autres jours de la semaine, examens des élèves de l’école Vétérinaire, outre les fonctions de mes places à Paris et à Versailles et les écritures… »

En 1811, La Revellière Lepeaux s’installe à Domont et utilise la corde sensible pour attirer Bosc : « …de Domont à Sainte Radegonde, il n’y a que la distance d’une promenade… ». Trois ans plus tard les destins sont partagés alors que La Revellière subit l’occupation et le sac de sa maison par les troupes prussiennes après Waterloo, Bosc reçoit l’hommage universel des souverains étrangers qui lui font l’honneur de demander une visite et un entretien sur l’objet ordinaire de ses études. Bosc est désormais un homme public dont on fixe les traits pour la postérité comme en témoignent une gravure, une peinture à l’huile et même une sculpture de David d’Angers. En 1819, il est appelé par de duc Decazes au Conseil d’Agriculture. Il entreprend alors la comparaison de 1400 espèces de vignes qui avaient été réunies dans les pépinières du Luxembourg. Il poursuit son étude sur le terrain en explorant les cinq vignobles les plus renommés de France. Enfin, en 1825, sa nomination comme professeur de Culture au Jardin des Plantes le ramène célèbre au lieu où il avait commencé sa carrière à Paris. Il participe encore à la ‘’Suite de Buffon’’, où il traite des coquilles, des vers et des crustacés. Lorsqu’il meurt en 1828, ses pairs lui rendent hommage.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:13

Madame Roland joue un rôle central dans la vie de Bosc. Elle s’entoure d’un petit cercle d’amis et de correspondants au début de son mariage. Ils créent autour d’elle un climat romanesque très voisin de celui que Jean Jacques Rousseau décrit autour de Julie de Wolmar dans La Nouvelle Héloïse, et le roman de Rousseau n’est pas étranger à cette griserie d’amitié, plus ou moins teinté d’amour juvénile pour la belle et vertueuse Manon. A ce cercle appartiennent Lanthenas, Bancal et Bosc. Ils forment ce que Madame Roland appelle son ‘’triumvirat’’. La philosophie des lumières alimente leurs conversations et le Contrat Social est devenu la Bible. Rousseau a remplacé divinité par volonté générale d’acquérir le bonheur à l’intérieur d’un ordre social régit par la tolérance, la bonté et l’humanité.

C’est au Jardin du Roi, au cours d’Antoine Laurent de Jussieu que Bosc rencontre pour la première fois Madame Roland, en 1780. Marie Jeanne Phlipon, fille d’un maître graveur parisien, venait d’épouser à près de vingt-six ans, Jean Marie Roland de la Platière, qui avait vingt ans de plus. Ce n’était pas un mariage de raison : Marie Jeanne avait résolument voulu cette union. Elle admire la science de son époux, à l’instar de la Nouvelle Héloïse elle a une idée exigeante du mariage : « une association où la femme se charge du bonheur de deux individus ». Les deux époux ont avec Bosc bien des goûts communs, à commencer par les sciences de la nature : « Les hommes regardent à leurs pieds et fouillent la nature pour tenter d’en découvrir les secrets. » Ils accompagnent Bosc et ses jeunes amis dans les sorties botaniques en forêt de Montmorency. Mais Bosc, jeune et gai, est plus proche de Madame Roland que de son austère époux ; c’est avec elle surtout, que commence un échange assidu de courrier. Ce qu’est alors le jeune Bosc, Madame Roland le dépeint dans une lettre qu’elle lui adresse : « A vous, monsieur le Parisien. Je suis bien aise de vous avoir trouvé ce nom là ; n’êtes vous pas bien pimpant, bien frisé, tendant le jarret, dressant la tête, caressant le jabot, mystifiant tout le jour avec une voix de fausset, et vous regardant au miroir mille fois pour une ? C’est précisément votre portrait dans le genre Callot. Etes-vous bien maigre, avec un nez de bon cœur et une bouche un peu …Je ne veux pas dire ! Rappelez vous bien qu’un grand principe de notre maître Lavater est que la bouche indique l’état moral actuel, et que c’est là qu’on doit lire les progrès de la vertu. Vous autres, gens corrompus des villes, n’y verriez que tout autre chose ». Le ton est donné entre eux, celui d’une complicité taquine pleine de jeunesse.

Lanthenas avait d’abord été l’ami de Roland, rencontré lors d’un voyage en Italie. Il devint ensuite l’inséparable ami du couple, qui le fit connaître à Bosc. C’était un médecin « à l’âme douce et honnête », selon Madame Roland. Très étroitement associé à la fortune des Roland, il avait un moment songé à venir habiter avec eux, ce à quoi Madame Roland s’était opposée avec bon sens, l’affection qu’il lui témoignait pouvant devenir gênante. Elle l’appelait cependant « un bon et tendre frère pour son cœur ».

Bancal est sans doute l’ami le plus cher de Bosc. Notaire à Paris il est son voisin de quartier. Par Bosc, il rencontre Lanthenas, et par Lanthenas Brissot. Sur l’instance de Bosc et Lanthenas, il part à Lyon pour faire enfin la connaissance des Roland. L’immédiate et réciproque sympathie qui naît entre Madame Roland et lui se traduit par une abondante correspondance après son départ. Il manifeste une tendresse, dont Madame Roland, qui la partage, voit le danger et tente de combattre les excès. Doucement elle le ramène dans les bornes d’une amitié qui ne se démentira plus.

En 1788, ‘’le triumvirat’’ se lance dans une intense activité politique. De sa province Madame Roland envoie des lettres à ses amis où frémit le génie de la Révolution : « J’oublierais bien ici les affaires publiques et les disputes des hommes ; contente de ranger le manoir, de voir couver mes poules et de soigner nos lapins, je ne songerais plus aux révolutions des empires. Mais dès que je suis en ville, la misère du peuple, l’insolence des riches réveillent ma haine de l’injustice et de l’oppression ; je n’ai plus de vœux et d’âme que pour le triomphe des grandes vérités et le succès de notre régénération ».

L’hiver de 1789 est exceptionnellement rigoureux. Le gel prend les rivières, et empêche les moulins de fonctionner privant ainsi les villes de la farine nécessaire. Au cours du printemps, la situation devient rapidement explosive. Sur ses six cent cinquante mille habitants, Paris compte cent vingt mille indigents sensibles aux pamphlets satyriques qui inondent la capitale : « La monarchie est devenue une tyrannie, les ministres en sont les suppôts. La preuve : ils ont dû engager des secrétaires en grand nombre tant il y a de lettres de cachet à signer. Les prisons sont surpeuplées. La cour est pourrie. L’église est devenu un ramassis de crétins. La reine est une putain. Le roi est cocu. » Le 27 avril, à trois heures de l’après-midi, une colonne de manifestants quitte le quartier Saint Marcel et se dirige vers la Seine aux cris de : « Mort aux riches ! Mort aux aristocrates ! Mort aux accapareurs ! Le pain à deux sous ! A bas la calotte ! A l’eau les foutus prêtres ! » Les manifestants refluent vers le faubourg Saint Antoine et, rue Cotte, attaquent et pillent la maison de l’industriel Hanriot. A onze heures du soir, le lieutenant de police, informé, fait appel à un bataillon de gardes françaises, à la garde de Paris, au guet et à cent cavaliers du Royal Cravate. Le lendemain, nouveaux attroupements faubourg Saint Antoine. Du Faubourg Saint Marceau un flot de manifestants passe la Seine et fait la jonction avec ceux du Faubourg Saint Antoine. Les gens des berges de la Seine, tanneurs, flotteurs, débardeurs, clochards, grossissent le flot. La manifestation s’engage dans la rue de Montreuil, 350 gardes françaises se replient devant la manufacture Réveillon et s’y retranchent derrière une barricade, tandis que 50 gardes sont en position à l’intérieur. La duchesse d’Orléans de retour de Vincennes, fait ouvrir la barricade pour passer. Les manifestants s’y engouffrent et saccagent la fabrique et la maison de Réveillon. La troupe, cantonnée aux abords, charge et combat jusqu’à neuf heures du soir. Avec 900 tués, l’émeute largement provoquée va peser sur les états généraux qui s’ouvrent le 4 mai à Versailles. Bosc, de la poste, informe minutieusement les Roland qui résident à Lyon.

Madame Roland, apprenant que le parlement de Paris a demandé que les états généraux soient convoqués et composés suivant la forme de 1614, c’est à dire avec le vote des trois ordres séparés, écrit à son ami Bosc : « Nous en sommes donc à savoir seulement s’il faudra végéter tristement sous la verge d’un seul despote, ou gémir sous le joug de fer de plusieurs despotes réunis. L’alternative est terrible et ne laisse pas de choix, car on n’en saurait faire entre deux mauvais partis. Si l’avilissement de la nation est moins général dans une aristocratie que sous le despotisme d’un monarque sans frein, la condition du peuple y est quelquefois plus dure, et elle le serait parmi nous, où les privilégiés sont tout et où la plus nombreuse classe est presque comptée comme zéro. »

Les états généraux, composés des trois ordres de la nation : noblesse, clergé et tiers-état, porteurs des doléances des sujets du roi, s’installent à l’hôtel des Menus Plaisirs, dans un hangar hâtivement aménagé. Le roi attend des trois ordres des moyens pour faire face à la crise financière. Les députés du tiers attendent une réforme constitutionnelle. La partie s’engage. Le tiers refuse de se constituer en assemblée séparée. Il décide de se réunir quotidiennement et se choisit un chef : l’astronome Sylvain Bailly. Il se donne un nom : Communes puis sur proposition du député Legrand : Assemblée nationale, et enfin des porte-parole talentueux : Sieyès et Mirabeau. Les députés du tiers invitent les autres ordres à se joindre à eux pour travailler ensemble ; vingt députés du clergé acceptent la proposition. Pour freiner la montée en puissance du tiers état, le roi, sous prétexte de travaux, ferme la salle de réunion le 19 juin. Mounier, député du Dauphiné, propose de se réunir rue du Vieux Versailles dans la salle du jeu de paume. Le lendemain ils demandent à ses collègues de s’engager par serment à ne pas se séparer avant l’établissement d’une constitution. Les jours suivants la majorité du clergé et 50 députés de la noblesse grossissent l’Assemblée. Le 27 juin enfin, le roi écrit à tous les députés de se réunir en une seule assemblée.

Les Roland, maintenant tout à fait gagnés à la fièvre politique, soutiennent de leurs vœux la lutte des représentants du tiers état. Roland se proclame : « résolu démagogue » et sa compagne se fait l’apôtre de la violence. Ils sont en relation avec les patriotes lyonnais, soutiennent le Courrier de Lyon, que vient de fonder Champagneux, et envoient des informations sur la politique locale au Patriote français de Brissot, qui a commencé à paraître début juillet.

A Paris les émeutes populaires persistent, le 13 juillet, le peuple incendie les barrières et pille le couvent Saint Lazare. L’agitation dure toute la nuit. Au matin du 14, les émeutiers s’emparent de l’hôtel des Invalides et se procurent des canons et des milliers de fusils. Ensuite la foule se dirige vers la Bastille avec la même intention d’y obtenir des armes et des munitions. Vers dix heures une délégation parlemente avec le gouverneur Launay. Vers midi, premier coup de feu. Les émeutiers au nombre de 8000, renforcés par les gardes françaises, se ruent à l’attaque. Quatre heures de combat : 200 tués ou blessés. La garnison capitule. Le gouverneur Launay et le prévôt des marchands, Flesseles, sont massacrés. Une colonne d’émeutiers promène leurs têtes au bout d’une pique. Le soir le Comité de l’Hôtel de ville nomme Bailly à la tête de la municipalité de Paris. Le 15 juillet, en signe d’apaisement, le roi annonce à l’assemblée qu’il a donné ordre aux troupes de s’éloigner de Paris et de Versailles. Le 16, La Fayette transforme la milice parisienne en garde nationale. Il insère le blanc du roi entre les couleurs de la milice, le bleu et le rouge. Le lendemain, le roi se rend à Paris et reçoit des mains de Bailly la nouvelle cocarde tricolore. Le 20 juillet, la Grande Peur s’installe en province. Elle sévit dans les campagnes où les paysans pillent les châteaux et brûlent les chartriers et les terriers. Le 3 août l’Assemblée examine les revendications des paysans, Le 4, le vicomte de Noailles fait adopter l’abrogation des droits féodaux, le 6, la campagne retrouve son calme. L’Assemblée poursuit ses travaux, le 26, la Déclaration des droits de l’homme est proclamée. Début septembre, elle s’attelle à définir une constitution en séparant l’exécutif, le corps législatif et l’organisation judiciaire. La Constitution garde un roi héréditaire mais qui lui est soumis. Ce roi ne dispose plus des finances de l’Etat mais d’une somme de vingt-cinq millions qui lui est accordée. Les conseils sont remplacés par des ministres. Les départements sont crées et les communes obtiennent des attributions plus larges. En octobre de nouvelles émeutes éclatent à Paris, Louis XVI est conduit à Paris, il s’installe aux Tuileries où l’Assemblée le rejoint quelques jours plus tard. Le mois suivant, Lavoisier présente le bilan de la Caisse d’escompte : énorme déficit. Les biens du clergé sont mis à la disposition de la nation. Le 7 novembre, le Club des députés bretons qui se réunissait rue Saint Honoré s’installe au couvent des Jacobins.

Le 10 janvier 1790, Bosc en compagnie de Lanthenas adhèrent au Club de Gilbert Romme, les Amis de la Loi. Une fois par semaine, les membres se réunissent rue du Bouloi chez Théroigne de Méricourt : « Lié avec beaucoup de savants, et même de gens de lettres qui avaient adopté des idées libérales, je me trouvais naturellement faire partie des réunions où on traitait les matières politiques. » A Lyon, Roland publie une brochure sur la Municipalité de Lyon qui lui vaut la haine des négociants. Mais, soutenu par les patriotes, il est élu notable au conseil de la Commune. En juillet, des émeutes éclatent et sa responsabilité est mise en cause. En novembre, Roland est élu officier municipal. Le 21 décembre, Bosc, Bancal et Broussonet entrent au club des Jacobins. Début janvier 1791, la ville de Lyon envoie Roland à Paris comme député extraordinaire pour demander la nationalisation des dettes de la ville. Au mois de février les Roland sont à Paris, à l’hôtel Britannique, rue Guénégaud, où ils ont loué un appartement. Ils suivent régulièrement les débats de la Constituante. Le salon de Madame Roland devient le lieu de rendez-vous des hommes politiques et des journalistes ; on y voit Brissot, Buzot, Pétion et Robespierre. Madame Roland juge sévèrement la situation et demande : « un supplément de Révolution. » Bosc prend une part active à la Société des Jacobins, il livre à un ami son opinion sur l’air du temps: « Je suis si courroucé contre l’Assemblée nationale que je ne puis me détourner à vous en parler. Sa composition décline de jour en jour de plus en plus. Je ne puis déjà plus me retrouver avec les membres les plus patriotes que je connais, sans avoir des disputes sur les points les plus évidents de la Constitution. »
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:14

La politique est ambiguë à l’Assemblée Constituante, Mirabeau s’est mis au service du roi pour faire triompher une politique de compromis. Cette situation cesse lorsqu’il meurt subitement le 2 avril. Le roi semble adhérer à la Constitution, mais en secret il demande à ses agents d’informer les cours étrangères de ne pas prêter attention à ses déclarations. L’Assemblée ayant pris connaissance d’une lettre décide que toute faute du roi entraînerait sa déchéance. Le 21 juin, le roi s’enfuit. Il est reconnu, et arrêté à Varennes. L’Assemblée, par peur de trouble intérieur et de représailles extérieures, dégage la responsabilité du roi. Elle ordonne ensuite la fermeture des frontières pour parer à une guerre éventuelle. Le 16 juillet, le Club des Jacobins se scinde : une partie devient le Club des Feuillants et écoute La Fayette, l’autre partie reste aux Jacobins et subit l’influence de Brissot. Le lendemain au cours d’une manifestation organisée par les Cordeliers au Champs de Mars, La Fayette ordonne de tirer sur la foule pour la disperser.

Dans l’entourage de Madame Roland, Robespierre est terrorisé par les derniers événements : « J’avais été frappée de la terreur dont il parut pénétré le jour de la fuite du roi à Varennes ; je le trouvai l’après-midi chez Pétion, où il disait avec inquiétude que la famille royale n’avais pas pris ce parti sans avoir dans Paris une coalition qui ordonnerait la Saint-Barthélemy des patriotes, et qu’il s’attendait à ne pas vivre dans les vingt-quatre heures. Pétion et Brissot disaient au contraire que cette fuite du roi était sa perte, et qu’il fallait en profiter ; que les dispositions du peuple étaient excellentes ; qu’il serait mieux éclairé sur la perfidie de la cour ; qu’il était évident pour chacun, par ce seul fait, que le roi ne voulait pas de la Constitution ; qu’il fallait préparer les esprits à la République. Robespierre, ricanant à son ordinaire et se mangeant les ongles, demandait ce que c’était une république. Le projet du journal Le Républicain fut alors imaginé. Dumont le Genevois, homme d’esprit, y travaillait ; du Châtelet, militaire, y prêtait son nom, et Condorcet, Brissot se préparaient à y concourir. » A propos du Champ de Mars madame Roland continue : « J’étais au Champ de la Fédération, où la curiosité m’avait conduite ; il n’y avait pas plus de deux ou trois cents personnes éparses. Les députés des Cordeliers, portant des piques avec des écriteaux déclamatoires, haranguaient les assistants et alimentaient l’indignation contre Louis XVI. Ce fut alors que les partisans de la cour, sentant la nécessité d’en imposer par la terreur, combinèrent les moyens de frapper un grand coup ; la proclamation inopinée et la brusque exécution de la loi martiale opérèrent ce qu’on a justement appelé le massacre du Champ de Mars. » Le 10 août, l’Assemblée passe au compte de l’Etat la dette lyonnaise et les Roland se préparent à regagner Villefranche.

La nouvelle Assemblée législative groupe trois cent cinquante Constitutionnels, deux cent soixante quatre Feuillants et cent trente six Jacobins. Les anciens députés s’étant interdit la réélection, on n’y voit que des visages neufs. Au Club des Jacobins on se réorganise. Le 31 août, Bosc et Fabre d’Eglantine entrent au Comité de correspondance. Le 7 octobre Robespierre et Lanthenas les rejoignent. La tension est parfois vive dans le comité tel que le rapporte un correspondant Duchossal répondant à une attaque de Robespierre ; « Quand je parle du comité de correspondance, je parle seulement des travailleurs tels que Lanthenas, Gaillard et Bosc ». De son côté Madame Roland trépigne en province elle écrit à ses amis : « Tudieu ! Tous Parisiens que vous êtes, vous n’y voyez pas plus loin que votre nez, ou vous manquez de vigueur pour faire marcher votre assemblée ». Le 15 décembre les Roland reviennent à Paris. Le 30, quatre commissaires (Tournon, Bancal, Lanthenas et Bosc) sont nommés, pour organiser, dans la salle des Jacobins, des lectures et des conférences patriotiques, suite à une idée chère à Lanthenas. Les Roland, au début de l’année 1792, retrouvent l’hôtel Britannique, tout près de la place Dauphine. A peine arrivé, Bosc présente Roland au Club des Jacobins et très rapidement il l’introduit au comité de correspondance. Roland ramène a la maison un nombre considérable de lettres auxquelles il faut répondre. Madame Roland assiste de sa plume son époux dans cette correspondance : « Je trouvais que la Société des Jacobins pouvait exercer une grande influence en répandant un esprit sage, rappelant toujours l’institution à l’instruction du peuple, à la communication des sentiments propres à lier les hommes et à nourrir ainsi le véritable amour de la patrie, qui ne doit être que celui de l’humanité porté au plus haut degré pour ceux qui vivent sous les mêmes lois… »

Madame Roland instaure un salon politique où elle réunit en présence de son ‘’triumvirat ‘’ ses amis politiques : Brissot, Pétion, Clavière, Buzot, Robespierre. « …il fut arrêté que les députés qui avaient coutume de se réunir pour conférer ensemble se rendraient chez moi quatre fois par semaine après la séance de l’Assemblée, et avant celle des Jacobins ». Madame Roland note le comportement équivoque et déplaisant de Robespierre à ces réunions. « …La conduite de Robespierre dans les conférences qui se faisaient chez moi était remarquable : il parlait peu, ricanait souvent, lançait quelques sarcasmes, n’ouvrait jamais un avis ; mais, le lendemain d’une discussion un peu suivie, il avait soin de paraître à la tribune de l’Assemblée et d’y mettre à profit ce qu’il venait d’entendre dire à ses amis ».

A l’assemblée, Brissot pousse le roi à la guerre contre l’Autriche : « Le moment est venu d’une nouvelle croisade ; c’est une croisade de liberté universelle. » Un seul homme s’oppose énergiquement à cette politique, c’est Robespierre, dont les paroles ne rencontrent guère d’échos. Les Roland adoptent la position de Brissot, une façon d’entraîner la famille royale à sa perte. Le 10 mars, le roi se résigne et appelle Dumouriez qui la désire. Le 20 mars, Roland entre au gouvernement et le lendemain, Madame Roland s’installe à l’hôtel du ministère, rue Neuve des Petits Champs. « Deux fois par semaine je donne à dîner : l’un aux collègues de mon mari, auxquels je joint quelques députés, l’autre à des hommes politiques, aux chefs de bureau du ministère, à des écrivains, à des philosophes. Quinze couverts, rarement dix huit, une seule fois vingt, tel est le nombre des convives. Après le dîner on causait quelque temps au salon, et chacun retournait à ses affaires. On se mettait à table vers cinq heures ; à neuf heures les invités étaient partis » Danton, vient presque tous les jours. Il y a là aussi Dumouriez, Monge, Condorcet, Fabre d’Eglantine, Clootz, Louvet, Gorsas, Barbaroux, Brissot, et bien sûr les amis de toujours, Bancal, Lanthenas et Bosc. Parfois Bosc invite à son tour ses amis, lors d’un dîner offert par lui au bois de Boulogne, il décrit la famille Roland : « Madame Roland avait trente huit ans : elle n’avait rien perdu de son air de fraîcheur, d’adolescence et de simplicité ; son mari ressemblait à un quaker dont elle eût été la fille ; et son enfant voltigeait autour d’elle avec des cheveux flottants jusqu’à la ceinture ; on croyait voir des habitants de la Pennsylvanie transplantés dans le salon de Calonne ». Robespierre, quitte le cercle avec fracas le 14 avril. Il reproche à ses amis : « d’intriguer en collaborant avec la Cour. » Une nouvelle division s’opère aux Jacobins entre les partisans de Brissot, dont les députés de la Gironde : Guadet, Gensonné et Vergniaud sont les orateurs les plus éloquents, et les partisans de Robespierre qui choisissent de s’installer au plus haut de l’Assemblée. La presse baptise les deux camps : Girondins et Montagnards.

Au ministère, Roland s’entoure de ses amis, Lanthenas est promu à la direction des lettres, sciences et arts. Bosc est nommé administrateur des Postes. Bancal, de Clermont, reçoit une lettre de Bosc qui l’engage à revenir : « Madame Roland nous a parlé du projet qu’on avait eu sur vous pour le ministère de la Justice. Hier, Lanthenas me sondait pour savoir si vous accepteriez la place de secrétaire général de ce ministère. » La guerre est au centre de toutes les préoccupations du gouvernement. Robespierre veut donner le commandement des armées à des patriotes. La Fayette, désormais attaché à la sauvegarde de la royauté, entreprend des négociations secrètes auprès des Autrichiens. Le 13 juin, Louis XVI, prenant prétexte d’une lettre de Madame Roland jugée offensante à son égard, renvoie les trois ministres Girondins : Roland, Clavière et Servan. Le 15, l’Assemblée décrète que les ministres patriotes emportent les regrets de la nation. Le 20, des milliers de Parisiens endimanchés, armés de piques, coiffés du bonnet rouge, accompagnés par les femmes et les enfants portant des bouquets de fleurs, se rendent à l’Assemblée qui siège au Manège. Les manifestants déposent des pétitions contre le roi, contre le veto du roi. Puis les pétitionnaires envahissent les Tuileries. Le roi coiffe le bonnet rouge et boit avec les émeutiers. Au mois de juillet le duc de Brunswick signe un manifeste violent à l’adresse de la France. Au nom des puissances étrangères, il menace Paris d’extermination si le roi n’est pas rétabli dans ses fonctions. Le 3 août, Pétion, maire de Paris, vient demander à l’Assemblée la déchéance du roi.

Tandis que les troupes prussiennes franchissent la frontière du nord, Barbaroux, Bosc et Servan sont les invités des Roland à Paris : « Nous formions le projet de nous retirer dans le Midi. Bosc bâtissait un réseau de communication, Servan étudiait les postes militaires, ou traçait sur la carte les lignes de démarcation indiquées par les rivières, les montagnes, ou les villes considérables ; on raisonnait des productions et des ressources territoriales, des moyens de commerce, des personnes que chacun pouvait connaître dans les divers départements, et qu’il jugeait capables de tout entreprendre plutôt que de subir le joug. Ce sera notre pis-aller, disait en souriant Barbaroux, mais les Marseillais qui son ici nous dispenseront d’y recourir. Nous jugions par ce discours et quelques autres semblables, qu’il se préparait une insurrection ; mais la confidence ne s’étendant pas plus loin, nous n’en demandions pas davantage. Barbaroux nous dit qu’il ne fallait pas juger de ses sentiments à notre égard ; qu’il avait pour objet de ne pas nous compromettre. » Dans la nuit du 9 au 10 août, des commissaires élus par les sections constituent à l’Hôtel de Ville une Commune insurrectionnelle. Pétion destitue Mandat, le commandant de la garde nationale, au profit de Santerre le brasseur du faubourg Saint Antoine. A sept heures du matin , les Marseillais et les gens de la section du faubourg Saint Marceau arrivent aux Tuileries. Le palais est défendu par des gendarmes, des gardes nationaux et les Suisses. La famille royale se réfugie dans la salle du Manège, au sein de l’Assemblée. Peu après les Marseillais envahissent la cour du Carrousel. Ils atteignent le vestibule du château. Alors, les Suisses tirent. Débandade chez les Marseillais. Vers huit heures arrivent les gens du faubourg Saint Antoine et l’on se procure du canon. Après deux heures de combat, les émeutiers forcent le château. Bilan : plus d’un millier de mort dont six cents Suisses. Le lendemain l’Assemblée législative se transforme en Convention nationale et le chef de l’exécutif, Louis XVI, est provisoirement suspendu de ses fonctions. Roland, Clavière, Servan et Monge retrouvent leurs ministères en compagnie d’un nouveau ministre à la justice Danton.

La Convention doit compter à présent avec une puissance nouvelle, la Commune insurrectionnelle de Paris. Elle demande que le nom du roi soit rayé de la liste des fonctionnaires. Elle produit ses propres actes et les date de l’an 1 de l’égalité. La Convention est dépassée et laisse agir la Commune qui institue, pour les élections, le vote par appel nominal et à haute voix qui peut être substitué par le vote à main levée. Le nom de Monsieur est supprimé au profit de Citoyen. Elle supprime toutes les manifestations du culte et donne quinze jours aux prêtres réfractaires pour quitter la France. L’état civil des personnes sera tenu dans les mairies et le mariage sera un acte civil. Elle interdit aux royalistes de quitter le pays : ils serviront d’otages. La Fayette, le 19 août, abandonne son armée et se livre aux Prussiens qui l’enferment dans une sinistre forteresse. La Commune réclame un tribunal révolutionnaire et institue les visites domiciliaires chez les suspects. Le 23 août, les Prussiens prennent Longwy , la Commune procède à des enrôlements. La Commune se plaint de la mansuétude de la justice, un bruit se répand dans Paris d’éliminer les suspects incarcérés. Roland s’inquiète de cette rumeur alors que Danton se préoccupe de la guerre. Le 30 août la Convention ordonne à la Commune de se renouveler. Le premier septembre la commune décide de rester en place. Le dimanche 2 septembre la Commune demande aux Parisiens de se retrouver au Champ de Mars, Verdun est assiégé, afin de réunir des volontaires pour aller sur le champ la défendre. On parle de conspiration tramée dans les prisons par les aristocrates et les prêtres. Le soir les détenus des prisons parisiennes sont mis à mort dans des conditions atroces. Madame Roland commente : « Il existe dans le faubourg Saint Germain une maison de dépôt où l’on met les détenus que l’Abbaye ne peut recevoir quand elle renferme trop de monde. La police avait choisi pour les transférer ce dimanche dans la soirée. Les assassins attendaient ; ils se jetèrent sur les voitures ; il y avait cinq ou six fiacres, et à coups de sabres et de piques ils percèrent, ils tuèrent ceux qui les remplissaient, au milieu de la rue, au bruit terrible de leurs cris douloureux. Tout Paris fut témoin de ces horribles scènes, exécutées par un petit nombre de bourreaux. Il n’étaient pas quinze à l’Abbaye, à la porte de laquelle étaient pour toute défense deux gardes nationaux. Tout Paris laissa faire…Tout Paris est maudit à mes yeux. » Le lundi des tribunaux populaires s’organisent. Les massacres se multiplient. Roland s’adresse à l’Assemblée : « Il est du devoir des autorités constituées d’y mettre un terme ou de se considérer comme anéanties. » Danton déclare à Prudhomme : « Le peuple veut se faire justice lui même, il faut attendre que sa colère s’apaise. » Madame Roland poursuit : « l’annonce affectée de l’inquiétude et de la colère du peuple, retenaient chacun dans la stupeur et lui persuadaient au fond de sa maison que c’était le peuple qui agissait, lorsque, de compte fait, il n’y avait pas deux cents brigands pour la totalité de cette infâme expédition. Aussi ce n’est pas la première nuit qui m’étonne ; mais quatre jours ! et des curieux allaient voir ce spectacle ! » Bilan de ces journées 1400 morts.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:14

Danton passe plus de temps au ministère de la guerre qu’à son propre ministère selon Madame Roland : « Il s’embarrassait fort peu de remplir les devoirs de sa place et ne s’en occupait guère ; les commis tournaient la roue, il confiait sa griffe, et la manœuvre suivait, telle quelle, sans qu’il s’en inquiétât. Tout son temps, toute son attention étaient consacrés dans les bureaux de la guerre. » Cela finit par porter ses fruits, le 20 septembre, lors d’une petite bataille à Valmy, première victoire symbolique des soldats de la Révolution. Le lendemain la Convention vote l’abolition de la royauté et proclame la république. Le 25 septembre, Les Girondins tentent d’exclure les chefs montagnards, Marat et Robespierre, ils les accusent de vouloir accaparer le pouvoir par l’intermédiaire de la Commune. Les Montagnards répliquent et Brissot est rayé du Club des jacobins. Brissot demande alors aux Girondins de n’y plus paraître. Les Montagnards ont désormais le champ libre et font entrer les chefs de la Commune. En octobre les Français remportent une nouvelle victoire à Mayence puis à Jemmapes début novembre. La porte de la Belgique est ouverte. Bosc écrit à son ami Van Mons le 24 novembre : « Vous êtes représentant du peuple ! je vous en félicite, mon cher, et j’en félicite vos concitoyens. Il faut actuellement agir et faire agir vigoureusement. Du moment actuel, de vous en partie, dépend le sort futur d'un peuple nombreux pour la suite des siècles… » Une semaine avant La Revellière Lépeaux avait fait voter à la Convention le fameux décret : « La Convention nationale déclare au nom de la nation française qu’elle accordera fraternité et secours à tous les peuples qui voudront recouvrer leur liberté et charge le pouvoir exécutif de donner aux généraux les ordres nécessaires pour porter secours à ces peuples et défendre les citoyens qui auraient été vexés ou qui pourraient l’être pour la cause de la liberté. » Les souverains étrangers y voient un appel à la guerre civile européenne. En France Saint Just pose le problème du procès du roi à la Convention et Roland subit les attaques des Montagnards après la découverte de la cachette des documents secrets du roi. On lui reproche d’avoir consulter les documents sans témoin.

A Paris, les Girondins majoritaire à la Convention ne contrôlent plus le pouvoir prit par la rue dominée par la Commune. Bosc se contente de l’administration des Postes et il lui en devra peut être la vie au moment du 31 mai 1793 où tous les Girondins qui partagent ses idées vont être pourchassés et pour beaucoup guillotinés. Quand au ‘’triumvirat’’ il se disloque dans la tourmente : Bancal, Chargé de mission en mars 1793 auprès de Dumouriez, doit à la trahison de ce dernier de ne pas être entraîné dans la catastrophe des Girondins. En effet captif pendant vingt mois des Autrichiens, il ne rentre en France qu’en 1795. Lanthenas au jours dangereux d’avril 1793, tourne casaque et finit par trahir ses amis, comme en témoignent clairement Champagneux et Bosc. Champagneux écrit : « j’aurais à signaler bien d’autres personnes dont l’ingratitude envers Roland et sa femme n’a pas été portée aussi loin que celle de Pache. Faut-il que dans ce nombre je rencontre Lanthenas, le plus ancien ami des Roland. Eh, bien Lanthenas n’osa pas avouer Roland à la Convention ; il n’eut jamais le courage de monter à la tribune…Il alla s’asseoir au plus haut de la montagne. » Lanthenas explique son comportement en prétendant se mettre entre le côté droit, ses anciens amis dont ils blâment les passions, et le côté gauche dont il ne peut partager les excès. Finalement il se fait mépriser par les deux partis, Marat le montrant du doigt dans l’hémicycle : « Tout le monde sait que le docteur ‘’Lanternas’’ est un faible d’esprit ».

Bosc, sort indemne de son asile de Sainte Radegonde et rassemble tous les manuscrits de Madame Roland encore existants. Il ne songe pas à les publier tels quels, mais préfère selon le goût du temps, les disposer de façon à donner au lecteur l’illusion d’une œuvre équilibrée et relativement bien composée. Il opère aussi de très importantes coupures : aveux d’amour pour Buzot, scènes jugées trop osées et allusions malveillantes à des personnes encore vivantes. Le texte ainsi obtenu vit le jour au printemps de 1795, sous le titre d’Appel à l’impartiale postérité. Champagneux publie, en 1800, les Œuvres de Marie J. Ph. Roland en se contentant de refondre l’édition de Bosc. En 1820 les mémoires sont reproduites avec l’accord de Bosc, puis en 1864 deux éditions concurrentes les enrichissent de lettres particulières, en 1905, Claude Perroud publie les mémoires intégrales.

En 1805, le jeune Stendhal demande à sa sœur Pauline : « lis-tu quelquefois la divine Madame Roland. » Goethe avoue en 1820 : « Les œuvres de Madame Roland excitèrent mon admiration. » En pleine montée du Romantisme, Michelet voit en Madame Roland : « La Merveille de la Révolution. » Tandis que Lamartine confond sa silhouette avec celle d’une république de rêve : « L’âme de la Gironde s’exhala dans son dernier soupir. »
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:15

En ce début d’année 1793, le sort du roi se joue à la Convention. Le 14 janvier son procès s’achève. Par vote à scrutin nominal, la Convention se prononce à l’unanimité pour la culpabilité du roi. Mais l’accord est loin d’être établi quand à la sanction. Les Montagnards demandent la mort en s’opposant aux Girondins plus modérés sur la question. Le mécanisme enclenché par Saint Just commence a porter ses fruits, il va chasser du pouvoir tous ceux qui ont du cœur. Les 16 et 17 janvier, les Montagnards obtiennent gain de cause de justesse à une voix : par 361 contre 360. Le 21 janvier, Louis XVI monte sur l’échafaud, le lendemain Roland envoie sa lettre de démission à la Convention.

Après leur sortie du ministère, les Roland ne participent plus que de loin à la vie politique. Malgré sa retraite, le ménage continue a être dénoncé dans les feuilles de Marat et à la tribune des Jacobins. Parfois, se croyant en danger, Roland éloigne sa famille de la rue de la Harpe. Il écrit à Bosc : « Nous sommes hors des murs depuis huit ou dix jours, je vais cependant y entrer sous peu, la crainte de la mort deviendrait pire que la mort même. » Parfois Madame Roland réplique dans le journal de Brissot : « C’est le sort de la vertu dans les temps de révolutions. Après les premiers mouvements d’un peuple lassé des abus dont il était vexé, les hommes sages qui l’ont éclairé sur ses droits, ou qui l’ont aidé à les reconquérir, sont appelés dans les places ; mais ils ne peuvent les occuper longtemps, car les ambitieux, ardents à profiter des circonstances, parviennent bientôt, en flattant le peuple, à l’égarer et l’indisposer contre ses véritables défenseurs, afin de se rendre eux même puissants. »

En février la France poursuit la guerre contre ses voisins d’Europe, mais l’offensive du général Dumouriez, proche des Girondins, se transforme en désastre. La levée en masse de 300.000 soldats entraîne des troubles en province : la Vendée se soulève. Fin mars, Dumouriez cherche à négocier la paix et Danton n’est pas contre, mais Robespierre devient le nouveau chantre de la guerre et menace Dumouriez d’une terrible sanction. Quatre commissaires, dont Bancal des Issards, sont envoyés à l’armée du Nord pour destituer le général. Le premier avril, Dumouriez passe à l’ennemi et livre les commissaires aux Autrichiens. Les Montagnards font l’amalgame et accusent tous les Girondins de trahison : Robespierre triomphe. Le 6 avril un tribunal révolutionnaire est mis en place. Le principal acteur est l’accusateur public. Le tribunal a sous sa juridiction tous les crimes contre la nation. La procédure se déroule de façon expéditive et les peines sont exécutées dans les vingt quatre heures. Dans la foulée un Comité de salut public est institué sous la présidence de Danton. Au début du mois de mai, Bosc reçoit d’un ami, une lettre angoissée, expédiée à son domicile de fonction rue Jean Jacques Rousseau : « Je vous prie, mon cher ami, de vouloir bien faire mettre à la poste ce paquet. Tous les jours je tremble pour la république, les bons républicains sont persécutées, les anarchistes sont sur un trône ; est-ce qu’il n’y a plus de Cimber, Cassius et Brutus ? Est-ce qu’un vil personnage voudrait jouer le rôle de César ; serait ce pour ce monstre que nous prodiguerons notre sang, celui de nos enfants, et dissiperons nos propriétés ; je suis persuadé que si ces hommes disparaissaient, que l’Europe nous laisserait en paix. Soyons libres et vertueux ; laissons la raison et le temps être les révolutionnaires des autres pays, débarrassons nous des monstres, demandons d’une seule voix à l’Europe ce qu’elle nous veut, et nous aurons une belle république et une paix profonde. Bonsoir, bon et loyal citoyen, je vais encore vous retrouver afin de chercher à mettre en exécution le plan que j’ai pour mes enfants ; ou au moins pour le plus faible ; adieu je me recommande a vous. »

29 mai, une assemblée de délégués de section siège à l’Archevêché de Paris. Varlet le postier, Fournier l’Américain et Lazowski ( les massacreurs de septembre) sont les idoles de ce comité. Marat, en terrible artiste de la démagogie, exprime avec talent les haines et les soupçons de l’assemblée de la façon même dont elle les sent. Robespierre, de son coté, conseille à la Commune d’exciter le zèle révolutionnaire du peuple de Paris « pour exterminer légalement nos ennemis. » Camille Desmoulins distribue un pamphlet violent où il désigne les Girondins comme ennemis de la Nation. Isnard à la tribune de la Convention, répond et met le feu aux poudres ‘’Si, par ces insurrections toujours renaissantes, il arrivait que l’on portât atteinte à la représentation nationale. Paris serait anéanti’’.

30 mai, à la Convention, Hérault de Séchelles sous les couleurs de la Montagne, succède au Girondin Boyer-Fronfrède au fauteuil de la présidence. Les Montagnards siègent à gauche, les Girondins à droite et la Plaine qui compte le plus de députés au milieu. Deux conceptions de la République s’affrontent : l’une fondée sur la contrainte, l’autre sur la liberté. La lutte à mort a commencé. Gensonné, député de la Gironde, bute sur une marche et se frotte la cheville en se rendant à la tribune, Hérault l’entend jurer : ‘’F… ! C’est un vrai escalier d’échafaud.’’ - ‘’Fais-en l’apprentissage !’’ lui lance Carrier, un élu de la Montagne.

10 heures du soir, une foule vociférante et excitée interrompt la séance, elle exige l’arrestation de 22 Girondins et l’épuration des administrateurs. La Convention cède sur le second point.

31 mai, de l’Archevêché sont envoyés des commissaires pour fermer les barrières de Paris. Dès 3 heures du matin on fait sonner le tocsin à l’hôtel de Ville. Le premier acte d’épuration est dirigé vers l’hôtel de la poste. Roussillon et Leclerc à la tête d’une section armée arrêtent Bosc l’administrateur. Sept commissaires reçoivent mandat de visiter toutes les lettres : le départ du courrier est suspendu, puis les ordres et contrordres vont se succéder pour la reprise du trafic. 14h, un détachement de la garde conduit Bosc à la Convention pour s’expliquer ‘’je fus témoin de cette désastreuse séance où la puissance nationale fut subordonnée à celle de la commune de Paris, dans la confusion la Montagne ne m’a pas appelé. Au sortir de la séance j’allai coucher chez un ami, mais le lendemain voyant qu’on ne me cherchait pas, je ne retournai à la poste que pour les assemblées : ma présence étant indispensable’’. Bosc vient de saisir la mesure du danger sur sa personne, il ne retournera plus à son domicile rue des Prouvaires où la Commune a posé les scellés, il assurera à la poste un service minimum jusqu’en septembre. Sa vie de proscrit vient de commencer, en attendant il a élu domicile rue Hautefeuille chez le député Creusé-Latouche.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:16

1er juin, rue de la Harpe, face à l’église Saint-Côme, cinq heures du soir, six hommes armés se présentent au domicile des Roland. L’un d’eux fait lecture à Roland d’un ordre du comité révolutionnaire notifiant son arrestation. « Je ne connais point de loi qui constitue l’autorité que vous me citez, et je n’obtempérerai point aux ordres qui émanent d’elle ; si vous employer la violence, je ne pourrai que vous opposer la résistance d’un homme de mon âge ; mais je protesterai contre elle jusqu’au dernier instant - Je n’ai pas ordre d’employer la violence, et je vais faire part de votre réponse au conseil de la Commune ; je laisse ici mes collègues » réplique le personnage. Bosc est présent lors de l’arrestation, madame Roland décide de se rendre à la Convention. ‘’L’idée me vint aussitôt qu’il serait bon de dénoncer ce fait à la Convention avec quelque éclat, afin de prévenir l’arrestation de Roland ou de le faire promptement relâcher si elle s’effectuait. Mon domestique était absent ; je laisse un ami qui était à la maison près de Roland ; je monte seule dans un fiacre à qui je recommande la plus grande vitesse, et j’arrive au Carrousel. La cour des Tuileries était remplie d’hommes armés ; je traverse et franchis l’espace au milieu d’eux, en sautant comme un oiseau ; vêtue d’une robe du matin, j’avais pris un châle noir et je m’étais voilée : parvenue aux portes des premières salles toutes fermées, je trouve des sentinelles qui ne permettent pas d’entrer : j’insiste inutilement ; enfin je m’avise de prendre le langage qu’aurai pu tenir quelque dévote de Robespierre ; « Eh mais, citoyens ! dans ce jour de salut pour la patrie, au milieu des traîtres que nous avons à craindre, vous ne savez donc pas de quelle importance peuvent être des notes que j’ai à faire passer au président ? Faits moi venir un huissier pour que je les lui confie. » La porte s’ouvre j’aperçois Rôze, il se charge de ma lettre pour la remettre au bureau et en presser la lecture. Une heure se passe un bruit affreux se faisait entendre par intervalles; Rôze reparaît : « Eh bien ! - Rien encore, il règne dans l’assemblée un tumulte impossible à peindre ; des pétitionnaires demandent l’arrestation des ‘Vingt-deux’ ; je viens d’aider Rabaud à sortir sans être vu ; il a été menacé ; plusieurs autres s’échappent ; on ne sait qu’attendre.- Qui préside ?- Hérault-Séchelles. – Ah ! ma lettre ne sera pas lue ; dites à Vergniaud que je le demande. » Il paraît après un fort long temps et me dit : « Dans l’état où est l’Assemblée, je ne puis vous flatter, et vous ne devez guère espérer ; la Convention ne peut plus rien de bien. – Elle pourrait tout, m’écriai-je ; car la majorité de Paris ne demande qu’à savoir ce qu’elle doit faire : si je suis admise, j’exprimerai avec force des vérités qui ne seront pas inutiles à la République. Je vais donc chez moi savoir ce qui s’y est passé. » Je quitte Vergniaud, je vole chez Louvet ; j’écris un billet destiné à l’instruire de ce qui est ; je me jette dans un fiacre que je fais tourner vers mon logis ; j’accours dans ma maison et l’on m’apprend que, le porteur du mandat d’arrêt étant revenu sans avoir pu se faire entendre au Conseil, Roland avait continué de protester contre ses ordres et que ces bonnes gens s’étaient retirés ; d’après quoi Roland était sorti de la maison. J’en fais autant ; je me rends dans une maison où il n’était pas ; je vais dans une autre où je le trouve’’ Madame Roland se rend chez Bosc rue des Prouvaires où elle ne trouve personne, car les scellés sont sur sa porte, puis rue Hautefeuille où elle retrouve Roland en compagnie de Bosc. Il est 10 heures du soir elle refait une tentative à la Convention mais la séance étant levée elle engage la conversation avec des sans-culottes groupés près d’un canon « Et les vingt-deux ? – Oh la municipalité les fera arrêter – Bon ! est-ce qu’elle le peut ? – Jarnigué, est-ce qu’elle n’est pas souveraine ? il faut bien qu’elle le soit pour redresser les b… de traîtres et de soutenir la République. – Mais les départements seront-ils bien aises de voir leurs représentants arrêtés. – C’est Paris qui les sauve. – Ce pourrait bien être Paris qui se perd. » J’avais traversé la cour et je gagnais mon fiacre en finissant ce dialogue avec un vieil sans culotte, assurément bien payé pour endoctriné les dupes.’’ ; de retour à son logis, elle soupe puis à minuit une délégation de la Commune se présente pour arrêter Roland. « Il a quitté sa maison tandis que j’étais à la Convention. La bande se retira fort mécontente. » Madame Roland se couche, elle dort profondément depuis une heure lorsqu’on frappe de nouveau à sa porte. « Nous venons, citoyenne, vous mettre en arrestation et apposer ici les scellés. – Où sont vos pouvoirs ? – Les voici, » dit un homme en tirant de sa poche un mandat du comité révolutionnaire, sans motif d’arrestation, pour me conduire à l’abbaye. Dans mon logis on appose des scellés partout, sur les fenêtres, sur les armoires au linge. Assise à mon bureau, j’écris à un ami sur ma situation et pour lui recommander ma fille. « Il faut, madame, s’écrie le porteur d’ordres, lire votre lettre et nommer la personne à qui vous l’adressez. – Je consens à la lire. – Il vaudrait mieux dire à qui vous l’écrivez. – Je n’en ferai rien. Je déchirai la lettre et comme je tournais le dos, ils en ramassèrent les morceaux pour les fermer sous les scellés ; j’eus envie de rire de ce sot acharnement : il n’y avait point d’adresse. » La lettre s’adressait à Bosc : dès le matin Bosc se saisit de sa fille Eudora et la conduit auprès de son père chez Creuzé-Latouche.

2 juin, il fait un temps splendide : les ateliers sont fermés, et les familles, sur le seuil des boutiques, s’installent , dès le matin, pour voir passer l’insurrection. Quatre-vingt mille hommes sont massés autour de la Convention ; le Carrousel, les quais, le jardin des Tuileries, la place de la Révolution et les ponts étincellent de baïonnettes : il y a là des gardes nationales de Saint-Germain, de Melun, de Courbevoie ; il y a trois milles artilleurs et soixante-trois pièces de canon ; les fourneaux pour les boulets rouges chauffent à l’entrée des Champs-Elysées ; il y a aussi les Marseillais et la légion allemande de Rosenthal ; tous sont persuadés qu’on les a amenés ici pour protéger la Convention. A l’Assemblée, l’émotion est grande, les délégations de sections, grossies d’un flot de citoyens excités, ont envahi la salle des délibérations. Mallarmé (député de Lorraine) a beau s’égosiller pour rétablir un semblant d’ordre, il ne fait qu’exciter la foule qui exige qu’on lui livre trente-quatre Girondins (les enchères ont monté depuis la veille). Vergniaud est bien seul sur les bancs de la Gironde, Condorcet vient de disparaître derrière des draperies vertes et rouges, Rôze le prend par le bras et lui ouvre une porte qui donne sur le jardin des Tuileries. Hérault de Séchelles se coiffe de son chapeau à plumes, en signe de deuil, et propose aux Conventionnels une sortie en corps pour protester contre les pressions de la Commune et démontrer au peuple l’indépendance des députés qui ne sauraient délibérer sous la contrainte. De tous les gradins, les députés descendent têtes nues, ils fendent la foule qui est devenue silencieuse et traversent à pas solennels le grand vestibule des Tuileries. Dans la cour les fusils brillent, les canons luisent, Héraut de Séchelles, en tête du cortège, s’arrête à quelques pas d’un général empanaché qui, du haut de son cheval, le regarde, impassible : la minute est angoissante ; le président sans se découvrir, proclame le décret portant l’injonction à la force armée de se retirer. Le général ricane. – « Que veut le peuple ? reprend Hérault conciliant ; la Convention ne s’occupe que de son bonheur. » Alors l’officier tire son sabre, fait cabrer son cheval et, d’une voix à faire taire toute une place, il commande « Canonniers, à vos pièces ! » La troupe obéit et le cortège se repli. Tous se retourne vers ce petit homme. « Qui est-ce ? – C’est Hanriot ! répond Delacroix – Hier capitaine, ce matin général. » Revenus au bercail, les députés sacrifient 29 des Girondins réclamés sous l’œil du général qui pousse l’audace jusqu’à venir se faire servir un verre de vin à la buvette de l’assemblée.

Il est huit heure du soir lorsque Creuzé-Latouche, venant de la Convention, franchit le pas de sa porte rue Hautefeuille. « Tout est fini, ils ont arrêté Vergniaud en pleine assemblée. » Bosc regarde Roland, malheureux ,qui presse contre lui sa petite Eudora. « Nous partons sur le champ nous réfugier dans la demeure de Bancal. » Pendant que Roland enfile une vieille redingote, Madame Creuzé-Latouche éloigne son enfant en pleurs. Dehors les troupes ont regagné leurs sections, la traversée de Paris se fait sans encombre. Ils franchissent la barrière, au nord de la capitale, sans attirer l’attention des sans culottes qui fêtent la victoire aux bras des lessiveuses. Ils sont sur la route de Calais à présent, à soixante ans, l’ex-ministre doit s’arrêter souvent. Bosc devine enfin dans la nuit l’ombre du village de Domont. Ils quittent la grand-route et s’enfoncent bientôt dans le bois. Le jour n’est pas encore levé lorsqu’ils atteignent l’ermitage de Sainte-Radegonde. La veuve Voyer un peu effrayée leur ouvre la porte.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:18

Le 14 septembre 1793, Bosc entame sa vie de proscrit dans son asile en forêt de Montmorency : « Je cessai mes fonctions à l’administration des Postes et le soir même je me retirais à l’ermitage de Radegonde. » Il consacre sa retraite pour recueillir les proscrits. Il essaie de sauver non seulement ses plus proches amis en danger, mais les amis et sympathisants de ses amis.

Déjà le 31 mai, à peine rassuré sur son propre sort après une journée mouvementée, il voit venir à lui Roland traqué : « Il se cacha d’abord à Paris, puis avec moi dans l’ermitage de Radegonde, enfin chez les demoiselles Malortie à Rouen ».

Madame Roland, arrêtée dans la nuit du premier juin, a laissé seule sa fille Eudora âgée de douze ans ; elle la confie à Bosc : « Vous ne savez pas combien je songe à vous depuis ce matin ; je suis persuadée que vous êtes l’un de ceux qui s’occupent davantage de mes vicissitudes ». Plus tard de sa prison, elle raconte: « Bosc, notre ancien ami, administrateur des Postes, d’un caractère vrai, d’un esprit éclairé, allant chez moi le premier jour de ma détention, s’empresse de conduire ma fille chez Madame Creuzé Latouche, qui l’accueillit, la compta au nombre de ses enfants, avec lesquels il fut établi qu’elle resterait sous ses yeux. Il faut connaître les personnes pour sentir ce que vaut ce trait. Il faut se représenter Bosc, sensible et franc, accourant chez ses amis, se saisissant de leur enfant, le confiant de son propre mouvement à la famille la plus respectable, comme un dépôt qu’il s’honore de leur faire… ».

Il ne pourra sauver Madame Roland, mais seulement lui apporter de temps en temps en prison la consolation de sa présence. Elle évoque ses visites : « Il m’apportait des fleurs du Jardin des Plantes, dont les formes aimables et les doux parfums embellissaient mon austère réduit ». Lorsqu’elle sent sa condamnation prochaine et qu’elle demande de l’opium à Bosc pour se donner la mort et prévenir le supplice, Bosc a le pénible devoir de lui refuser ce qui pourrait ternir sa mémoire : « Jamais, rien ne m’a plus coûté que d’écrire cette lettre… Je lui répondis négativement en cherchant à lui prouver qu’il était aussi utile à la cause de la liberté qu’à sa gloire future, qu’elle résolut à monter sur l’échafaud. » Madame Roland lui répond sur le champ : « Vous me répondez qu’il faut me résoudre à une fin stoïque. Décidément vous ne me comprenez pas. Votre amitié vous aveugle et vous excuse. Mais enfin, voyez ma fermeté, pesez les raisons, calculez froidement et sentez le peu que vaut la canaille qui se nourrit du spectacle. »

Bosc, proscrit, a pourtant l’audace de se rendre souvent, déguisé, à Paris pour venir en aide à plus menacé que lui. Le baron de Sylvestre rapporte : « Habillé souvent en paysan, il portait sur son dos, dans une hotte, les provisions qu’il avait pu se procurer… ». Il continue ainsi quelque temps à visiter Madame Roland en prison : « Jusqu’au milieu d’octobre, j’avais pu voir deux à trois fois par semaine Madame Roland dans sa prison, par la protection de l’excellente Madame Bouchot, femme du concierge, mais alors on mit un espion dans le guichet et il me devint impossible de pénétrer dorénavant jusqu’à elle ». Bosc s’occupe aussi de la mère de Brissot, Madame Dupont, le mercredi 23 octobre, Brissot, dans une lettre à sa mère, écrit ceci : « Je connais le brave citoyen qui vous rend d’aussi grands services. Son nom se gravera dans mon âme, et je lui voue une éternelle reconnaissance ».

Pendant ce temps, à la Convention, trois députés du Maine et Loire, La Révellière Lépeaux botaniste, Pilastre de la Bradière maire d’Angers et Leclerc, font de la résistance face aux Montagnards, devenus maîtres de la France depuis la chute des Girondins. Les trois Angevins siègent côte à côte sur les bancs de la Convention, sans se lier à aucun parti, conservant leur indépendance. En général ils se sentent plus proche des Girondins, dont ils admirent le talent, tout en critiquant la mollesse de leur comportement. Le 2 juin les épargne. Cependant, ils s’élèvent aussitôt, indignés, contre le cynisme de l’attentat et la mutilation de l’Assemblée. Insatisfaits de la protestation que signent soixante treize de leurs collègues, ils en rédigent une autre plus forte, qu’ils font imprimer et répandre dans toute la France. La loi des suspects commençant à porter ses fruits, Pilastre et Leclerc donnent leur démission le 13 août. Ils se retirent secrètement, le 27 septembre, dans une chétive maison en haut de la rue Copeau, où bientôt La Révellière Lépeaux s’installe avec eux. Celui-ci, talentueux orateur, continue d’inquiéter la Montagne. A chaque délibération, il demande l’appel jusqu’à ce que la voix lui manque. Il prend l’assistance à témoin sur les mesures, extravagantes ou atroces, prises par l’Assemblée. Un jour de février 1794, la Montagne l’interrompt par les cris : "Au tribunal révolutionnaire !" et il n’a que le temps de quitter la tribune et l’hémicycle.

Bientôt les trois amis sont alertés que des mandats d’arrestation ont été dressés contre eux. Pilastre le premier quitte Paris ; par une sage précaution, il s’était exercé avec Leclerc au métier de menuisier, chez Dumarais, menuisier du Jardin des Plantes, il trouve refuge et un emploi à Montmorency. Leclerc fait une imprudence en voulant revenir rue Copeau, il est arrêté. La Révellière s’installe chez Creuzé Latouche, et c’est alors que Bosc entre en scène. Il le décide à partager l’asile du prieuré. D’abord il faut traverser les barrières de Paris, et ce n’est pas facile avec un compagnon d’une laideur aussi connue, d’une difformité aussi frappante (Napoléon dira plus tard, qu’il avait le corps d’Esope). Le pas est heureusement franchi, et voilà nos gens sur la route de la forêt. La Révellière commente la suite de l’aventure :

« Je n’avais sur mois, que quelques assignats, de mauvais linge et un méchant habit. Le pauvre Bosc était aussi dépourvu que moi. Arrivés là, nous fûmes réduits à vivre de très peu de pain, de quelques pommes de terre, de limaçon et d’un peu de lait. Nous avions pour toute volaille, dans la basse-cour, une poule qui nous donnait quelques œufs frais ; ils m’étaient toujours destinés, à cause du pitoyable état de ma santé. Je ne puis dire combien mon admirable hôte avait d’attention pour moi. Nous avions cru d’abord que l’affreux système qui nous avait fait proscrire ne pourrait être que de courte durée. Espérance trompeuse ! Le monstre ne faisait qu’étendre de jour en jour son épouvantable puissance, et notre position devenait de jour en jour plus critique. Je restais trois semaines ou environ à Sainte Radegonde. J’aime à me rappeler un petit incident qui ne vaudrait pas la peine que l’on s’en souvint, si, dans une situation pareille, tout ce qui cause un moment de plaisir ou un surcroît de peine ne produisait pas dans l’âme une profonde impression, et n’acquérait pas ainsi de l’importance.
On a vu que notre basse-cour consistait dans une poule. Le jour du mardi gras (4 mars), au matin, l’oiseau de proie la tua, sans néanmoins pouvoir l’emporter, grâce à la prestesse de Bosc. Cette perte m’était sensible ; elle l’était plus encore à Bosc : sa généreuse amitié se désolait de n’avoir plus d’œufs frais à m’offrir. Quelle fut notre surprise, dans le moment où nous exprimions nos regrets sur cette perte, de voir notre ami Creuzé dans la cour, arrivant de Paris par un temps et des chemins affreux, pour nous donner des nouvelles de nos amis et de ce qui se passait ! Il venait en même temps faire mardi gras avec nous et nous distraire, au moins pour un jour, de nos tristes pensées. Qu’on se pénètre bien de notre position, du danger qu’il y avait à nous venir voir : l’on n’aura encore qu’une faible idée du transport de joie et de reconnaissance que produisit en nous la visite de ce vrai sage, toujours calme et rassis, et dont les manières simples et affectueuses, la conversation instructive et l’aimable gaieté rendaient le commerce délicieux. Quel bonheur ! nous criâmes-nous en même temps, Bosc et moi, après avoir embrassé notre ami ; quel bonheur que l’oiseau de proie ait tué la poule ! Sans cet heureux coup du sort, avec quoi aurions nous fait faire carnaval à notre ami ? avec des limaçons ? … Je me mis sur-le-champ à mes fonctions d’aide de cuisine, Bosc à celles de chef ; la poule fut plumée, accommodée et mangée avec beaucoup de gaieté, et nous bénimes l’incident qui nous avait affligés d’abord.
Deux ou trois jours après, nous eûmes une aventure d’un genre bien différent et qui nous mit, pendant cinq ou six heures, dans de grandes inquiétudes. Il prit fantaisie aux administrateurs de Seine et Oise, tous gens féroces et dont j’étais fort connu, de venir chasser à Sainte Radegonde. Ils s’amusèrent à percer d’une balle la queue du coq qui surmontait le petit clocher de la petite chapelle de notre petit ermitage. Ils entrèrent deux ou trois fois dans la chambre qu’habitait la vieille fermière, pour demander de l’eau, du lait, etc. Ils ne vinrent pas heureusement dans la nôtre. Bosc, déguisé en paysan, suivait tous leurs mouvements, pour m’avertir du moment où je pourrais sortir sans être aperçu et aller me cacher dans la forêt, ce qui ne fut pas possible, parce qu’ils rôdèrent toujours autour de la maison, en tiraillant à droite et à gauche. Pourtant ils quittèrent notre voisinage vers la fin de la journée, et nous respirâmes enfin, après bien des quarts d’heure d’angoisse.
Cependant, je ne pouvais rester à Sainte Radegonde sans courir le risque d’une perte prompte et assurée : on se demandait dans le village voisin quel était ce citoyen qui, sous prétexte de maladie et de besoin d’air, se cachait à Sainte Radegonde. On se disait que ce pouvait bien être un de ces députés ennemis du peuple ; que dans tous les cas, c’était toujours dans la commune un mangeur de plus, qui venait augmenter la disette dans un moment où tout le monde mourrait de faim ; qu’il en fallait prévenir le département.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:18

D’un autre côté Pincepré de Buire, cet homme respectable dont j’étais devenu l’ami pendant l’Assemblée constituante, informé de ma proscription par sa nièce, me faisait continuellement sommer par elle de venir prendre asile chez lui, ainsi qu’il me l’avait fait promettre en nous séparant. Mon départ pour la ville de Buire fut donc résolu. La bonne demoiselle Letourneur me donna deux ou trois mouchoirs ; Rozier, aujourd’hui conseiller à la Cour de Montpellier, alors juge au district de Montmorency, et dont nous avions fait la connaissance chez Mademoiselle Letourneur, me mit une de ses chemises dans ma poche. Le pauvre Bosc me donna le denier de la veuve ; il me mit un bâton de pommier blanc à la main et me conduisit, à travers la forêt, jusqu’à la grande route. Suivant l’expression anglaise, en le quittant, ‘’je me déchirai de lui’’ avec une extrême douleur.
J’errais longtemps dans la forêt, avant de reprendre mon chemin. Je visitai plusieurs endroits, où, l’été précédent, j’avais passé des instants si agréables avec ma femme et ma fille ; mais, dans ce cruel moment, j’étais seul avec moi-même. Je m’assois, tristement penché sur la bruyère, et je m’appuyai sur un bouleau dont l’écorce avait encore conservé ce que nous y avions tracé ensemble quelques mois auparavant… J’arrivai le soir à Vaudherland… Le lendemain, je me rendis à la Chapelle en Serval, à deux lieues de Senlis ».

Le jour de son départ, le 17 mars, il est remplacé à Sainte Radegonde par Masuyer. Bosc et Masuyer avaient fait leurs études ensemble au collège de Dijon, ils avaient eu pour condisciple un certain Coqueau. Masuyer fut avocat dans cette ville, puis juge au tribunal de district de Louhans, député de Saône et Loire à la Législative et à la Convention. Mazuyer avait élu domicile chez Coqueau, et c’est là qu’il reçut à dîner, le 24 juin 1793, sous la surveillance d’un gendarme, Pétion le maire de Paris, qui était alors en état d’arrestation et profita de la circonstance pour s’évader. Bosc, convive et complice, joua un rôle qui ne fut pas sans danger. Coqueau subit un interrogatoire et Mazuyer fut alors décrété d’arrestation. La Révellière retrace dans ses Mémoires le séjour de Mazuyer à Sainte Radegonde suite à une lettre de Bosc:

« Le jour de mon départ de Sainte Radegonde, Masuyer, député de la Convention, proscrit pour avoir favorisé l’évasion de Pétion, et hors de la loi comme moi, était venu pour prendre ma place. Dès le lendemain, il voulut absolument retourner à Paris, contre l’avis de Bosc, qui, ne pouvant le retenir, le conduisit par Neuilly. Lorsqu’ils furent arrivés près du pont, Masuyer, voyant relever une sentinelle, prit peur et chercha à se cacher sous la culée. Ce mouvement fut remarqué : on cria au poste, qui ne songeait à arrêter personne, d’arrêter un homme qui se cachait et qui ne pouvait être qu’un aristocrate ou un fédéraliste. A ce cri, Bosc et Masuyer remontèrent rapidement sur le pont, pour le traverser et s’enfuir. Masuyer, un peu pesant, fut bientôt atteint, Bosc était un excellent coureur ; il eut le temps de se jeter dans le bois de Boulogne, où il échappa à la vue de ceux qui le poursuivaient. L’infortuné Masuyer, homme sage et instruit, fut envoyé le soir même à l’échafaud ». Trois jours après, Coqueau arrêté est écroué aux Carmes, et, condamné à l’échafaud.

Robespierre domine le Comité de Salut Public en ce mois de mars. La Terreur lui apporte la toute puissance, il en définit la théorie pour forger un peuple idéal. Il arme le bras des bourreaux à cette cause pure : « la Terreur sans laquelle la vertu est impuissante. » Et étouffe les protestations des victimes : « la vertu sans laquelle la Terreur est funeste. » Il est l’homme qui doit faire régner la vertu en France, son double mépris de l’argent et de la femme le hausse très haut dans l’opinion. Il obéit à sa conscience et s’est donné la haute mission d’immoler la sensibilité pour perdre les ennemis de la vertu. Robespierre a près de lui un terrible excitateur de haine, Saint-Just qui met à son service un cerveau clair et froid, rempli d’idées fortes et dures. C’est par Saint-Just que Robespierre élimine le 24 mars les hébertistes pour dictature, puis les Dantonistes le 6 avril pour indulgence. A ce triomphe de la vertu, il faut une éclatante cérémonie, Couthon pousse Robespierre à rendre public le culte de l’Etre suprême. Le détail en est réglé par le peintre David. Le 8 juin Robespierre préside la fête et y triomphe. Mais lorsqu’il passe devant la masse des députés pour rentrer à leur tête aux Tuileries, il entend des murmures et mêmes quelques injures sortir de leurs rangs. Lui de l’incident ne tire qu’une conclusion une nouvelle saignée est nécessaire. Le 10 juin, Couthon propose à l’Assemblée une nouvelle loi des Suspects, destinée à écraser les derniers ennemis de la Nation. La peine portée contre tous les délits est la mort. Elle peut faire arrêter les députés sans l’autorisation de la Convention. « Si cette loi passe, il ne me reste plus qu’à me brûler la cervelle et j’en demande l’ajournement » s’écrie Ruamps. Mais Robespierre veut sa loi : « Des intrigants, s’efforcent d’entraîner la Montagne, de s’y faire les chefs d’un parti. » « Nommez-les » demande l’Assemblée. « Je les nommerai quand il faudra » répond Robespierre. Finalement l’Assemblée s’incline et vote la loi. Par contre tous les députés se sentent visés et certains comme Barras, Fouché et Tallien ne mettent plus les pieds à l’Assemblée.

Les jours qui suivent sont affreux, le tribunal, armé par la nouvelle loi fait tomber 60 têtes par jour. Mais la dictature qu’impose Robespierre pour le salut de la France est de moins en moins justifiée. Carnot sévère et incommode enchaîne victoire sur victoire sur l’ennemi, et la guerre civile n’est plus à l’ordre du jour. Alors Fouché fait la tournée des députés : « Vous êtes perdus. S’il ne périt, c’est vous qui périrez. » Depuis le 4 juillet, Robespierre ne paraît plus au Comité, il attend Saint-Just pour procéder à un nouveau remaniement. Le 20, Bosc tombe nez à nez sur Robespierre qui visite comme lui les vignes de Puteaux. Surpris, Robespierre s’écrie : « Mais je te croyais mort » puis finalement heureux de le revoir, il ajoute : « je te rend la liberté de te montrer dans Paris en toute sécurité. » Bosc, prudent, ne partage pas le même enthousiasme et se garde bien de suivre sa proposition. Le 26, Robespierre, à la Convention, inconscient de la fièvre intense qui secoue l’Assemblée : chaque député se sentant menacé, fait un discours impressionnant. Il désavoue les violences, s’en lave les mains, dénonce la conception sanguinaire de certains missionnaires de la Terreur : « il faut épurer les comités. » Les modérés applaudissent, les Montagnards sont figés. Mais Cambon, clairement désigné par Robespierre, jette le cri libérateur : « Avant d’être déshonoré je parlerai à la France. Un seul homme paralyse la volonté de la Convention : cet homme, c’est Robespierre ! » Un frisson parcours l’assemblée puis c’est la ruée à la tribune, Billaud Varenne, Collot d’Herbois et les autres multiplient les accusations. Le lendemain 27 juillet (9 thermidor), ni Robespierre, ni ses amis ne peuvent parler à la tribune après l’intervention de Tallien. Ils sont mis en état d’arrestation sur proposition de Louchet. A cinq heures du soir la Commune les délivre et les loge à l’hôtel de ville, puis elle ameute la population qui se rassemble en foule énorme sur le parvis. Les sans culottes attendent les ordres, Robespierre, légaliste, hésite avant de signer l’appel au peuple. Soudain vers minuit une pluie torrentielle disperse la foule. Barras, aux aguets, à la tête des gendarmes de la Convention, profite de la situation pour pénétrer dans l’édifice et réitérer les arrestations. Robespierre reçoit une balle qui lui fracasse la mâchoire, son frère Augustin saute par une fenêtre et se brise la cuisse, Couthon le paralytique est jeté dans l’escalier, Lebas se suicide, Saint-Just se laisse saisir et à quatre heures du matin ils sont traînés vers l’échafaud.

Au lendemain de thermidor, la vie des proscrits n’est toujours pas assurée, car ceux qui ont abattu Robespierre sont pires que lui. Pilastre quitte Montmorency et se rapproche de Bosc à Saint Prix où il s’engage comme compagnon chez le menuisier Richard. Il travaille là caché, jusqu’à l’automne. Bosc, qui connaît sa retraite, use d’un code pour communiquer avec lui : "A la mare, Aux canards, Décadi, A midi". La mare aux canards c’est le nom convenu de l’étang de la Chasse. Ici Bosc lui communique les nouvelles de Paris car le pouvoir dans la rue est en train de changer. Une jeunesse composée, de commis de bureaux, de clerc de notaires, de petits fonctionnaires, d’employés, de fils de marchand, défile de plus en plus dans la rue dans une tenue recherchée et excentrique à l’opposée du débraillé des sans culottes. La presse les nomme muscadins car la plupart ont étudié. Cette jeunesse appuie de toutes ses forces la nouvelle politique de l’Assemblée qui ouvre le procès de Carrier, le bourreau de Nantes. En parallèle les portes des prisons s’ouvrent et les victimes témoignent. Chaque jour les muscadins gagnent du terrain, dans la rue, dans les cafés ils poursuivent les sans culottes. En novembre, armés de bâtons et de sabres, ils attaquent le Club des Jacobins et le font fermer. Tandis que le bonnet rouge disparaît des usages, ils obtiennent que les restes de Marat soient retirés du Panthéon.

La tendance observée à Paris gagne peu à peu la France. Les proscrits quittent leurs cachettes et reprennent une vie normale. Pilastre et Leclerc se marient le même jour, le 9 novembre. Leclerc, en épousant Louise Thoin, entre dans la famille historique du Jardin des Plantes. Pilastre retourne dans sa bonne ville d’Angers. Plus tard une des grandes joies de Pilastre sera le mariage de son fils avec la fille aînée de Bosc. On discute, à la Convention, le rappel des députés proscrits, le 9 décembre, Creuzé Latouche réplique à un membre qui objecte que certains représentants, ayant donné leur démission, avaient quitté leur poste : « Il est très vrai que La Révellière n’a pas été remplacé, qu’il est resté à son poste et qu’il n’a disparu que parce qu’une nuit on vint pour l’enlever. Alors il se cacha pour échapper aux tyrans ». La Révellière entre à la Convention le 8 mars 1795. Le 26 octobre la Convention fait place au Directoire, La Révellière est nommé Directeur. Bosc, le danger passé, se met en devoir d’apporter son soutien ou son amitié à plusieurs familles de Girondins guillotinés.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:19

Juillet 1793 s’achève : un souffle farouche passe sur la France. Deux spectres se dressent à l’horizon ; la défaite des armées républicaines et l’insurrection des grandes villes françaises acquises aux Girondins. Le Comité de salut public passe aux mains de Robespierre : « La République est en danger. Pour la sauver il faut la délivrer de tous ses ennemis. » Partout où l’on suppose de la tiédeur, aux armées ou dans les départements, des représentants en mission sont envoyés pour propager les nouvelles doctrines. Selon Robespierre : « Les hommes ne sont que ce qu’on veut qu’ils soient. » Avec Saint Just, ils deviennent cruels et cyniques pour la bonne cause. Le 17 septembre, la terrible loi des suspects est votée à la Convention : « Sont suspects, ceux qui, dans les assemblées du peuple, arrêtent son énergie par des discours astucieux, des cris turbulents et des murmures ; ceux qui, plus prudents, parlent mystérieusement des malheurs de la République, s’apitoient sur le sort du peuple et sont toujours prêts à répandre de mauvaises nouvelles avec une douleur affectée ; ceux qui ont changé de conduite et de langage selon les événements ; qui muets sur les crimes des royalistes, des fédéralistes, déclament avec emphase contre les fautes légères des patriotes et affectent, pour paraître républicains, une austérité, une sévérité étudiée ; ceux qui plaignent les fermiers et marchands avides, contre lesquels la loi est obligée de prendre des mesures ; ceux qui , ayant toujours les mots de liberté, république et patrie aux lèvres, fréquentent les nobles, les prêtres contre-révolutionnaires, les aristocrates, les feuillants, les modérés, et s’intéressent à leur sort ; ceux qui n’ayant rien fait contre la Révolution n’ont aussi rien fait pour elle. »

En ce milieu d’octobre, Fouquier Tinville avec son chapeau à plumes noires et son air de fauve aux aguets, n’en est pas moins un magistrat scrupuleux. Frapper fort mais légalement. La loi est impitoyable et il l’applique strictement. Une simple dénonciation d’un quelconque citoyen et la plume de Fouquier Tinville court, rapide, nerveuse, sur l’acte d’accusation qui, d’un homme libre fait un condamné. La misère est mauvaise conseillère : les esprits s’échauffent et la Terreur exigent des victimes de plus en plus notoire : « parce que ça ne peut plus durer ainsi. » Le 14 octobre s’ouvre l’audience de la reine, le 16 elle est guillotinée. Une semaine après l’exécution de Marie Antoinette, vingt et un députés girondins sont sur les bancs des accusés. Jean Pierre Brissot, Pierre Vergniaud, Armand Gensonné et les autres sont conduits au supplice le 31 octobre vers midi.

Vendredi 8 novembre (neuf heures du matin), Madame Roland attend dans la cour de la Conciergerie qu’on l’appelle au Tribunal. Habillée d’une robe de mousseline blanche retenue par une ceinture de velours noir, ses longs cheveux sombres flottent sur ses épaules. Elle pense à sa fille, elle a pu faire parvenir toute la liste des biens qu’elle possède ainsi que ses mémoires à son ami Bosc. Elle a légué, à titre de souvenirs, les deux bagues qui viennent de son père : l’une à Creuzé-Latouche, l’autre à Bosc. Son âme est sereine elle a fait ses adieux :

« Adieu, mon enfant, mon époux, ma bonne, mes amis.
Adieu, soleil dont les rayons brillants portaient la sérénité dans mon âme comme ils la rappelaient dans les cieux.
Adieu, campagnes solitaires dont le spectacle m’a si souvent émue ; et vous, rustiques habitants de Thézée, qui bénissiez ma présence, dont j’essuyais les sueurs, adoucissais la misère et soignais les maladies.
Adieu, cabinets paisibles où j’ai nourri mon esprit de la vérité, captivé mon imagination par l’étude, et appris dans le silence de la méditation à commander mes sens et mépriser la vanité.
Adieu…Non, c’est de toi seul que je ne me sépare point ; quitter la terre c’est nous rapprocher ». Ce dernier s’adresse à Buzot.

Marie-Jeanne ne se fait aucunes illusions. Le procès était perdu d’avance. Elle revient sur les délits qui lui sont imputés. « Conspiration horrible contre l’unité et l’indivisibilité de la République et complicité de Marie-Jeanne Phlipon, femme de Jean-Marie Roland ». Elle s’oppose à ce jugement « Pour établir une complicité dans un projet quelconque, il faut ou avoir donné des conseils ou avoir fourni des moyens ; je n’ai fait ni l’un ni l’autre ; je ne suis donc pas répréhensible aux yeux de la loi. Je sais qu’en révolution la loi, comme la justice, est souvent oubliée. Je ne dois mon procès qu’aux préventions, aux haines violentes qui se développent dans les grandes agitations et s'exercent pour l’ordinaire contre ceux qui ont quelque caractère ». Elle se souvient de ses interrogatoires depuis le 1er novembre, le juge David lui pose de longues questions et exige des réponses brèves sans détails. Fouquier-Tinville, l’Accusateur public, furieux, l’empêche de s’exprimer « avec une telle bavarde on n’en finit jamais » et il fait clore l’interrogatoire lorsqu’il tourne à son désavantage. Madame Roland insiste « Que je vous plains ! Je vous pardonne même de ce que vous me dîtes de désobligeant. Vous croyez tenir un grand coupable ! Aujourd’hui que la terreur étend son spectre de fer sur un monde abattu, le crime insolent triomphe, il aveugle, il écrase, et la multitude ébahie adore sa puissance ». Les tricoteuses, solidaires de l’Accusateur public, répliquent « A bas les traîtres ! Vive la République ». Madame Roland poursuit « Je sais que le règne des méchants ne peut être de longue durée ; ils survivent ordinairement à leur pouvoir et subissent presque toujours le châtiment qu’ils ont mérité ». Fouquier-Tinville en appelle aux gendarmes et ordonne qu’on la traîne dans sa cellule.

Quatorze heures, Madame Roland repasse le greffe en faisant un geste significatif à son cou. Elle vient d’être condamné à mort. Les douze jurés, tous petits artisans parisiens, ont répondu par l’affirmative aux deux questions de l’Accusateur public. Fouquier-Tinville envoie un ordre de réquisition à Hanriot, le commandant de la force armée parisienne. Les Gendarmes ne se rassemblent qu’à seize heures et demie dans la cour de la Conciergerie. A l’intérieur, Madame Roland partage son dernier dîner avec un autre condamné, François Simon La Marche, ancien directeur de la fabrication des assignats. Les journalistes sont présents, l’un d’eux note : « Après qu’on eut coupé les cheveux de La Marche, Madame Roland le regarda attentivement et lui dit : ‘’Cela te sied à merveille, tu as en vérité une tête antique’’ ; La Marche passe devant elle pour monter dans la charrette, elle lui dit : ‘’Tu n’es pas galant La Marche ; un français ne doit jamais oublier ce qu’il doit aux femmes’’ ». Sophie Granchamp ne manque pas le dernier rendez-vous que lui a fixé son amie à l’angle du Pont Neuf : « je sors une heure avant son départ de la Conciergerie pour me trouver au lieu indiqué. La foule se porte vers cet endroit, je la fend précipitamment, et me hâte de saisir le parapet. Un cri général : ‘’La voilà ! La voilà’’ frappe mon oreille. J’aperçois de loin la fatale voiture, dès que je peu distinguer la figure de mon amie je ne la quitte plus. Elle est fraîche, calme, riante ; elle cherche par ses discours à donner quelque énergie au malheureux compagnon dont la pâleur, l’abattement forment un contraste frappant. En approchant du pont, ses regards me cherchent, arrivée en face de moi elle cligne des yeux et me sourit ». Il est cinq heures et quart lorsque Riouffe et Des Essards, à proximité de la colossale statue de la Liberté, saisissent une de ses dernières phrases : « Ô Liberté, que de crimes on commet en ton nom ! » Il faut un dernier effort. La Marche est dans un tel état de terreur que, pour lui éviter la vue de son supplice, elle demande au bourreau de l’exécuter le premier. Enfin, elle monte…

20 heures, Bosc, comme tous les vendredi soir, frappe à la porte de Sophie Grandchamp. Bosc fait la navette entre Sainte Radegonde et Paris pour chercher des nouvelles ; toujours le vendredi et toujours chez Sophie. Le géographe Edmé Mentelle, l’ami fidèle de Brissot, arrivé un peu plus tôt, lui ouvre la porte . Dans ce petit appartement, aménagé avec goût, il aperçoit dans le salon Grandpré et Sophie en larmes. Sophie Grandchamp et Grandpré sont les dernières personnes à avoir visité Madame Roland en prison. Grandpré a été nommé inspecteur des prisons, en 1792, par Roland. C’est à ce titre qu’il a accès à la cellule de Madame Roland. En septembre 1792, il se retrouva au chœur des massacres. « Dans la matinée du 2 j’avais trouvé les habitants des prisons dans le plus grand effroi. Je fis beaucoup de démarches pour faciliter la sortie de plusieurs d’entre eux et je réussis pour un assez grand nombre, mais les bruits qui se répandaient, tenaient ceux qui restaient dans la plus grande perplexité. J’attendais les ministres à la sortie du Conseil ; Danton paraît le premier, je l’approche, parle de ce que j’ai vu, retrace les démarches et alarme le ministre de la justice sur les mesures de sécurité qu’il doit prendre pour eux. Danton me fixe du regard et s’écrie de sa voix beuglante : ‘’ Je me f… bien des prisonniers ! Qu’ils deviennent ce qu’ils pourront ! ‘’. Le soir même la boucherie commencée ». Sophie Grandchamp est à présent la compagne de Grandpré, elle est devenue l’amie et la confidente de Madame Roland. Bosc a fait sa connaissance en 1791. Elle dispensait des cours gratuits d’astronomie, de grammaire générale et de littérature à certaines de ses relations. Bosc dit assez dédaigneusement qu’il eut avec elle : « une passade où les sens seuls agirent des deux côtés ». Il fit confidence à Sophie de l’amitié qui le liait aux Roland. Tant que ses relations restent lointaines, Sophie n’en prend pas ombrage. Mais lorsque Marie Jeanne annonce sa venue à Paris avec son mari, la tendre amie se laisse aller à une crise de jalousie. « Qui croirait que cette nouvelle, qui devait m’intéresser par la certitude que mon ami s’empresserait de nous lier, me causa une sorte de peine que je ne puis définir encore ? L’amour propre me faisait-il craindre une trop grande infériorité ? » Conscient de cette possible rivalité ; Bosc, au début, tient la jeune femme éloignée du couple. C’est par l’intermédiaire de Grandpré que se nouera son amitié pour Madame Roland. Pour l’heur Sophie raconte l’arrivée de Bosc : « Quand Bosc, obligé de se cacher, et ne venant à Paris que le vendredi soir, pour savoir ce qui s’était passé dans l’intervalle, entra tout à coup. Sa vue nous fit pousser des sanglots, qui ne lui apprirent que trop la cause. La violence des siens pensa lui devenir funeste. C’est l’homme qui regretta le plus sincèrement Madame Roland. Bosc écrivit chez moi à son mari, Roland reçut la lettre le dimanche ».
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:20

Rouen, 10 novembre, Roland se terre dans une modeste maison rue aux Ours. Roland est arrivé le 28 juin après avoir quitté l’asile de Bosc en forêt de Montmorency. Ce n’est pas un hasard si il vit ici chez les sœurs Malortie ; c’est tout simplement le fait d’une vieille amitié : trente deux ans plus tôt, alors qu’il était inspecteur des manufactures, il séjourna à Rouen. Il devint l’hôte assidu des Malortie. Le père gérait à l’ombre du vieux clocher de Saint-Cande-Lejeune les biens du chapitre de la cathédrale. Le soir il accueillait dans sa famille le jeune Roland : « On se livrait là, entre jeunes du même âge, à d’interminables palabres sur des questions de politique, de commerce, de sciences. Les théories philosophiques y étaient fermement discutées, on vantait la Grèce et la pureté de la République ». Et puis il y avait le plaisir de retrouver les trois filles, belles, cultivées, intelligentes, surtout la cadette Marie Magdeleine. Une idylle se noua et leurs fiançailles furent décidées mais, en 1773 Marie Magdeleine tomba gravement malade et mourut dans ses bras. Jean Marie Roland continua à voir la famille Malortie même après son mariage en 1780 avec Marie Jeanne Phlipon.

L’atmosphère n’est plus la même à présent, il ne reste plus que deux vieilles filles dans ce logis de province, et Roland vient de recevoir une lettre terrible de son ami Bosc : « on vient d’égorger ta femme ». Désespéré, découragé par ces journées d’immobilité sans but, il tient conseil avec ses deux amies et décide de retourner à Paris. Cependant, alors qu’il brûle des papiers, il ne pense qu’à une seule issue : le suicide. Vers 18 heures, il étreint longuement les sœurs Malortie dans le couloir sombre qui conduit à la porte.

Dehors il fait nuit, la pluie fouette les pavés, Roland gagne les quais tout proches puis monte la rude côte Sainte Catherine conduisant vers Bonsecours. Sur le grand chemin de Paris, il traverse les villages de Mesnil-Esnard, de Franqueville-Saint-Pierre et de Boos. Inclinant un peu sur la gauche il passe aux hameaux du Mouchel, de Lefaux et à la ferme de la Bergerie. La lande passée, il marche encore pendant un quart d’heure et trouve des maisons sur la gauche, l’extrémité du village de Mesnil-Raoult. De l’autre côté, un bois longe la route, le premier rencontré depuis Rouen. Un quart d’heure encore et, à un tournant de la route, il aperçoit une allée couverte s’enfonçant sous le taillis. Il fait quelques pas, s’assoit sur le talus en s’appuyant le dos à un arbre. Il n’ira pas plus loin. Avec une froide lucidité il fait jouer le déclic de sa canne épée, que lui a offert Bosc, et il enfonce une première fois la lame dans son Thorax ; sentant que la mort ne vient pas, il dégage l’arme et se la frappe de nouveau violemment : inconscient il s’affaisse.

C’est tard dans la matinée du 11 novembre, qu’un citoyen de Bourg-Beaudoin découvre le corps sur le chemin qui conduit au château de Cocquetot, situé sur la commune de Radepont. A une heure de l’après-midi, le juge et le chirurgien de Pont-Saint-Pierre en compagnie du maire de Radepont examinent le cadavre. L’arme est si profondément enfoncée qu’elle s’est fixée aux vertèbres dorsales. On déshabille le corps ; tandis que le chirurgien poursuit son analyse, le juge visite les poches de la houppelande : on y trouve deux cartes au nom de Roland et un billet écrit de sa main :

« Qui que tu sois qui me trouves gisant, ici, respecte mes restes ; ce sont ceux d’un homme qui est mort comme il a vécu, vertueux et honnête. Un jour viendra, et il n’est pas éloigné, que tu auras un jugement terrible à porter ; attends ce jour, tu agiras alors en pleine connaissance de cause et tu reconnaîtras même la raison de cet avis. Puisse mon pays abhorrer enfin tant de crimes et reprendre des sentiments humains et sociaux ». Signé Jean Marie Roland, sur l’autre pli du billet le conventionnel a rajouté ce cri de désespoir : « Non la crainte, mais l’indignation. J’ai quitté ma retraite au moment où j’ai appris qu’on avait égorgé ma femme ; et je ne veux plus rester sur une terre couverte de crimes… »

Devant une telle découverte, le maire dépêche un homme à Rouen et, comme on ne peut laisser le corps au bord de la route on le transporte à l’intérieur du château de Cocquetot. A Rouen on ne perd pas de temps, la nouvelle flambe dans la ville en quelques heures. Les deux conventionnels en mission, Legendre et Delacroix se rendent à Bourg-Beaudoin : « Ils ordonnent de faire un trou à l’endroit où l’ex-ministre s’est poignardé et de l’y faire enfouir ». Puis Legendre émet un vœu au Comité de Salut public : « Je demande qu’on plante sur sa fosse un poteau avec une inscription annonçant à la postérité la fin tragique d’un ministre pervers qui avait empoisonné l’opinion publique, acheté fort cher la réputation d’un homme vertueux et qui était le chef d’une coalition criminelle qui a voulu sauver le tyran et anéantir la République ». Robespierre ne répondit jamais à sa demande.

Peu de jours avant l’exécution de sa mère, la petite Eudora avait quitté la maison des Creuzé-Latouche ; on l’avait, sous un faux nom, placée en pension chez Madame Godefroid et, c’est ici que Bosc lui annoncera les deux terribles événements qui la feront orpheline.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:22

Au mois de juillet 1796, Bosc séjourne à Saint-Emilion chez la veuve de Guadet. Toute la région a gardé en mémoire la fin tragique de ses amis. Bosc visite leurs lieus d’asile ou d’agonie. La peur engendrée par la terreur a laissé place aux remords chez de nombreux habitants. Tous savaient mais seul un petit nombre au risque de leur vie les a aidé. Qui a dénoncé ? « L’aubergiste Nadal » répondent les Saint-Emilionnais. Honte et haine ne sont pas encore dissipées et les familles des victimes restent isolées. Bosc interroge longuement le perruquier Troquart, puis écrit à Louvet, le seul rescapé de cette tragique équipée.

C’est le 2 juin 1793 que tout a commencé. Les Girondins vaincus par la rue, (chauffée à blanc par les Montagnards), ont perdu leur légitimité à la Convention. Certains, comme Vergnaud, se laissent arrêter sans mot dire. D’autres, parmi lesquels Louvet, prennent la route de Normandie pour soulever la province contre Paris. La grande aventure commence.

L’illusion des proscrits est grande ; d’après leurs calculs, soixante neuf départements vont s’insurger à leur appel. A Caen ils haranguent la foule mais ne réussissent à échauffer qu’une tête, celle de Charlotte Corday. Bientôt l’espoir cède à la déception lorsque leurs partisans sont battus à Vernon par les troupes de la Convention. A présent les proscrits sont en fuite, ils décident de gagner le fond de la Bretagne en compagnie d’un bataillon de volontaires du Finistère. Evitant les grandes villes, les fugitifs avancent par petits groupes, protégés par une poignée de fédérés. Les Montagnards ont envoyé Carrier à leurs trousses, et à mesure que le temps passe la propagande produit son effet sur la population. Les noms et signalements des Girondins sont affichés sur les places publiques avec promesse de récompense à qui livrera les ‘’traîtres fédéralistes’’ au tribunal révolutionnaire. Les sept députés : Pétion, Guadet, Valady, Louvet, Buzot, Salles et Barbaroux, décident de circuler la nuit et de se reposer le jour. Leur marche devient plus difficile. Souvent, ils s’égarent dans des chemins de traverse et perdent du temps à retrouver la bonne voie : tantôt ils s’enfoncent au milieu des routes, tantôt ils glissent dans les marais. Les pieds en sang, les vêtements déchirés, ils font de gros efforts pour avancer. Enfin ils atteignent Quimper et Louvet a la joie de serrer dans ses bras sa compagne installée dans une ferme voisine. Guadet reçoit des nouvelles de son sud-ouest natal : Bordeaux, Lyon et Marseille se sont insurgées. Le petit groupe décide de rejoindre Bordeaux par la mer.

C’est à Brest qu’ils embarquent la nuit sur un brick de commerce ‘’l’industrie’’ qui les déposent trois jours plus tard, en Gironde au Bec d’Ambès où le beau-père de Guadet possède une propriété. Le jour même, Guadet et Pétion gagnent Bordeaux à pied ; ils en reviennent consternés : « Tallien terrorise la ville, il ne faut rien tenter ». Que faire ? Que devenir ? Guadet propose de se rendre à Saint-Emilion en éclaireur. Un gabarier du Bec d’Ambès, nommé Grèze, consent à le conduire jusqu’à Saint-Pardon, un hameau, sur la grande route, au bord de la Dordogne, d’où, le soir venu, il rejoint Saint-Emilion. Guadet erre longtemps autour de la maison familiale, située hors des murs de la ville, dans les vignes, sur le chemin de Coutras. A minuit, il se glisse chez son père et le supplie de donner asile à ses compagnons ; le vieillard, bouleversé, consent à recevoir son fils et un de ses amis, pas plus, n’ayant pas de caches pour loger les autres. Guadet s’adresse à plus de trente personnes : parents, amis d’enfance… Pas un n’ose ouvrir sa maison. Les autres, au Bec d’Ambès, perdent patience : leur présence est signalée, le patron de l’auberge voisine est parti pour Bordeaux pour les dénoncer. Sans attendre le retour de Guadet, ils vont en troupe à sa rencontre par des chemins détournés. Pour bagage, ils ont ‘’une petite malle et trois portemanteaux liés ensemble’’ ; ils portent ostensiblement des pistolets, des cannes à épée et des sabres. Le père Guadet accepte de les abriter pendant une nuit ; mais dès l’aube, ils se remettent en route, sans but. Ils errent de Pomerol à Castillon, dorment dans les vignes, dans les bois et les carrières. On sait leur présence dans le pays ; on craint leur rencontre ; leur aspect seul effraie les paysans.

En octobre, une bonne nouvelle leur arrive. La belle sœur de Guadet, la jeune Thérèse Bouquey vient de quitter le château de Fontainebleau où elle réside avec son mari, régisseur des domaines nationaux, pour s’installer dans sa maison de Saint-Emilion. Elle trouve aussitôt le moyen d’aviser Salles et Guadet que sa maison leur est ouverte. Ils y accourent, non sans scrupules, car Barbaroux, Louvet et Valady n’ont pas d’asile. « Qu’ils viennent tous trois » dit Thérèse Bouquey. La nuit suivante arrivent les trois proscrits, harassés, les habits en lambeaux, rapportant que, depuis quinze jours, Buzot et Pétion ont changé neuf fois de retraite et qu’ils sont « réduits à la dernière extrémité ». « Qu’ils viennent aussi », fait la généreuse femme, recommandant seulement qu’ils se présentent la nuit. A minuit, ce 12 octobre 1793, les sept fugitifs sont réunis chez elle : elle pleure de joie en contemplant « sa nichée », Marinette, comme la surnomme familièrement Guadet, régale d’un copieux souper ces hommes qui, depuis des semaines, n’ont rencontré ni soupe fumante ni sourire accueillant.

La maison Bouquey, tapie entre deux rues, dans l’ombre de la Collégiale, est une jolie demeure provinciale. L’entrée principale donne accès au pressoir et aux chais. La maison possède une cache admirable : dans le jardin trône un puits carré profond de trente mètres. Des marches aménagées, sur deux parois se faisant face, permettent de descendre à sept mètres en dessous terre. On trouve ensuite une baie ouvrant sur un souterrain égal en superficie au jardin qui le recouvre. Tout le sous-sol de Saint-Emilion est percé d’immenses galeries. C’est dans cette grotte que Madame Bouquey cache les sept Girondins. Pour que ses proscrits se trouvent bien, elle fait descendre du mobilier, du linge, des couvertures, des livres et des lanternes. Lorsqu’elle juge tout absence de danger, ils prennent l’air dans la maison, mais à la moindre alerte, tous enjambent la margelle du puits. Pour se procurer de quoi les nourrir dans cette période de restriction, elle accomplit des prodiges d’ingéniosité. Au fond de leur caveau, les Girondins se rassemblent autour de la lanterne : Buzot, Barbaroux, Pétion, Louvet écrivent leurs mémoires ; Salles compose une tragédie ‘’Charlotte Corday’’. C’est ici qu’ils apprennent aux premiers jours de novembre la mort de leurs amis Girondins sur l’échafaud ainsi que le procès de Madame Roland. Buzot aime Madame Roland et il se sait aimé d’elle ; le cœur étreint d’angoisse il songe au pire.

Un soir, le 13 novembre, en remontant pour souper, ils trouvent Marinette en larmes. Depuis quelques jours, ses parents, ses amis, son mari, lui imposent de renvoyer les proscrits, sous prétexte que la ville tout entière est menacée d’effrayantes représailles. Cette nuit là, la vie errante des proscrits recommence : Barbaroux, Pétion, Buzot et Valady prennent le chemin des vignes espérant franchir la Dordogne ; Guadet entraîne Louvet et Salles chez une Dame, propriétaire d’un grand vin renommé, à laquelle il a rendu de grands services en tant qu’avocat. Lorsqu’ils se présentent devant la porte, la pluie tombe à flots, et les fugitifs sont trempés jusqu’aux os. Le domestique qui vient leur ouvrir connaît bien Guadet. Celui-ci le prie d’aller chercher sa maîtresse, l’homme obéit. Dix minutes plus tard il revient avec le message suivant : « Madame ne peut recevoir personne chez elle ». La déception des proscrits est cruelle. Le froid, le manque de sommeil, la pluie qui tombe en déluge, tout contribue à accabler les malheureux. Louvet épuisé de fatigue, tombe par terre. Guadet supplie le domestique à travers le trou de la serrure : « une chambre et du feu seulement pour deux heures, un de mes amis se trouve mal ». Le domestique consulte sa maîtresse : même refus. « Au moins un peu de vinaigre et un verre d’eau », pas de réponse. Il n’y a plus rien à tenter, les proscrits s’éloignent à pas lents vers les grottes : les seuls abris contre les pluies d’automne.

Au mois de décembre, Thérèse Bouquet n’est plus seule, son mari, Robert, et son père, Dupeyrat, sont installés chez elle. Dehors, les Girondins de nouveau rassemblés rôdent misérablement autour de Saint-Emilion. Plus question de recevoir les proscrits par contre elle s’ingénie à procurer aux fugitifs des refuges. Sur ses instances, ils sont hébergés, au début de janvier 1794, par le citoyen Paris, curé constitutionnel de Saint-Emilion. Au bout de quelques jours, Valady et Louvet ‘’remis sur pieds’’ décident de quitter Saint-Emilion. Louvet veut revoir sa compagne : « Mille à parier contre un que je n’arriverai pas. Mais ce n’est qu’ainsi qu’il m’est permis de me donner la mort. Vous savez qu’elle femme m’attend. Il faut que ma Lodoïska voit bien qu’en tombant j’avais le visage tourné vers elle ». Valady quand à lui espère qu’un ami, installé près de Périgueux, accepte de le cacher. Avant de quitter leurs compagnons ils partagent équitablement les assignats qu’ils possèdent, puis, ils s’embrassent pour la dernière fois. Valady ne le sait pas encore mais il lui reste peu de temps à vivre : le ci-devant marquis franchira, sur une charrette, la porte de Périgueux pour se rendre tout droit à l’échafaud.
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Portrait de Bosc par Antoine Da Sylva Empty Re: Portrait de Bosc par Antoine Da Sylva

Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:22

Louvet avance seul sur la grand-route. Il est revêtu d’un uniforme de la garde nationale et coiffé d’une petite perruque jacobine. Son passeport a été délivré au nom du citoyen Larcher, honnête sans-culotte. Un ami de l’excellent curé, expert en écritures, lui a confectionné ce faux papier orné de multiples signatures, de visas, de magnifiques cachets, susceptibles d'éblouir les ignorants, mas non de duper les magistrats des villes. Evitant les gros bourgs, Louvet marche à grands pas mais bientôt son allure faiblit. Une de ses jambes le fait péniblement souffrir. Malgré une cheville toute enflée il lui faut continuer sa route. Enfin la chance lui sourit. Près de Mussidan, alors que mort de fatigue il a l’audace d’entrer dans une auberge, une bonne hôtelière devine sa situation. Elle le conduit aussitôt dans une chambre, où elle lui sert à souper, en lui faisant comprendre que la salle commune est encombrée de fervents ‘’patriotes’’. Le lendemain, un brave homme de voiturier le voyant clopiner sur la grand-route lui propose de monter dans sa carriole. Louvet voit ainsi défiler sans fatigue un grand nombre de lieues. A plusieurs reprises, le véhicule est arrêté et les passeports demandés, mais le fugitif en est quitte pour la peur. Bien plus, le bon sans-culotte confie le voyageur à un autre conducteur de ses amis comme ‘’marchandise de contrebande’’. Louvet se réjouit de sa chance. Partout, à mesure qu’on se rapproche de Paris la surveillance se fait plus serrée, mais, à Etampes, à Arpajon, à Longjumeau les visites sont rapides. A la barrière de Paris, la chance, toujours, veut que le garde laisse passer les voyageurs sans rien demander. Arrivé rue d’Enfer, Louvet met pied à terre non sans avoir remercié chaleureusement le voiturier, puis il se retrouve dans les bras de sa Lodoïska, émerveillée de ces retrouvailles inattendues. La jeune femme a trouvé asile chez un ami de la famille, mais celui-ci ne tarde pas à faire savoir qu’il ne peut loger un proscrit. Lodoïska peut heureusement louer à son nom un petit logis où, maniant la scie et la truelle de maçon, elle confectionne une cache dans l’angle d’un mur. Enfin elle se rend chez Sophie Grandchamp pour qu’elle prévienne Bosc, lors de ses visites régulières du vendredi, que Louvet est de retour à Paris.

La Grande Terreur se construit à la Convention, Robespierre fait voter la délation comme vertu civique. « La lenteur est coupable » déclare le paralytique Couthon de sa voix douce à la tribune où il s’est fait porter, « et il s’agit moins de punir les adversaires que de les anéantir. » Il rejoint ici la sentence de Saint-Just définissant la République par la destruction complète de tout ce qui lui est opposé.

Bosc retrouve Louvet qui lui raconte les terribles semaines passées, il ne se sent pas capable de rester dans ce Paris où tout lui est hostile. Bosc organise pour le couple un départ en Suisse chez son ami Albert Gosse. Le voyage se fait en deux temps. Un matin de février, Louvet vêtu d’une carmagnole et coiffé d’un bonnet rouge passe tranquillement à pied la barrière de Charenton et continue sa route jusqu’à Melun. Là, une voiture l’attend pour le mener dans le Jura d’où il gagne la frontière. Quelques jours plus tard, Lodoïska, part sans difficulté, et rejoint son bien-aimé ‘’sous les cieux de la libre Helvétie’’.

A Saint-Emilion, Salles et Guadet ont repris possession de leur cachette sous le toit du père Guadet. Marinette a installé Buzot, Pétion et Barbaroux au centre même de la ville chez le perruquier, Jean-Baptiste Troquart. Sa boutique forme un promontoire à l’endroit le plus passant de la ville. Troquart y vit seul et n’occupe que le rez-de-chaussée. Les proscrits sont à l’étage où les fenêtres ne s’ouvrent jamais. Elle fournit leur nourriture, pain compris, et elle remet à Troquart un assignat de cinq cents livres pour la pension. La pièce ne contient qu’un lit où couche Pétion et Buzot ; Barbaroux dort sur un matelas. Ils ne peuvent allumer de feu, ‘’à cause de la fumée dénonciatrice’’, et osent à peine causer, ‘’de peur d’être entendus par les passants’’. Buzot et Barbaroux écrivent sans cesse. Pétion demeure oisif : assis dans un vieux fauteuil, il rêve ou sommeille. Quand la nuit est obscure, les rues désertes, Troquart fait les commissions de ses pensionnaires : il va à la maison Bouquey, très voisine, ou plus loin, chez le père Guadet, échangent des lettres, rapportent des provisions. Salles, sur le grenier de la maison Guadet, dans une cachette si basse qu’il ne peut s’y tenir que couché, Salles s’obstine à sa tragédie de ‘’Charlotte Corday’’ ; il en expédie, par Troquart, de longues tranches à ses amis, en les pressant de lui transmettre leurs observations : le drame est ainsi par eux commenté, discuté littérairement, d’une manière peu flatteuse, pour l’amour propre de l’auteur. « Plusieurs tirades ont une longueur démesurée », note Pétion. « Je vous engage à imiter les pièces de Shakespeare », insinue Buzot. « Soigne ta versification, elle est négligée, même dans les bons endroits », remarque Barbaroux. Ils n’ont guère d’autres distractions : Pétion, qui s’ennuie, se risque à souper un soir chez les Bouquey ; une autre fois, il y entraîne ses deux compagnons ; Madame Bouquey s’efforce de leur rendre supportable la ‘’prison Troquart’’, aux premiers jours du printemps, elle fait porter des fleurs ‘’pour parer leur pauvre et sombre asile’’. Ils se croient en sécurité, et de fait, nul ne soupçonne leur présence chez le perruquier, au-dessus d’une boutique où les plus chauds patriotes de Saint-Emilion se retrouvent à l’heure de la barbe.

Le 17 juin 1794, au matin, Saint-Emilion se réveille bloqué par le 10e bataillon de la Gironde, venu de Libourne. Toutes les portes sont gardées, ainsi que la maison Guadet et les diverses issues des souterrains. Au centre de la place, la meute de Marcon, le boucher de Sainte-Foy-la-Grande, hurle sinistrement. Les dogues énormes, dressés au combat, sont redoutés dans toute la contrée. La chasse au Girondin se prépare ; les molosses sont lâchés dans les carrières et l’on s’attend à en voir sortir, comme d’un terrier, les proscrits débusqués. Rien ne paraît : Marcon enchaîne ses dogues, et se dirige vers la maison Guadet ; on la fouille des caves aux combles. Sous un des angles du toit, on découvre Salles et Guadet, aussitôt garrottés et conduits dans l’auberge de Nadal. Même opération à la maison Bouquey, on reconnaît des traces du séjour des hors-la-loi. A deux heure et demie, sur une charrette réquisitionnée, on charge Monsieur et Madame Bouquey, le père Dupeyrat, Salles, le vieux Guadet, son fils le député, sa fille Marie Guadet ; on y jette même une pauvre fille bossue, servante chez Marinette. Un des soldats chargés d’escorter les prisonniers assiste à une scène terrible. Le père Guadet est assis de côté ; son fils est debout près de lui ; il est désolé ; il s’écrit avec force : « Ah ! mon père, mon père, nous allons mourir et c’est moi qui en suis cause ? ». La charrette, gagne la porte de la Madeleine pour rejoindre la route de Libourne, au passage elle longe les murs de la maison Troquart où se tiennent, angoissés, silencieux, Buzot, Pétion et Barbaroux. Le soir, quand la ville consternée reprend son calme, ils font leurs adieux à Troquart, et sortent par la porte Brunet.

Ils vont déguenillés, haves, la barbe longue, déshabitués de la marche par plusieurs mois de réclusion. Ils sont munis de leurs pistolets ; Barbaroux porte en outre, à son côté, un couteau de chasse ; Pétion tient sous le bras les provisions de bouche : un gros pain rond, bourré de viande et de pois verts. Où se diriger ? La frontière la plus proche est celle d’Espagne mais à la traversée de tous les ponts, des moindres bourgades, les sentinelles réclament à tout passant une justification d’identité : or ils sont sans passeport. Errant, ils descendent les coteaux de Saint-Emilion, évitent les villages de Saint-Hippolyte et de Saint-Laurent, avancent vers la Dordogne qu’ils espèrent traverser peut-être. A l’aube ils franchissent la grand-route de Bergerac à Bordeaux, non loin de la métairie Germans. La route est bordée par une pièce de blé que surplombe à deux cent mètres un petit bois de pins. Les trois hommes fatigués repèrent au milieu du champ deux gros mûriers et choisissent cet endroit pour déjeuner. A ce moment là, quelques volontaires précédés d’un tambour, venant de Castillon et se rendant à Bordeaux passent sur la route. Soudain le tambour met à battre sa caisse. Gîtés dans les blés hauts, les proscrits pensent qu’ils sont poursuivis. Pétion et Buzot se lèvent aussitôt et, gagnent en quelques sauts le bois de pins où ils s’éclipsent. Barbaroux, dégoûté et las de cette vie de paniques, arme son pistolet, l’applique à son oreille droite et fait feu. Les volontaires, sur la route, entendent le coup, s’arrêtent, entrent dans les blés ; ils trouvent le blessé ‘’soufflant très fort, et se retournant dans tous les sens’’ ; toute sa joue droite et couverte de sang. Qui est-ce ? On entoure le blessé, sans que nul n’ose approcher pour lui donner des soins : les paysans ont peur de ce moribond. Jusqu’à l’après-midi, Barbaroux, le beau Barbaroux, qui naguère, admiré et galant, effeuillait d’un geste élégant, des roses dans le verre de Madame Roland ; Barbaroux le passionné qui a révélé et fait adopter le champ de Rouget de Lisle à un bataillon marseillais, reste là, gisant sur le sol rougi de son sang que piétine une centaine de curieux. Vers trois heures seulement, arrivent les officiers municipaux de Saint-Magne : ils font transporter le blessé à travers champ jusqu’à la métairie ‘’du Bout de l’allée’’. Six jours plus tard, Barbaroux sera expédié à Bordeaux et montera sur l’échafaud en compagnie des familles Bouquey et Guadet.

Au moment précis où leur ami se blesse d’un coup de pistolet, Pétion et Buzot, observent, du petit bosquet de pins, les allées et venues autour de leur compagnon. Que se passe t’il ? Barbaroux n’est pas mort. Si non on l’aurait inhumé sur place ? Les deux hommes, au dernier point de la misère et du désespoir, savent qu’avant la fin du jour, ils devront mettre un terme à leur existence ; ils ne se regardent pas, tant ils redoutent de lire dans les yeux l’un de l’autre la résolution décisive. Buzot que la plus romaine des femmes de la Révolution a aimé d’un amour héroïque ; Pétion, le jovial Pétion, si infatué naguère de sa popularité, et dont maintenant les cheveux ont blanchi en quelques nuits, comme ceux de la reine que, jadis triomphant, il avait ramenée humiliée de Varennes.

Le soir, tard, les habitants des métairies de Germans et de Pille-Bois, entendent au loin ‘’du côté du bois de Monsieur Devalz’’, deux coups de feu presque simultanés. On n’y prête nulle attention ; huit jours plus tard, le 25 juin, un nommé Béchaud, entend des grognements de chiens venant du bosquet de pins : il se détourne du sentier, pour voir, et son approche met en fuite trois dogues occupés à déchirer deux corps étendus sur le dos à quelques pas l’un de l’autre.
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:23

Bosc, de retour à Paris est paré de multiples soucis : pourvoir aux nécessités de sa propre existence, aider des parents aussi dénués que lui, assurer le sort d’Eudora la fille des Roland, dont il a accepté la tutelle, rassembler les documents de ses amis disparus.

Heureusement il possède le manuscrit des Mémoires de sa mère, conservé dans une cachette au-dessus de la poutre de la porte charretière de Sainte Radegonde. Bosc se hâte de le faire imprimer chez Louvet, le seul rescapé des sept députés Girondins qui cherchèrent un asile à Saint Emilion. Le 9 avril 1795, il publie la première partie et le succès est immédiat par contre la dépréciation des assignats rendit le profit presque nul. Cet ouvrage, écrit-il : « Est, quand à présent, l’unique domaine d’Eudora, la fille unique, la fille chérie des Roland. Malheur au brigand qui ne rougirait pas de le contrefaire ! Car il n’en vendrait sans doute pas un exemplaire, et néanmoins j’appellerais sur lui toute la sévérité de la loi ». Bosc, après cela, déploya un zèle aussi ardent et aussi utile pour libérer le patrimoine d'Eudora. Ces biens avaient été mis sous séquestre, par une fausse application de la loi des immigrés. Bosc en obtint la restitution, le 4 mai 1795, grâce à l’intervention de La Révellière, la Convention dut reconnaître que Roland n’avait « péri qu’après avoir fui, pour se soustraire à un mandat d’arrêt lancé contre lui, à l’occasion et par suite des événements des 31 mai et 2 juin »

L’Amérique attirait encore toutes les imaginations ; à l’enthousiasme de la guerre d’indépendance avait succédé l’admiration du peuple affranchi. Il n’est, pour ainsi dire, pas un des Girondins qui n’ait, à certain moment, caressé le projet d’émigrer vers cette terre de liberté. Ce désir leur fut commun aussi bien que le goût de la botanique. Madame Roland écrivait de sa prison, en octobre 1793 : « Lorsque vous parlez d’Amérique, vous chatouillez mes oreilles ; c’est bien là que j’ambitionnerais de me transporter, si je redevenais libre… ». Déçu par son aventureuse amoureuse, Bosc veut absolument s’éloigner de France. Il sera donc le seul à accomplir le voyage rêvé par tous les Girondins. La Révellière, lui procure les moyens de faire la traversée et lui promet le premier consulat vacant aux Etats-Unis. Sans attendre cette nomination, Bosc s’empresse de rejoindre son ami André Michaux, qui dirige un jardin de naturalisation dans la Caroline du Sud. Il veut, avant de s’embarquer, revoir les veuves de ses amis de la Gironde. Il regroupe les manuscrits composés par quelques uns d’entre eux, puis il se rend à pied à Bordeaux. « Je partis, avec mon fils, pour Bordeaux, avec l’assurance d’être nommé consul de France, à la première vacance, à l’effet de m’embarquer pour Charleston, Amérique septentrionale ou je connaissais le botaniste Michaux et ou j’espérais faire d’abondantes observations et récoltes de nombreux objets d’histoire naturelle. A mon départ je remis la tutelle de la fille des Roland à Champagneux qui avait été l’ami de la famille ».

A Bordeaux où il arrive vers le milieu de juillet 1796, il se rend chez la veuve de Gensonné, rue des Trois Conils, à laquelle il remet des documents inédits de son époux et un nombre important d’écrits de Vergniaud que lui a confié Creuzé Latouche. Puis en sa compagnie il part pour Saint Emilion, où ils sont reçus chez la veuve de Guadet, c’est de là qu’il adresse une lettre à Louvet :
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Message  Bart Mar 24 Fév 2009 - 19:24

" Je t’écris, mon cher, du lieu qui t’a servi quelque temps de retraite. Mon cœur, plein des souvenirs pénibles qu’il me rappelle, se rapporte sur toi, et se réjouit de nouveaux de l’heureux pressentiment qui te l’a fait quitter. Je fais, à côté des veuves de nos amis Guadet et Gensonné, qui te regardent comme le seul soutien des principes de leurs maris, des vœux pour que le rétablissement de tes forces te permette de faire jouir encore longtemps la patrie, ta femme et tes amis de tout le bénéfice de ta conservation."

"Je suis arrivé fort fatigué à Bordeaux, après onze jours de marche ; mais le repos et les bons soins de la citoyenne Gensonné m’ont bientôt rétabli. Je ne puis te peindre le tendre accueil que m’a fait cette excellente femme. Il n’appartient qu’à des Girondins de recevoir ainsi leurs amis. Les tracasseries de son beau-frère la forcent de demeurer à la campagne. Elle avait demandé à être instruite de mon arrivée, pour venir me voir ; j’ai prévenu son désir. Nous avons pleuré son mari et ses compagnons ; nous avons gémi sur la situation de l’esprit public ; nous avons parlé de toi. Depuis hier, je vis sous le toit de la citoyenne Guadet, c’est aussi une excellente femme que celle-ci ; elle a aussi un cœur aimant, une âme sensible ; mon arrivée l’a fait tomber en syncope.

Je pourrais beaucoup m’étendre sur ce que j’ai vu et appris ; mais il faut ménager les moments. Qu’il te suffise de savoir que les Girondins ne sont pas mieux vus à Bordeaux qu’ailleurs, et que, si les familles des victimes de la Terreur ne se voyaient pas entre elles, elles vivraient aussi isolées qu’à Paris la femme de Brissot. L’esprit public, qui s’y était conservé, s’altère de jour en jour, et l’administration, quoique bien composée, ne peut qu’en retarder la chute…

La mère de Barbaroux et ensuite sa tante m’avaient chargé de prendre des informations sur les papiers qui étaient restés ici. J’ai, hier, causé longuement avec Troquart le perruquier de Saint Emilion chez qui l’héroïque belle-sœur de Guadet, Madame Bouquey, avait assuré un dernier refuge à Barbaroux, Buzot et Pétion. Il m’a dit que ceux qui étaient demeurés en sa possession n’avaient pas d’importance, qu’il était question du fils de Barbaroux dans l’histoire de la vie de ce dernier, écrite de sa main, qu’il t’avait envoyée. Il est extrêmement important pour cet enfant et pour sa grand-mère de prouver par ces pièces écrites qu’il est réellement le fils de Barbaroux, afin de pouvoir réclamer ses biens…

Je compte m’embarquer dans neuf ou dix jours… Je suis plus inquiet aujourd’hui que je ne l’étais à Paris sur mes moyens de subsistance à venir, en Amérique. Le pain y coûte dans les villes douze sols les quatorze onces, et les autres denrées à proportion. Je tâcherai de me tirer d’affaire cependant, et mon intention n’est pas de rétrograder.

Adieu, mon cher ami, j’embrasse ta femme et vous remercie l’un et l’autre des consolations que vous m’avez données dans ces derniers temps. Mon cœur vous en saura gré dans tous les temps, dans tous les lieux et dans quelque situation que je me trouve.

Bosc.

Retenu longtemps à quai par des vents contraires, il ne peut mettre la voile que le 18 août. A peine le navire américain qui le porte, sort-il de l’estuaire de la Gironde, qu’il est accosté par une frégate anglaise ; Bosc ne se tire d’affaires qu’en se faisant passé pour un colon de Saint Domingue. Pendant la traversée qui dure deux mois Bosc s’affaire à sa passion : « je profite de ses loisirs pour pêcher des mollusques et des vers sur la surface de la mer et à les dessiner, et à les décrire. » Le 11 octobre il aborde le port de Charlestown, dans la pensée de retrouver son ami Michaux qui entretient aux frais de la France un jardin d’acclimatation. Malheureusement, le botaniste a quitté le sol américain il y a deux mois. Bosc doit donc se débrouiller, il s’installe avec son fils dans son jardin, le soigne, le développe, envoie des graines qu’il y recueille au Jardin des Plantes de Paris. De temps en temps il explore la région : « je restais en position dans la ville d’où je faisais des excursions à pied à quelques milles, excursions qui me fournissaient des objets d’histoire naturelle en zoologie et en botanique. » Bosc ne peut subvenir entièrement de cette activité. Le 6 juillet 1797, il reçoit du Directoire son ordre de mission : « un brevet de vice-consul de France à Wilmington, aux appointements de 5000 franc, et j’allais prendre possession de cette place en octobre. » L’année 1797 s’écoule ainsi au sud de Philadelphie. Au mois de février 1798, il reçoit une lettre de Madame Louvet ; elle a perdu son mari le 25 août 1797, et, de douleur, tenté de s’empoisonner. Le Directoire venait de le nommer consul à Palerme, il mourut assisté seulement par Marie Joseph Chénier. Bosc lui répond le 7 mars :

Ma douleur est adoucie, mes inquiétudes sont calmées sur votre compte, après trois mois d’angoisse. Votre tendre et touchante lettre me prouve que vous vivez, que Félix n’a pas perdu sa mère. J’ai de nouveau versé des larmes en vous lisant ; mais elles étaient douces, en comparaison de celles que j’ai versées en lisant l’article de ‘’la Sentinelle’’, qui m’a annoncé la perte que vous et la République et moi avons faite…Je vois extrêmement peu de monde, et, cependant, la calomnie me poursuit. J’ai été accusé d’avoir fomenté une insurrection d’esclaves, parce que j’ai avoué des principes de philanthropie universelle, et cette affaire aurait eu des suites graves pour moi, si les émigrés de Saint Domingue, qui l’avaient ourdie, n’avaient été encore plus bêtes que méchants. Je réside dans l’habitation de Michaux, au milieu des plantes et d’êtres animés que j’anéantis souvent pour mon instruction. Je fais des courses dans les environs, et, en ce moment, j’en projette une longue, que le défaut d’argent m’a empêché de tenter jusqu’à présent. Je vivrai comme les anciens patriarches, dans un chariot qui me servira de maison, la nuit comme le jour. Je penserai là, comme ailleurs, à tous nos amis morts pour la liberté, au petit nombre de ceux qui me restent, à…Il n’en résulte pas moins que je voudrais quitter ce pays, où règne l’esclavage, et où les Anglais ont une influence désagréable pour les agents de la République. J’ai demandé à Lépeaux de m’envoyer ailleurs ; mais, en vérité, je ne sais où aller, car les colonies françaises me répugnent aussi.

Adieu, excellente femme, tendre et compatissante amie. Sans doute votre blessure est incurable, et je ne tenterai pas de la fermer ; mais je vous présenterai toujours votre fils et la gloire de votre mari comme des objets de consolation. J’ai lu l’écrit de Riouffe. Il y a de belles choses ; mais quelques parties me paraissent trop resserrées. Adieu, encore une fois ; mes tendres amitiés à la famille de Brissot, de Pétion et d’autres, nos amis communs. Je vous embrasse, j’embrasse votre Félix, et vous présente les embrassements de mon fils, actuellement grand au physique, mais peu avancé au scientifique.

Bosc.

Cette lettre se croise avec une autre lettre de Madame Louvet qu’il reçoit le 20 mars. La pauvre veuve lui disait qu’il était le seul ami qu’elle eût au monde. Elle voudrait qu’il servit de père à son fils, et elle a consulté Michaux sur les moyens de le lui envoyer en Amérique. Elle garde espoir de revoir Bosc en France, pour lui offrir le séjour d’une ferme qu’elle possède. Elle termine cette lettre pleine de regrets cruels et parfois éloquents, par ces mots : « Adieu, mon cher Bosc, vous qui aimez vos amis, quand ils sont persécutés, calomniés et proscrits. » Bosc à la même époque ce fait des soucis pour son propre fils Louis: « une foucade de mon fils m’obligea de faire un voyage dans la haute Caroline jusqu’à Yorkcourthouse, en passant par Columbia et en revenant par Orangebourg. » A la suite de ce périple, il obtient du Directoire, son engagement à bord d’un vaisseau de la marine nationale. Seul désormais, dans une lettre adressée à Bancal des Issards, il ne cache pas qu’il est déçu par les Etats-Unis.

«…Je ne me plais point dans ce pays, dont les Anglais et les émigrés français nous aliènent chaque jour les habitants. Il n’y a plus que les campagnes éloignées où on se souviennent que les Français ont aidé à conquérir la liberté. J’ai reçu, dans un voyage que je viens de faire aux montagnes, des marques d’amitié qui m’ont fait oublier les calomnies et les persécutions de la ville. Je vit fort isolé, courant les bois et m’occupant, autant que la situation de mon âme peut le permettre, de recherches d’histoire naturelle. J’ai déjà beaucoup de bonnes choses, et j’espère qu’actuellement que ma bourse est un peu remontée, je pourrai en acquérir encore plus. Je vais partir pour un voyage de quelque durée, avec une charrette où je coucherai et où seront mes provisions.
Eh bien ! tu ne vas donc plus visiter Sainte Radegonde ? Tu n’y prends donc plus d’intérêt ? De la je conclu que tu n’y feras aucune dépense et que tu t’en déferas bientôt. J’avais cependant le projet d’y planter force arbres de ce pays, attendu que c’est le terrain le plus analogue à celui de la Basse Caroline que je connaisse aux environs de Paris. Adieu, mon cher… »

Bosc reçoit le 4 juillet 1798 sa nomination de consul à New York, et son salaire passe à 12000 francs. Mais la querelle des Etats Unis avec la République française s’est aggravée. Les Américains se plaignent de nos corsaires, de la triste réputation de quelques agents envoyés par le comité de Salut Public sous Robespierre. Les Anglais sont arrivés à les persuader que nous nourrissons des vues ambitieuses sur le Canada, la Louisiane et la Floride. C’est dans ce climat politique détestable pour la France que le président des Etats Unis, John Adams, refuse l’exequatur du consulat. Pour Bosc le rêve américain est terminé : « Le président excitait le Congrès et le peuple des Etats Unis à la guerre contre la France, et craignant de ne pouvoir plus toucher mes appointements, je me déterminais à revenir en Europe avec la chancellerie du consulat de New York et en conséquence de fréter un navire au compte du gouvernement. »

Il arrive à Paris le 30 novembre 1798, avec des collections importantes qu’il destine au Muséum d’histoire naturelle. Malheureusement deux caisses de plantes vivantes ont gelé pendant leur transport sur le sol de France de Bordeaux à Paris, et un des deux vautours Aura, qu’il a ramené avec un grand embarras, meurt quelques semaines après son arrivée.
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Message  Louis Mer 25 Fév 2009 - 18:44

Merci beaucoup Bart , c'est nickel, comme toujours! Very Happy
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Portrait de Bosc par Antoine Da Sylva Empty Re: Portrait de Bosc par Antoine Da Sylva

Message  Bart Ven 27 Fév 2009 - 19:46

Louis a écrit:Merci beaucoup Bart , c'est nickel, comme toujours! Very Happy

c'est gentil !!!
Bart
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