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Brissot : Sur la guerre aux princes allemand (30/12/91)

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Brissot : Sur la guerre aux princes allemand (30/12/91) Empty Brissot : Sur la guerre aux princes allemand (30/12/91)

Message  Vogesus Sam 10 Juil 2010 - 21:20

Second discours sur la nécessité de faire la guerre aux princes allemands, prononcé à la Société, dans la séance du vendredi 30 décembre 1791.

Messieurs, j'ai promis de répondre à toutes les objections qu'on élève contre le système d'attaque. Je vais acquitter ma promesse, non pas que j'aie embrassé l'universalité des objections ; il faudrait des volumes. J'ai choisi les plus frappantes. Écartant également et les phrases oratoires, et les pasquinades qui ne prouvent rien, je m'attache aux seuls raisonnements. J'écarte encore les soupçons insinués, imprimés, répandus à cette occasion contre mon patriotisme. Un patriote de 20 ans ne change point en un jour. J'ai développé hier mon opinion à l'assemblée nationale ; a-t-on vu que mon amour pour la liberté, que ma haine contre les ennemis de l'égalité, que ma surveillance envers les ministres, que mon langage enfin aient changé ? Quelques patriotes ardents sont trop prompts à soupçonner ceux qui ne pensent pas toujours comme eux. Frères, vous m'avez confié un poste ; je ne l'abandonnerai pas un instant ; mais trois mois d'expérience m'ont appris à le connaître. Vous êtes des patriotes comme moi ; mais je connais mieux que vous le local et les armes qui peuvent y assurer la victoire au peuple.
Avant que d'attaquer les objections qui m'ont été faites, je dois rappeler, en peu de mots, ce que je crois avoir bien prouvé dans mon premier discours. J'ai démontré que le parti de la guerre conciliait seul tous les rapports, et la dignité de la nation française, et sa sûreté, et le maintien de la révolution, et le retour de la prospérité publique.
Il est démontré que la France doit consentir à être à jamais déshonorée, si, après avoir conquis sa liberté, elle souffre que 25 millions d'hommes soient impunément insultés par quelques milliers de brigands.
Il est démontré que la sûreté de l'empire français est bien plus compromise, si nous attendons tranquillement l'ennemi dans nos foyers, que si nous le prévenons.
Il est démontré que la constitution se consolidera bien plus promptement, si nous pouvons dompter les mécontents qui s'agitent continuellement dans l'intérieur ; que ces mécontents se dissiperont avec beaucoup plus de facilité, si nous leur enlevons le seul point d'appui qu'ils ont hors de l'empire, cette armée de réfugiés qui encourage leurs manœuvres, avec les chefs de laquelle ils ne cessent de tramer des complots toujours détruits et toujours renaissants.
Il est démontré que le crédit public se rétablira bien plus promptement, si la nation, prenant enfin l'attitude qui lui convient, tient un langage digne de la liberté aux gouvernements qui attisent sourdement la révolte dans son sein, ou qui protègent ouvertement les rebelles.
Il est démontré, pour quiconque a bien observé l'état actuel de l'Europe, qu'il n'existe aujourd'hui aucune puissance considérable qui veuille sérieusement, ou qui puisse efficacement arrêter la nation française dans sa marche vers la liberté ; que toutes, détestant notre nouveau régime, sont et seront forcées de le respecter ; que leurs petites ligues, leurs petites conjectures impraticables, dont l'exécution ne sont que de vrais jouets avec lesquels ils cherchent à se rassurer et à se tromper les unes les autres.
Il est enfin démontré que s'il est des trahisons à craindre, elles seront bien plus dangereuses au dedans du royaume qu'au dehors.
A tant de raisonnements qui démontrent que la France doit attaquer, et les rebelles qui la bravent, et les étrangers qui les protègent, qu'opposent nos adversaires ? Glissant sur les arguments, ils s'attachent à éveiller les soupçons et les craintes. Il faut, disent-ils, se défier de cette ardeur du ministère qui veut la guerre, après l'avoir si longtemps repoussée.
Je l'avoue, cette ardeur si subite doit inquiéter les patriotes, et plus d'une fois j'ai cru y entrevoir un germe de trahison. Cependant, si l'on peut parvenir à l'expliquer, à prouver que cette contradiction dans le ministère n'est qu'apparente, il me semble qu'on aura ôté aux esprits la plus forte objection contre la guerre.
On confond ici le ministère actuel avec le ministère qu'il a remplacé. Que voulaient les derniers ministres ? Élevés dans l'ancien régime, détestant le nouveau, brûlant de rendre au roi son ancienne autorité, méprisant intérieurement l'assemblée nationale, devant laquelle ils étaient forcés de baisser la tête, ils attendaient du dehors la restauration du despotisme , ils excitaient sourdement les cours étrangères à traverser notre révolution ; ils attisaient le foyer de la contre-révolution ; et dès lors ils devaient sans cesse repousser tous les projets de guerre qui devaient le détruire. - Telle a été la tactique constante des Montmorin, des Guignard, qui, les mots de patriotisme sur les lèvres, ne cessaient de rêver et de combiner des contre-révolutions.
Un autre intérêt dirige le ministère actuel ; les personnages ont changé : la marche doit donc changer. La plupart de ces ministres doivent à la révolution leur élévation imprévue ; et leur chute serait un résultat infaillible de la contre-révolution. On ne pardonnerait pas même à ces plébéiens obscurs d'avoir souillé les marches du trône. Sûrs de cette catastrophe, comment ces ministres auraient-ils la stupidité de favoriser un parti de rebelles qui ne les voit qu'avec horreur occuper le ministère, qui les en précipiterait, s'il parvenait à triompher ? Le ministère actuel coalisé avec les modérés quand il s'agit de combattre les patriotes, combattra donc avec les patriotes les aristocrates. Il a donc un intérêt commun avec les patriotes ; il doit donc chercher à détruire Coblence, puisque Coblence renferme ses ennemis ; et voilà pourquoi vous voyez tous les écrivains qu'il soudoie prêcher la guerre.
Voilà l'explication naturelle de l'ardeur qui porte nos ministre à vouloir la guerre contre les princes allemands. Ils voient dans son succès un sûr garant de la stabilité de leurs places. Que le ministre nouveau de la guerre ait d'autres vues, cela peut être. On le dit, d'un côté, dévoré d'ambition, dévoré d'amour de la gloire ; de l'autre côté, on le peint comme un traître. Mais sur quoi pouvons-nous le juger jusqu'à présent ? Sur son langage ? Il paraît patriotique. Je ne vous dis pas d'y croire : soyez sur vos gardes ; mais attendez au moins des faits pour juger, pour condamner ce ministre ; et de son côté, si ce ministre a dans son âme le patriotisme qu'il affecte, il ne doit point offenser ni se refroidir par les défiances ; il doit aller droit son chemin, et se souvenir que Phocion, après 70 ans de service fut soupçonné d'avoir voulu vendre la patrie à Nicanor.
Que les autres ministres comptent profiter de la défaite des aristocrates ; qu'ils aient des vues profondes ; qu'intéressés à augmenter la prérogative royale, qui doit réfléchir plus d'éclat sur leurs places ; qu'ils veuillent, à la suite de cette guerre, accroître le pouvoir exécutif ; qu'ils voient dans le succès de cette guerre des chances pour cette augmentation, je ne nie pas la possibilité de pareils projets ; mais je soutiens qu'ils ne doivent pas arrêter le peuple français dans la marche que sa dignité, que sa sûreté lui prescrivent. Avant tout, il doit assurer sa liberté au dehors. Respecté des nations étrangères, et n'ayant plus rien à craindre pour sa tranquillité extérieure, il sera bien plus facile au peuple de se préserver des filets que le ministère cherchera bientôt à tendre autour de lui.
Je ne dis pas que tous les comités secrets qui dirigent le château des Tuileries partagent les vues du ministère actuel ; je ne dis pas qu'il n'y existe encore un parti qui tende à rétablir le patriciat, ou à le ressusciter dans un établissement des deux chambres ; je ne dis pas qu'il n'y existe une correspondance avec Coblence ; que quelques personnages n'y puissent désirer secrètement le succès de ces réfugiés de Coblence et conséquemment ne seront pas fort disposés à les attaquer ; qu'ils jouent l'amour de la guerre pour nous faire désirer la paix ; je ne dirai pas que d'autres personnages, presqu'aussi importants, ne veuillent la guerre ; qu'en la déclarant, ils n'y voient que la possibilité de forcer l'empereur et la Prusse de se montrer enfin : mais je dis que toutes ces combinaisons petites, partielles ou contradictoires, ne doivent pas changer la marche d'un grand peuple qui doit se régler d'après les principes et ses forces.
Je dis que pour déjouer celui qui ne veut pas la guerre, et feint de la vouloir, il faut la faire ; je dis que pour déjouer celui qui s'appuie sur l'empereur et sur les réfugiés, il faut encore prévenir ou l'invasion ou le congrès dont on nous menace.
Je dis que cette résurrection de la noblesse, cette institution des deux chambres, qui servent merveilleusement des fripons, pour duper des imbéciles ; que cette guerre de patriciat, facile à étouffer à son berceau même, ne deviendrait un peu dangereuse qu'en la laissant s'étendre dans le royaume ; qu'il faut la prévenir en attaquant les rebelles. Je dis que les discussions qui divisent les rebelles entre eux, nous invitent encore à les attaquer, et nous promettent les succès les plus rapides.
Je dis que l'espoir formé par ces diverses factions d'entraîner les puissances dans leur cause, en les compromettant dans cette guerre, est tout destitué de fondement ; je dis que mes arguments subsistent toujours contre les deux maisons d'Autriche et de Berlin ; qu'aucune ne veut sincèrement la guerre ; que chacune a tout à risquer en y prenant parti ; je dis que si la France se les attire sur les bras, ce qui me paraît presque'impossible, elle devrait encore attaquer, parce qu'à tout prix il faut se délivrer de ces craintes des nations étrangères, ou renoncer à être libre ; car on n'est point libre sous le couteau de la terreur : je dis que les patriotes, que la France doivent enfin dédaigner ces petites intrigues, ces combinaisons obscures des divers comités qui dirigent la cour, et la jettent dans une agitation perpétuelle.
Sans doute il y existe des fulvies qui ne cherchent qu'à embraser la France ; - mais que peuvent deux ou trois femmes, deux trois intrigants, contre une nation entière ? Il faut oublier sans cesse l'ancienne hauteur où la liberté nous a portés, pour craindre de pareils atomes !
Ils excitent, me dit-on sans cesse, toutes les têtes couronnées, et en attaquant les électeurs, nous leur fournirons des prétextes pour attaquer la France : comme si les tyrans qui ont la force en main, manquent jamais de prétextes pour écraser les faibles dont ils envient la dépouille ! Ah ! Si ces princes avaient pu former une ligue puissante ; s'ils avaient à leur dévotion des armées nombreuses et des trésors bien fournis ; s'ils avaient pu compter sur leur bonne foi respective ; s'ils n'avaient pas craint la valeur d'un peuple désespéré, qui combat pour sa liberté ; s'ils n'avaient pas craint pour leurs propres troupes la contagion de la liberté, il y a longtemps que la France eût été attaquée par eux, n'eussent-ils eu pour prétextes que les misérables réclamations des princes possessionnés d'Alsace, qui veulent à tout prix flétrir notre constitution des taches de la féodalité. La faiblesse, l'impuissance des rois conjurés contre nous, leur a commandé un système de paix. Cette impuissance existe encore, et vous ne devez pas craindre de les provoquer.
Mais vous irriterez, ajoute-t-on, par la violation du territoire, les peuples allemands, à qui vous supposez déjà des principes : ils n'ont pas oublié les cruautés exercées dans le Palatinat.
Eh quoi ! Supposerez-vous donc qu'en allant attaquer des brigands à Coblence, nous ferons la guerre en brigands ? Un peuple libre se respecte trop lui même pour descendre à de pareilles horreurs. Un homme libre va droit à son ennemi, l'attaque en face, le terrasse, ou meurt. Mais les enfants, les femmes, les propriétés des laboureurs, des artisans, tout est sacré pour lui ; il les respecte religieusement. Des tyrans peuvent convertir les plus beaux pays en déserts : l'homme libre voudrait peupler, en un instant, les déserts d'hommes libres et heureux comme lui. La chaumière est pour un homme libre plus respectable qu'un palais : c'est l'asile de l'innocence ; et l'homme libre le révère, et craint de faire verser des pleurs à l'innocence. Tels sont les principes qui dirigeront l'armée française ; principes qui ont été développés d'une manière si sublime dans la déclaration lue par M. Condorcet à l'assemblée nationale. Ils feront oublier ces scènes affreuses du Palatinat, qui ont souillé, non pas la nation, mais le despotisme ministériel. C'est alors que les Allemands verront la différence d'un peuple qui se bat pour la liberté, à une armée qui soutient les fantaisies de quelques brigands couronnés ! Eh ! Qu'on ne crie pas encore à l'impossibilité, au prodige. Je vous citerai la conduite de l'armée française en Amérique. Pas une plainte ne s'éleva contre elle ; et cependant la liberté n'avait pas encore lui pour elle ; mais les Français se battaient à côté d'hommes libres, et leur saint exemple formait leur âme à la vertu.
Oui, quand les Allemands qui gémissent sous le joug des électeurs, verront l'armée française déployer au milieu d'eux le drapeau tricolore ; quand ils la verront protéger, au lieu de dévaster leurs propriétés, acheter leurs denrées, au lieu de les piller, n'attaquer que ceux qui veulent défendre les rebelles ; quand ils verront dans le camp français, non un camp ennemi, mais une ville passagère et paisible, où règnent l'ordre et les lois ; quand ils verront les Français ne s'occuper que de leur bonheur et de leur liberté ; c'est alors que les Allemands les couvriront de bénédictions, au lieu de s'irriter contre eux. C'est alors que se formera entre eux une fraternité douce et solide, puisqu'elle s'appuiera, non sur des convenances du moment, mais sur des principes éternels qui leur deviendront communs.
On attaque le tableau que je vous ai présenté de la situation des puissances étrangères. Je vous ai prouvé qu'elles étaient loin d'être redoutables, qu'elles ne voulaient ni ne pourraient faire la guerre. J'ai développé cette vérité avec bien plus de détails hier à l'assemblée nationale ; mais voulussent-elles sérieusement la guerre, il faudrait encore les prévenir. La victoire a presque toujours été pour le Français, quand il a attaqué, et tel était le fruit de son impétuosité guerrière, quand il se battait pour un frêle point d'honneur ou pour de misérable rubans, que ne sera-ce pas quand il combattra pour sa liberté, ses droits, sa patrie ? Car enfin il en aura une. Oui, ou je me fais une fausse idée du profond empire de la liberté sur l'esprit humain, ou je dois croire que tout patriote sera un héros.
Avec de pareilles dispositions, qu'avez-vous donc à craindre de ces automates armés qui vont devenir maintenant plus redoutables pour les tyrans qui les font traîner aux combats, que pour leurs ennemis ; de ces automates qu'animeront tout à coup, et la vue de vos drapeaux où brillera la liberté, le bonnet sur la pique, et les sons enchanteurs du cantique : Ah ! Ça ira ! Car, messieurs, il doit être désormais le signal des combats français.
Croyez, croyez, messieurs, que les tyrans qui en connaissent les prodigieux effets, qui voudraient, s'il était possible, ne faire combattre que des machines, frémissent d'avance à l'idée d'un pareil combat... La vue de la tête de Méduse pétrifiait ; l'air favori de la liberté, la vue de son bonnet, peuvent ébranler une armée à la fois, faire poser les armes à des hommes qui devaient s'égorger... Et je m'imagine voir le Français, l'air ouvert, riant, présenter sa main à l'Allemand, la serrer, et tous deux jurer sur les drapeaux de la liberté, qu'ils sont frères, que les deux nations ne feront plus qu'une seule famille.
Quand on contesterait la possibilité de ce prodige, pouvez-vous nier l'influence secrète des communications entre les deux armées ? Autrefois on aimait le Français : on le bénira aujourd'hui, et il est impossible que les Allemands, ne voyant dans les Français que des amis de tous les hommes, que des libérateurs du genre humain, veuillent se battre longtemps pour l'honneur de leurs tyrans.
Eh ! Messieurs, je ne dois cesser de vous le répéter, ce que je vous prédis est déjà arrivé. Demandez à ce marchand de chair humaine, à ce prince de Hesse, combien de soldats lui sont revenus des campagnes d'Amérique. Les Allemands ont vu des frères dans les Américains ; ils ont déposé leurs armes, les ont troquées contre des charrues ; ils vivent heureux et libres, élisent leurs représentants, font leurs lois, au lieu d'être bâtonnés, enchaînés, excédés d'inanition pour les plaisirs de son altesse électorale.
Les princes allemands, instruits par cette expérience, sont loin de vouloir la renouveler. Je connais, comme mes adversaires, tout l'empire de l'orgueil sur leur âme. Je connais toute l'étendue de la haine des rois pour la liberté, pour l'égalité, et voilà pourquoi je leur ai voué moi-même une haine éternelle, irréconciliable.
Mais je sais aussi que ces princes camouflent quelquefois leurs intérêts, et y subordonnent leurs passions les plus violentes. Je sais que plus on s'éloigne des temps de barbarie, en descendant vers le siècle actuel, moins on voit de ces guerres dictées par des mouvements subits ; que la raison qui va toujours s'étendant et toujours fortifiant l'opinion publique, je sais que cette raison avertit les princes qu'ils doivent compter pour quelque chose cette opinion publique, je sais que lorsqu'ils ne peuvent pas espérer de la séduire, lorsqu'ils craignent des pertes irréparables, ils savent étouffer leurs passions ; je sais que les conseils de ces princes sont dirigés par des hommes qui voient leur intérêt avant tout, qui, pour conserver leur pouvoir et leur facilité à piller, ont aussi besoin de ne pas tout donner aux hasards, de ne pas attirer autour du monarque des réclamations fatigantes et si nombreuses, lors des calamités d'une guerre ; je sais que de tous ces princes, il n'en est pas un dont les finances ne soient en désordre, dont les moyens ne soient précaire, dont l'armée n'exige les plus grands ménagements ; je sais, enfin, que des combinaisons, des complications de ces intérêts, de toutes ces passions, de toutes ces circonstances, il doit résulter que, pour satisfaire l'orgueil, il faut affecter un ton insolent, que pour obéir à l'intérêt, il faut éviter une guerre ruineuse.
Il est facile de combattre, en une phrase, un aperçu politique, composé d'une foule d'éléments et de faits rassemblés et médités depuis longtemps ; mais quand on nous menace d'une coalition redoutable de puissances, encore faut-il prouver qu'elle est possible à ceux qui en nient la possibilité ; encore faut-il attaquer les faits, les calculs sur lesquels ils se fondent. Or, c'est, le bilan général de tous les princes étrangers à la main, que je prouve leur impuissance. Démontrez-moi donc que ce bilan est faux, ou ne cherchez pas à nous effrayer avec de vains épouvantails.

J’ai compté, je compterai toujours sur la disposition des peuples pour la liberté, et nos adversaires ne les croient pas si près de la liberté. Ils sont trop abrutis par le despotisme, s’écrient-ils !... Eh ! qui vous a donné cette mesure de leur asservissement ? Est-il donc supérieur à celui qui avilissait la nation française ? Y avait-il un peuple qui parût plus éloigné de la liberté que le peuple français ? Ne citait-on pas partout sa légèreté, son défaut de constance, sa crainte des bastilles, sa fureur pour les plaisirs, son esclavage de douze siècles ? Eh bien ! tout cela a disparu le 14 juillet, et ce jour fait le procès à ceux qui prétendent fonder les probabilités de la résurrection des peuples sur l’échelle de leur ignorance ou de leur corruption. Le fameux Lenoir me disait, quatre ans auparavant, à la Bastille... “Ce peuple que vous vantez, dont vous voulez recréer la souveraineté, cette vile canaille est insensible à tout, a peur de tout ; avec cinquante hommes du guet, je parie mettre tout Paris à la raison.”
Cessons, cessons, messieurs, de calomnier les peuples, en ne les croyant pas aussi près de la liberté que nous. Quand ils ne l’auraient pas été, notre exemple les a prodigieusement avancés. Notre constitution, dont la connaissance n’aura bientôt plus d’autres limites que celles du monde, les mûrit chaque jour. Et pourquoi l’Allemand, grave, réfléchi, généralement aisé, ne serait-il près de toucher à la liberté ? Il lit, il est aisé ; donc il apprendra, il entendra bien plutôt le langage de la liberté. Nous cherchons le secret de la conserver ; il est dans ces deux mots : aisance, instruction. Et l’on refuserait de croire à la prochaine liberté de ceux qui les possèdent ; et l’on prétendrait réfuter, par des pasquinades, cette idée sublime de M. Roederer, l’idée de faire la guerre aux princes, en municipalisant leurs villes et bourgs ! Est-il donc si difficile d’inoculer cette idée ? Elle se réduit à ces deux mots : Faites vos lois, choisissez vos législateurs. - Eh ! Messieurs, rappelons-nous l’histoire de nos comités permanents, qui ont municipalisé la liberté en France. Ce fut à Paris l’événement d’une heure ; et quinze jours ne s’étaient pas écoulés, que toute la France avait des comités permanents, qui tenant entre eux une correspondance étroite, achevèrent de renverser le despotisme. On nous conseille d’attendre qu’il soit détruit en Allemagne avant de municipaliser ; c’est conseiller d’attendre que l’arbre tombe avant d’y porter la cognée... Il faut se hâter de la porter, et nos ennemis deviennent nos barrières, et rendent inutiles nos forteresses.
Descartes disait : donnez-moi un point d’appui, et je soulève le monde. Cette idée est encore plus vraie en politique qu’en morale. Ayez un point d’appui pour soulever l’univers contre les tyrans, et l’univers est libre ; or, ce point est trouvé. Que dis-je ? il en existe un dans chaque hémisphère, les États-Unis dans l’un, la France dans l’autre, voilà deux fabriques éternelles pour la liberté générale, deux asiles pour ceux qui ne réussiront pas.
Connaissez-vous un peuple, s’écrie-t-on, qui ait conquis sa liberté en soutenant une guerre étrangère, civile et religieuse, sous les auspices du despotisme qui le trompait ?...
Mais que nous importe l’existence ou la non-existence d’un pareil fait ? existe-t-il donc dans l’histoire ancienne une révolution semblable à la nôtre ? Montrez-nous un peuple qui, après douze siècles d’esclavage, a repris sa liberté ? Nous créerons ce qui n’a pas existé...
Oui, ou nous vaincrons et les nobles et les prêtres et les électeurs, et alors nous établirons notre crédit public et notre prospérité, ou nous serons battus et trahis... et les traîtres seront enfin convaincus, et ils seront punis, et nous pourrons faire disparaître enfin ce qui s’oppose à la grandeur de la nation française. Je l’avouerai, messieurs, je n’ai qu’une crainte, c’est que nous ne soyons pas trahis... Nous avons besoin de grandes trahisons ; notre salut est là ; car il existe encore de fortes doses de poison dans le sein de la France, et il faut de fortes explosions pour l’expulser ; le corps est bon ; il n’y a rien à craindre. Les grandes trahisons ne seront funestes qu’aux traîtres ; elles seront utiles aux peuples.
Les hommes qui, pour nous effrayer sur ces trahisons, nous citent sans cesse les siècles anciens, partent de fausses analogies ; ils se fondent sur le passé, et le présent ne ressemble à rien de ce que le passé nous offre. Nous créons des siècles nouveaux, des révolutions nouvelles. L’invention de l’imprimerie a tracé une ligne de démarcation entre les siècles anciens et les siècles futurs. L’ignorance des peuples anciens, l’impossibilité de les pouvoir éclairer tout à coup en faisaient nécessairement des jouets sous la main de l’intrigue. La presse a rendu et rendra de plus en plus la tyrannie difficile, et la raison, en éclairant insensiblement tous les hommes, les préservera de la démagogie.
Il est facile, pour nous effrayer sur la guerre, de nous citer et César et Pompée, et de faire des phrases brillantes sur leurs usurpations.
Mais pour un homme qui, ne s’arrêtant pas à quelques rapports superficiels, plonge dans la profondeur des siècles, qu’y a-t-il de commun entre César et Pompée, et nos généraux, entre Rome et la France ? Rome était fondée sur le système des conquêtes, la France l’abhorre ; Rome avait de nombreuses armées permanentes, et nous n’en aurons pas toujours de permanentes ; car, et c’est encore un service que l’Europe devra à la révolution française, elle anéantira partout le système des armées permanentes, par cela que les armées deviennent inutiles, et que l’impôt nécessaire pour les payer devient plus pesant.
Sans cesse en activité, les armées romaines spéculaient sur les pillages et sur les terres conquises, et notre constitution proscrit cet esprit de rapacité guerrière. Les armées romaines étaient composées de brigands, d’aventuriers, d’étrangers sans propriété et sans autre industrie que leurs sabres. L’armée française sera composée de soldats citoyens attachés à leur patrie par leur famille, par leurs propriétés, par leur industrie, par leurs droits de citoyen, et qui, hors la guerre, se confondant sans cesse dans la classe des citoyens, ne seront jamais tentés de la combattre, de la déchirer, comme les soldats romains, qui faisaient une caste à part. Le soldat romain n’était attaché à Rome par aucun lien ; il ne voyait, il n’aimait que le général qui pouvait lui donner des terres et de l’argent. Il était bien à la lettre le soldat de Pompée, et non le soldat de la république. Mais où sont en France et ces terres conquises, et ces monceaux d’or avec lesquels un César pourrait diriger et sa soldatesque, et la multitude à son gré ?
Rome n’avait point de clubs, point de sociétés patriotiques, point de presse, point de journaux, et la tyrannie devient impossible partout où il existe des clubs patriotiques et des presses ; ce sont des tocsins multipliés qui sonnent bien vite l’alarme si l’ennemi se montre.
Le régime de Rome avait dans son sein le germe de sa destruction. Le sénat, corps inamovible et aristocratique, pour se soutenir contre le peuple, avait besoin de l’employer dans des guerres fréquentes. Les guerres formaient des généraux habiles et ambitieux, qui enchaînaient ensuite, par leurs soldats, et le sénat et le peuple ; ainsi le sénat s’égorgeait de ses propres mains.
La France n’est point dans cette position. Son sénat est nommé par le peuple, tiré du sein même du peuple ; il est fréquemment renouvelé, et dès lors ce sénat amovible ne peut être que l’ami du peuple qui l’élit ; il ne peut vouloir une guerre qui pèserait sur tous ses membres comme sur le peuple. Il doit vouloir la paix, parce qu’avec la paix, chacun paie moins d’impôts, chacun fait fleurir son commerce et son industrie, chacun multiplie ses jouissances. La guerre est donc ennemie de ce régime représentatif ; et puisque les guerres seraient rares, il n’y a point à craindre d’être asservis par des César ou des Pompées.
Comment donc comparer l’assemblée nationale décrétant la guerre contre des rebelles, avec le sénat romain déclarant la guerre pour se délivrer des attaques du peuple romain ? L’assemblée nationale fait-elle donc peser son joug sur le peuple français ? A-t-elle besoin de le livrer à la boucherie, pour maintenir son pouvoir ? Comparaisons fausses, absurdes !
Eh ! Que deviennent encore ces terreurs sur la dictature que la guerre va mettre, dit-on, entre les mains de nos généraux, de nos ministres ?
Analysons ce mot effrayant dictature, et nous verrons combien il nous est étranger. Qu’était un dictateur ? Un homme choisi par le sénat, dans des crises dangereuses, pour gouverner seul la chose publique, un homme dont la volonté suprême régnait à la place de la loi, et dont l’inviolabilité pouvait ouvrir la porte à tous les crimes. Mais en déclarant la guerre aux petits princes allemands, suspendons-nous le cours des lois et le règne de la constitution ? élevons-nous au dessus d’elle et nos généraux, et nos ministres ? la loi doit-elle courber la tête devant leurs haches despotiques ? les revêt-elle d’une inviolabilité illimitée ? Non, rien de tout cela n’existe. Les tribunaux restent, la loi reste, la constitution domine seule, les pouvoirs constitués fléchissent toujours devant elle, tous leurs agents sont également enchaînés par la responsabilité, l’assemblée nationale est toujours là pour exercer cette responsabilité.
Encore une fois, qu’a-t-on donc à redouter de cette dictature qui n’est qu’une chimère ? Il s’en formera, s’écrie-t-on ; il est des ambitieux qui n’attendent que ce moment pour saisir les faisceaux... Oui ; mais la hache de la loi est aussi suspendue sur la tête de l’ambitieux...
Et, je le demande encore une fois, où est l’armée, où est le peuple qui soutiendrait cet ambitieux, où sont enfin les trésors avec lesquels il séduira l’un et l’autre ? L’armée est composée en partie de gardes nationaux et en partie de soldats de ligne, auxquels aucun général ne peut offrir les avantages que lui présente la révolution. Le peuple français n’est pas tout dans Paris, comme le peuple de l’empire romain était dans Rome. Le peuple de Paris ne fait pas de plébiscites comme le peuple de Rome. Supposez donc un Marius, un César assez habile, assez riche, assez fou pour vouloir séduire le peuple de Paris ; il n’en résulte donc pas qu’il assujettira à son gré les autres grandes villes du royaume, dont les citoyens pourraient renverser ses projets ambitieux. César pouvait encore plier à son gré un sénat inamovible. Mais un sénat qui change tous les deux ans, quel homme peut être assez riche ou assez imbécile pour le soudoyer ? Observez enfin quel amas immense de richesses César prodigua, gaspilla pour enchaîner à son char le peuple romain. C’était l’or de l’univers entier que des siècles de conquêtes avaient accumulé dans Rome. Or, la seule richesse nationale dont un César français pourrait maintenant disposer, l’assignat national, s’anéantirait dans la main de l’usurpateur par l’effet même de la violence qui s’en emparerait.
C’est ainsi, messieurs, qu’en décomposant tous ces grands exemples tirés de l’histoire ancienne, on voit combien peu ils sont applicables à notre position actuelle. L’histoire moderne lui est presque étrangère, et j’en veux citer un exemple.
On doit se rappeler le parricide Maurice, qui souilla la révolution hollandaise en la tournant au profit de la maison d’Orange ; eh bien ! avons-nous à craindre un Maurice ? Je dis non. - Maurice commandait lui-même son armée, et le roi des Français ne commandera pas les nôtres ; et, pour être adoré de ses soldats, il faut les commander, les éblouir par ses victoires. Maurice était aussi habile capitaine qu’habile aristocrate, vigilant, actif, intrépide... il réussit, et avec combien de peines... Mais alors les droits de l’homme n’étaient pas bien connus ; mais il n’existait pas de journaux, ni société patriotiques ; mais le soldat ne lisait point les journaux ; mais l’aristocratie seule dominait ; mais le peuple, maltraité par les aristocrates, devait s’attacher au stathouder qui le caressait et le payait. Mais Maurice faisait la guerre au sein de la Hollande même ; il pouvait donc partout enchaîner ses ennemis, étouffer les réclamations des amis de la liberté... Or y a-t-il aucun rapprochement de cet état des choses avec l’état actuel de la France ?... Gardes nationales, la liberté universelle de la presse, égalité des droits, vaste population ; voilà quatre grands caractères qui assurent à jamais la liberté française, qui distinguent sa révolution des autres révolutions.
Le peuple enfin l’a faite, le peuple en profite ; et à mesure que la raison s’avance dans la profondeur des siècles, le peuple en profitera toujours plus, et par conséquent il sera toujours plus intéressé à la maintenir ; et voilà pourquoi je vous disais avec tant de confiance : vous n’avez plus rien à craindre, ni des traîtres, ni des démagogues. Le peuple est là... c’est-à-dire, le peuple de 25 millions d’âmes, et non pas le peuple d’une capitale ; c’est-à-dire, tout le peuple qui s’instruit chaque jour par les discussions publiques ; ce peuple qui sent chaque jour la douceur d’être soulagé de tant de fardeaux dont le despotisme l’écrasait ; ce peuple qui, en deux ans, a déjà franchi presque un siècle, si l’on en juge par ses raisonnements, si l’on consulte sa fierté, son enthousiasme pour ce qui est grand, ce qui est beau. Non, ce peuple ne reprendra plus ses fers ; il combattra, il périra plutôt...
Et voilà le peuple que l’on veut dégrader, en le comparant aux peuples qui gémissent dans l’esclavage. Le peuple est partout, dit-on, il est même à Constantinople ; le despotisme n’y règne pas moins. Ne comptez donc pas sur le peuple. Non ce n’est pas le peuple français, c’est un parc de brutes. - Et l’inertie et la lâche patience de ces brutes ne peut être citée contre un peuple libre... Ah ! Qui n’a pas frémi, qui n’a pas été indigné de cette comparaison ? Qui n’a pas été déchiré de voir un défenseur du peuple citer contre lui la cruelle catastrophe du mois de juillet ?... Que prouve-t-elle contre lui ? Qu’a-t-elle produit, je le demande aux conspirateurs, contre notre liberté ? - L’infamie ; mais le peuple n’y a rien perdu, car est-il devenu plus esclave du monarchisme ? La liberté est-elle rétrogradée ? l’enthousiasme pour elle est-il diminué ? la lumière est-elle éteinte ? Non ; son éclat a été plus vif encore... C’est depuis cette époque que le peuple a porté aux premières places les hommes même que la tyrannie de ses hypocrites démagogues avait marqués pour victimes... Si nous voyons à notre tête les Pétion, les Roederer, les Robespierre et l’ingénieux Desmoulins, qui a épuisé tout son esprit et toute son érudition pour soutenir la thèse des aristocrates, pour décourager le peuple ; si nous les voyons, dis-je à notre tête, c’est que le peuple était là. - Si j’ai vaincu moi-même toute la rage de mes ennemis, c’est que le peuple était là ; si le patriotisme triomphe et triomphera toujours dans l’assemblée nationale et au dessus de toutes les manœuvres des ministériels, c’est que le peuple est et sera toujours là.
En me servant de ce langage, je n’entends pas compter sur l’insurrection armée j’entends l’insurrection paisible de l’opinion publique contre les grands attentats... C’est là notre force, qu’est le remède contre les vices de la constitution ; c’est dans l’instinct infaillible, dans le jugement prompt et sûr, dans l’incorruptibilité du peuple, dans son attachement inaltérable à la liberté ; toutes vertus qui ne peuvent qu’aller en croisant et nous offrir des garants toujours plus sûrs de notre liberté.
Et voilà le peuple qu’on craint de mener aux combats contre des automates disciplinés ; comme s’il n’était pas assez brave, je ne dis pas pour vaincre (des mercenaires peuvent vaincre aussi), mais pour soutenir une défaite, pour n’en être pas consterné, pour retourner avec encore plus d’alacrité, plus de fierté sur le champ de bataille, jusqu’à ce que la victoire le couronne enfin.
On nous menace de défaites. Eh bien ! qu’importe ? si, au travers de ces défaites, nous arrivons au maintien de la liberté ? Pour un Saratoga ou un Yorktown, combien d’échecs les Américains n’ont-ils pas reçus ? Il y a cette différence entre une armée d’hommes libres, et une armée d’esclaves ; la victoire ruine souvent la dernière ; les défaites mêmes ne ruinent pas l’autre...
Mais nous n’aurons pas de généraux patriotes ; il s’en formera, gardez-vous d’en douter... L’Amérique n’a-t-elle pas vu briller dans le cours de quelque mois, parmi les plus habiles guerriers, et le libraire Knox et le médecin Warren, et aucun d’eux n’avait manié le fusil. Eh ! qu’était-ce que Washington lui-même, lorsque la guerre d’indépendance se déclara ? Un colonel presqu’inconnu et qui avait peu servi. Espérons-le, six mois se seront à peine écoulés, que l’ancienne classe des Plébéiens se vantera d’avoir produit des héros ; non pas de ces héros affamés de sang, qui achèteraient leur gloire par des massacres terribles, mais de ces hommes précieux, qui, comme Phocion, sauront dévoiler au sénat les orateurs corrompus, et dans les combats, être économes du sang de leurs concitoyens, de ces hommes qui sauront être pauvres et n’en rougiront pas.
Eh ! devant ces enfants de la liberté, que paraîtront ces machines armées qui ne doivent leur supériorité qu’à une vaine tactique ; leur courage qu’à la confiance dans cette tactique ? si notre révolution a changé la diplomatie ; elle changera aussi l’art militaire... On ne subjugue point un peuple libre avec des manœuvres à la prussienne ; on ne les subjugue point après une ou deux victoires ; des années de combats n’ont pas encore avancé la conquête.
Comment donc un orateur fait pour calculer ces effets de la liberté, a-t-il pu, dans cette tribune, craindre les combats pour les Français ? Comment a-t-il tout à la fois calomnié et la liberté et la nation française, pour douter, je ne dis pas de ses succès, les succès sont dans la main du sort, mais de sa constance à défendre sa liberté ?... Nos gardes nationaux n’ont pas d’habits, sont mal armés. Je vous l’ai dit dans cette tribune, les Américains n’avaient pas de souliers, quand ils vainquirent à Trenton.
On me dit que l’Amérique était dans une position bien plus heureuse que nous ; qu’elle avait un allié puissant dans la France. - On oublie que les Américains avaient vaincu à Saratoga avant l’alliance des Français ; on oublie que vous avez un allié puissant ; il est dans six millions d’hommes libres, et les Américains ont vaincu avec 8000 de ces hommes.
On me dit que les Américains ont été secondés par les fautes de Cornwallis. - Vos adversaires ne vous montreront que trop de Cornwallis. Ces tacticiens si fiers sont étrangers à la tactique d’un peuple libre.
On nous dit encore, pour nous décourager, et on regarde cette objection comme invincible : le feu est chez nous ; aller le porter dans la maison de notre ennemi, n’est pas l’éteindre chez nous. - Mais on ne vous dit pas que cet ennemi même fournit sans cesse les brandons qui servent à vous embraser ; ainsi aller droit au feu étranger, c’est le vrai moyen d’éteindre l’incendie domestique.
On vous dit que commencer une guerre, c’est continuer le discrédit de vos assignats. - Et moi je dis que ne pas la commencer, c’est vouloir perdre le crédit de nos assignats, si toutefois l’on pouvait le perdre. Car on oublie toujours que ces assignats sont la meilleure monnaie existante sur tout le globe, que cette monnaie représente une excellente terre qui ne peut fuir. On oublie que dans tous les cas possibles, même dans le cas d’une contre-révolution, l’assignat ne peut être discrédité, puisque l’intérêt des contre-révolutionnaires sera de s’épargner des commotions, de s’attacher le peuple, et qu’ils se l’aliéneraient, qu’ils causeraient des commotions, en frappant d’anathème l’assignat qui est dans toutes les mains, qui est la propriété de tous. Les assignats sont donc au dessus de tout discrédit, et ils devraient y être, si chacun raisonnait et ne se laissait pas prévenir par cet absurde thermomètre du change. Mais puisque ce change influe sur la valeur des assignats, puisque sa baisse tient à l’opinion d’impuissance de la France à vaincre les rebelles, il faut donc les pulvériser enfin, si l’on veut ôter tout prétexte à ceux qui veulent discréditer nos assignats.
On vous dit encore qu’il fallait réformer nos finances, au lieu de faire la guerre.
Mais la prospérité des finances tient à l’anéantissement des rebelles. Leur obstination coûte des frais prodigieux, en même temps qu’elle rend plus difficile la perception des impôts. L’attaque est donc nécessaire pour améliorer les finances.
On vous a dit que dans l’état où se trouvaient vos finances, vous ne pouviez, sans les ruiner encore plus, songer à attaquer.
Mais on oubliait qu’on dépense énormément aussi à se tenir sur la défensive, et qu’il sera toujours moins coûteux de finir cette guerre de préparatifs.
On oublie que la guerre ne doit se porter qu’à vingt-cinq ou trente lieues loin des frontières, et que par conséquent la plus grande partie des provisions seront portées de France. On oublie enfin, que lorsque l’harmonie paraîtra exister entre les deux pouvoirs, lorsque cette guerre relèvera l’idée de la puissance de la France, il sera facile de combiner des opérations financières qui rendront moins coûteux l’achat de ce dont on aura besoin pour la guerre.
On vous a dit qu’il fallait faire précéder le décret de la guerre d’un décret d’accusation contre les rebelles, et surtout contre les princes.
Eh ! qui en doute ? c’est justice, c’est prudence, c’est nécessité, et je crois que ce parti réunira tous les suffrages. - et je ne me suis pas borné dans cette mesure dans mon discours d’hier ; j’y joints toutes les mesures qui peuvent mettre à l’épreuve la sincérité de la cour.
Messieurs, des patriotes ne peuvent être longtemps divisés lorsqu’il s’agit de la gloire de la liberté, des intérêts les plus chers de la patrie.
Tous ces motifs se réunissent ici pour le système d’attaque. Je me plais donc à croire qu’un même sentiment va nous rassembler tous, et qu’écartant des subtilités plus métaphysiques que réelles qui nous séparent, nous sentirons la nécessité d’invoquer les armes contre des étrangers qui nous bravent. Ce n’est pas seulement notre honneur qui nous y invite, toutes les nations nous y invitent secrètement. Cette attaque sera le coup de tocsin qui sonnera leur réveil ; il ébranlera toutes les bastilles étrangères. La commotion que vous donnerez au pays où vous porterez vos armes, se propagera rapidement, toutes les âmes seront bientôt électrisées. - A peine a-t-on appris que vous menaciez Coblence, le cœur des patriotes brabançons a tressailli. - Ils ont cru le moment arrivé ; le signe sacré de la liberté a reparu, beaucoup ont cherché un asile dans vos murs, afin d’y préparer leurs armes contre leurs tyrans... Hollandais, Flamands, Liégeois, tous n’attendent que votre explosion pour commencer la leur, pour secouer le joug ; et avec quelle célérité ce mouvement se communiquera partout !... le ciel semble avoir destiné le globe à des révolutions périodiques en politique. Rappelez-vous ces croisades où l’Europe s’armant pour quelques superstitions, s’ébranlait à la voix d’un seul homme pour écraser l’hydre. Le moment est arrivé pour une autre croisade, et elle a un objet bien plus noble, bien plus saint. C’est une croisade de liberté universelle. Ici chaque soldat sera un Pierre l’ermite, un Bernard, et sera plus éloquent qu’eux. Il ne prêchera pas des dogmes mystiques, il prêchera ce que chacun sait, ce que chacun veut, la liberté. Que les rois n’aillent plus se créer la chimère de la propagande, ou plutôt qu’ils la voient enfin là où elle est, où elle est plus redoutable pour eux, dans l’âme de chaque soldat qui dira à son ennemi : frère, je ne viens point t’égorger, je viens te tirer du joug où tu gémis ; je viens te montrer le chemin du bonheur. Comme toi j’étais esclave ; je me suis armé, le tyran a disparu ; me voilà libre, tu peux le devenir, voilà mon bras...
Non, il n’est au pouvoir d’aucun homme d’arrêter cette révolution. Elle est l’effet de la raison, et la raison parle à chaque homme, elle parle dans toutes les langues...
La révolution française est dans toutes les bouches. On y sait partout ce mot sublime : que pour être libre, un peuple n’a qu’à le vouloir.
L’attaque de Coblence prouvera à tous les peuples, qu’un peuple libre sait se faire respecter ; elle justifiera, elle honorera la révolution française, et ce grand exemple déterminera ceux qui peuvent encore balancer à nous imiter.
Une seule considération pourrait les arrêter, c’est la vue de l’anarchie, si notre constitution ne parvenait pas à la dissiper insensiblement.
O combien ils déshonorent notre révolution, combien ils éloignent la révolution universelle, ceux qui prêchent cette anarchie, ceux qui minent sourdement notre constitution ou la blasphèment ouvertement !
Par quelle fatalité de bons patriotes, se laissent entraîner à une funeste effervescence, tombent-ils eux-mêmes dans ces excès ? Surveillons jour et nuit les ministres, relevons leurs fautes, dénonçons leurs délits, blâmons la tiédeur qui s’y montre indifférente, ou la perversité qui les justifie ; mais en blâmant, en dénonçant, renfermons-nous dans les bornes de la constitution...
Patriotes égarés, quel peut donc être votre dessein en attaquant la constitution ? Est-ce de la réformer ? Mais ne voyez-vous pas qu’en voulant réformer illégalement un vice, vous ouvrez la porte à mille autres ? Ne voyez-vous pas que vous nous replongez dans une incertitude cruelle, dans une nouvelle fermentation, dans une fièvre violente ?
Ne voyez-vous pas que vous chassez de votre sein les amis de la liberté, qui n’en veulent que par la loi, et qui ne voient qu’un nouveau genre de servitude et d’horreur dans la fluctuation de la constitution ? car du moment où il n’est plus de terme aux variations, il n’en est plus aux calamités.
Modérez, encore une fois, cette inquiétude dévorante ; s’il est des abus, cherchez le remède dans la loi ; si la loi ne vous l’offre pas, attendez le temps prescrit par la loi, l’instant où vous pourrez proposer la réforme, et ne cessez de prêcher la soumission à la loi, puisque la loi est maintenant l’expression de la volonté générale. Le patriotisme doit se confondre avec cette soumission ; et tout citoyen qui n’est pas soumis, est nécessairement un rebelle, un ennemi de la constitution...
Oui, messieurs, les hommes les plus dangereux pour cette société ne sont ni les Feuillants, ni les ministériels, ni les aristocrates ; ce sont ceux qui se disent vos frères et qui attaquent imprudemment la constitution dans une société qui s’est vouée à la défense de toutes ses parties, et qui n’a cessé de manifester son improbation contre ces attaques.
Vogesus
Vogesus
Maire

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