Brissot : Sur la guerre aux princes allemand (20/01/91)
Brissot : Sur la guerre aux princes allemand (20/01/91)
Troisième discours de J.-P. Brissot, sur la nécessité de la guerre, prononcé à la Société, le 20 janvier 1792
Messieurs, convaincu que la discussion engagée, tant à l’assemblée nationale, que dans cette société, avait éclairé au plus haut degré la question de la guerre, je n’imaginais pas qu’en reproduisant les mêmes arguments, on me forcerait encore à reparaître sur l’arène. J’aurais dédaigné et les sophismes et les insinuations dans la bouche des partisans du ministère ; mais c’est un patriote, c’est un frère qui demande des éclaircissements, et c’est un devoir pour moi de les donner. Je le remplirai avec cette décence convenable à tout homme qui se respecte lui-même et respecte la société devant laquelle il parle.
Je ne répéterai point ici les arguments que j’ai développés avant-hier à l’assemblée nationale, parce que mon discours doit vous être distribué dans votre prochaine séance. Je vous dirai seulement que je m’y suis attaché à prouver deux points importants.
1° Que l’empereur était en état d’hostilité ouverte envers la France, et qu’il était autant de notre sûreté que de notre dignité de l’attaquer, s’il ne nous donne pas une satisfaction telle qu’elle dissipe toutes nos inquiétudes.
2° Que l’empereur avait violé constamment le traité du premier mai 1756, qu’il fallait se hâter de le rompre, puisqu’il était onéreux à la France sous tous les points de vue, et que, surtout, il était impossible de conserver la liberté de la France, tant que ce traité subsistera.
Je viens maintenant aux arguments qui m’ont été faits dans cette tribune par M. Robespierre, et que je n’ai pas encore réfutés.
La question qui nous divise peut- être réduite à des termes bien simples, et je copie ceux mêmes de mon adversaire : Quel parti, a-t-il dit, devons nous prendre dans les circonstances où nous sommes ?
Pour nous déterminer sur ce parti, il faut connaître ces circonstances. Or, nous sommes dans des circonstances hostiles, offensives ; donc il faut, je ne dis pas attaquer, mais nous défendre ; et comme en nous défendant, il nous convient mieux de faire du pays ennemi, plutôt que du nôtre, le théâtre de la guerre, donc il faut se hâter de la porter au delà du Rhin.
Osera-t-on nier ces circonstances hostiles ? Niera-t-on que les émigrants étaient parvenus à rassembler des forces à Worms, à Coblence, à les armer, à les approvisionner ? Niera-t-on qu’ils nous menaçaient d’une prochaine invasion ? Niera-t-on que les électeurs leur prêtaient non seulement un asile, mais des secours considérables, qu’ils en tiraient encore des divers princes qui ont intérêt à entretenir le feu de la discorde au sein de la France ?
Dès lors ne devient-il pas d’une absolue nécessité que, pour faire cesser ces rassemblements, ces menaces, ces hostilités prochaines, la France déployât ses forces et menaçât à son tour d’écraser ses imprudents voisins ?
Elle a réussi, les rassemblements sont dissipés ; le succès a prouvé la bonté de cette opération, et la fermeté que la France a développée dans cette opération, en étonnant l’Europe, a convaincu les peuples et les souverains, que la France n’était pas sans moyens, qu’elle n’était pas réduite à l’impuissance par l’anarchie, comme ses détracteurs le répètent partout.
Mais la France ne perdrait-elle pas tout le fruit qu’elle doit attendre de ce grand développement si elle s’arrêtait dans sa carrière, et si, après avoir effrayé les petits princes qui osaient l’insulter, elle ne prenait pas la même attitude vis-à-vis des grandes puissances qui stimulaient sourdement les électeurs ?
L’empereur est à la tête. Il a montré son inimité pour la nation française, et en refusant d’abord de dissiper les rassemblements, et en promettant des troupes aux électeurs, et surtout en excitant, en concluant une ligue contre la France avec les diverses autres puissances ; cette ligue est prouvée par ses lettres, par une circulaire, par divers traités, par les notifications qui en ont été faites à la diète de Ratisbonne. Il est dès lors en état d’hostilité contre la France.
Maintenant ne serait-il pas insensé de rester tranquille sur la défensive, de laisser se former tranquillement au dehors cette coalition couronnée, de lui laisser rassembler ses forces, pour tomber sur nous au moment qui lui conviendrait le mieux ? Je ne cesserai de répéter ce dilemme auquel on n’a pas encore répondu.
Ou l’empereur veut nous attaquer, ou il ne veut que nous effrayer. S’il veut nous attaquer, il est de la démence de ne pas le prévenir, puisqu’en le prévenant nous avons mille avantages, puisqu’en l’attendant, nous les perdons tous.
Si l’empereur veut seulement nous effrayer, c’est pour nous forcer à dissiper des sommes énormes dans des préparatifs et des armements qui nous épuisent ; c’est pour nous laisser un éternel sujet d’inquiétude, entretenir l’espoir des mécontents, et par conséquent le désordre, et par conséquent amener la banqueroute, etc.
Dans ce cas, le bon sens ne dit-il pas qu’il faut mettre fin à ce jeu ruineux, qu’une guerre ouverte serait moins dangereuse, moins coûteuse, que ces préparatifs de guerre ? Donc il faut ou exiger de l’empereur une satisfaction telle que nous puissions être tranquilles, que nous puissions désarmer, ou il faut l’y forcer par les armes.
Que répond-on à ce dilemme pressant ? La cour de France veut la guerre, et il faut se défier de ses vues secrètes.
Et je dis, moi, messieurs, la cour ne veut pas la guerre. Je l’ai dit, le jour même où le roi prononçait son fameux discours du 14 décembre ; tout cet étalage ne m’a point séduit ; j’ai dès lors prévu qu’au 15 janvier il n’y aurait pas de proposition de guerre. J’ai persisté dans ma prédiction, quoique tous les ministériels semblassent s’être donné le mot pour emboucher la trompette guerrière, et ma prédiction s’est vérifiée ; car vous avez vu, messieurs, le ministre des affaires étrangères vous apporter des lettres calmantes qui annonçaient la soumission des électeurs. - Vous l’avez vu publier une proclamation qui manifeste ses craintes sur une agression imprévue. - Vous l’avez entendu, dans son dernier discours, prêcher la paix...
Nouveau stratagème ! s’écrie-t-on, la cour veut toujours la guerre ; mais elle change de marche, pour vous la faire mieux adopter.
Mais ce stratagème est inutile, et même stupide ; car, si la cour veut la guerre, pourquoi le roi ne vient-il pas en faire la proposition à l’assemblée nationale ?
J’ose assurer que les deux tiers de cette assemblée accueilleraient avec transport cette proposition. Comment donc, puisque la cour est sûre de faire, est sûre d’avoir la guerre quand elle le voudra, comment aurait-elle la démence de prendre une route longue, tortueuse, incertaine ? Comment feindrait-elle de ne pas la vouloir, pour nous la faire vouloir, lorsque nous la voulons, lorsque le vœu général était bien prononcé ? Comment dédaignerait-elle de profiter du fruit de ses manœuvres, lorsque le fruit est dans ses mains ? Comment en éloignerait-elle le moment ? Comment les membres de l’assemblée qui lui sont dévoués viendraient-ils combattre la guerre qu’elle désire ?
Allons plus loin, et voyons si les autres actes de la cour prouvent qu’elle veut la guerre. Si le roi veut la guerre, que doit-il faire ? Multiplier tous les moyens qui peuvent la rendre nécessaire. Ainsi, puisqu’on suppose qu’il est de concert avec les réfugiés de Coblence, avec les électeurs, avec l’empereur, comment ne les a-t-il pas prié secrètement de ne pas dissiper les rassemblements, de continuer les exercices militaires, de vexer les Français, d’insulter leur territoire ? Par quelle démence allie-t-il ces contradictions ? Il veut la guerre, il est de concert avec les électeurs ! et ces électeurs dissipent les rassemblements, chassent les émigrés, donnent satisfaction à la France, et ôtent tout prétexte de guerre au roi, qui la veut ; de concert avec eux ! Il veut la guerre, et l’empereur, son soutien secret, qui doit la vouloir avec lui, la faire pour lui, qui devrait profiter de tous les prétextes pour la faire déclarer, hâter les préparatifs, faire marcher ses troupes ; cet empereur force les électeurs à dissiper les rassemblements, laisse ses troupes dans l’inaction, ne fait aucun mouvement ; va de lui-même au devant de la paix ! N’existe-t-il pas une contradiction évidente entre la volonté de la guerre qu’on prête au roi, et ses actions ? N’est-il pas ici un mystère qu’il est impossible de résoudre dans le système de mon adversaire ?
Au contraire, tout ce mystère s’explique aisément dans le mien : Ni la cour de France, ni l’empereur, ne veulent la guerre ; ils ont seulement voulu nous effrayer.
Ils ont dû, pour nous effrayer, nous la proposer avec éclat ; ils ont dû la proposer, pour exciter des défiances dans l’esprit des patriotes éclairés ; ils ont dû la proposer, pour se populariser parmi les troupes.
Ils doivent aujourd’hui changer de langage, parce qu’ils sont prêts d’être pris au mot ; ils doivent en changer, parce que la guerre ne leur convient point ; et c’est ce qu’il est facile de démontrer.
Léopold ne doit pas la vouloir ; dix volcans sont allumés sous ses pas ; une étincelle peut les embraser tous à la fois.
La cour de France elle-même doit redouter l’issue de cette guerre ; c’est le triomphe de l’aristocratie et de Léopold qui lui convient. Et ce triomphe est incertain ; elle voit que les armées de Léopold sont insuffisantes pour ses propres besoins ; que ses finances sont délabrées ; que sa volonté est chancelante ; elle sait que les princes confédérés n’ont ni la puissance, ni les moyens, ni la bonne foi nécessaire pour assurer le succès de cette coalition commencée. La cour sait qu’elle a un appui certain dans Léopold ; mais elle sait aussi qu’il est impossible de calculer les effets de la guerre, les effets d’un embrasement universel. Elle voit en frémissant qu’au premier coup de canon, le Brabant peut s’ébranler et renverser son ancien régime ; elle sait que Vienne mécontente peut profiter de ce moment pour manifester son mécontentement ; et qui répond à notre cour que le trône de Léopold n’en sera pas renversé ? Qui lui répond que l’audace des troupes françaises s’arrêtera à son gré ? Qui lui répond que les Français ne franchiront pas les bornes qu’elle leur posera ? Qui lui répond que, quand les Français le respecteraient, les étrangers n’osassent pas l’outrepasser ? Quand Louis XVI assembla les notables, prévoyait-il la chute de la Bastille ?... Quel est donc le mortel auquel il est donné de pouvoir lire dans l’avenir, et marquer à la révolution le temps et le pays où elle doit s’arrêter ? Les volcans sont préparés partout ; encore une fois il ne faut que l’étincelle pour l’explosion universelle. Ce n’est pas au patriotisme à en craindre les suites ; elle ne menace que les trônes.
Les cours de l’Europe ne voient que trop bien les suites de la révolution française ; elles voient bien que les rois sont mûrs, et leur politique doit être de retarder le moment où le fruit doit tomber. Or la guerre accélérerait ce moment ; ils doivent donc l’éviter.
Mais en même temps qu’ils sont forcés de l’éviter, ils doivent affecter de ne pas la craindre ; ils doivent affecter des hauteurs avec la France, chercher à tracasser, semer la discorde dans son sein, l’épouvanter au dehors par des ligues impossibles à réaliser ; et ils savent bien cette impossibilité ; mais qu’importe ? S’ils ont excité la terreur, ils auront réussi ; leur espoir a été déçu.
Cette manœuvre a été sans succès, et pourquoi ? Parce que les rois ont mal jugé la France et l’esprit de la liberté. Ils ont cru, d’après des journaux aristocratiques (et ils ne lisent que ceux-là), d’après les récits mensongers de vils flatteurs, que la France était sans soldats, sans argent, sans moyens, et ils l’ont insultée avec éclat ; ils ont cru que la France était dirigée par une poignée de factieux, et cette poignée est composée de 25 millions d’hommes ; ils ont cru que l’amour de la liberté n’était qu’un vain mot, qu’il céderait à la crainte, et ils ont insulté à cet esprit de liberté.
Repoussés avec fermeté, les voilà forcés de rétrograder, forcés de rendre hommage à votre indépendance, d’obéir à vos réquisitions. Que voyez-vous dans cette conduite ? Ineptie et châtiment à côté de l’insolence ; fermeté et succès à côté de la justice.
Je vous l’ai déjà dit, messieurs, qu’importe à une grande nation les petits calculs de quelques individus ? que lui importe de savoir ce qu’ils veulent ou ne veulent pas ; de connaître tous les fils des intrigues qui agitent leurs cabinets, toutes les passions des scélérats ou des femmes corrompues qui les dirigent ? Une grande nation ne doit avoir sous les yeux que deux grands objets, les principes et la force.
Cependant je dois résoudre une objection qui m’a été faite.
Si les cours de France et de Vienne, m’a-t-on dit, ne veulent pas la guerre à présent, c’est qu’elles ne sont pas préparées ; elle ne la veulent que pour le printemps. - J’y consens ; mais qu’en conclure ? Qu’il faut la faire à présent. Nous sommes sûrs du succès, en attaquant les premiers ; tous les avantages nous attendent sur le terrain ennemi ; tous les désastres nous suivrons dans nos foyers : aussi, messieurs, tout ce qu’on peut dire sur cette question, peut se réduire à ce triple point de vue : - ou l’empereur veut la guerre, ou il ne la veut qu’au printemps, ou il ne la veut pas du tout.
S’il la veut, il faut le prévenir ; s’il ne la veut qu’au printemps prochain, il faut encore se hâter de le prévenir ; s’il ne la veut pas du tout, il faut le forcer, en la lui déclarant, à nous donner toutes les satisfactions qui peuvent dissiper nos inquiétudes, et nous mettre à portée de terminer cette guerre de préparatifs. Donc, dans tous les cas, la guerre est nécessaire.
On voit maintenant que nous ne sommes pas libres de vouloir ou de ne pas vouloir la guerre. Elle n’est pas offensive de notre part, car nous sommes attaqués ; notre sûreté est en danger, si la ligue se réalise ; et si elle ne se réalise pas, elle nous cause des inquiétudes dispendieuses.
On a prétendu qu’il valait mieux avoir cette guerre au dedans de la France qu’au dehors. C’est dire qu’il vaut mieux avoir chez soi le feu, la peste, et tous les maux possibles, que de les prévenir, et de les repousser chez ses ennemis ; c’est oublier ce qu’on doit à ses concitoyens des frontières, sur la tête desquels on appelle toutes les calamités.
On a dit qu’on voulait bien la guerre, mais la guerre du peuple, et non pas la guerre des armées soldées.
Cette idée est grande, mais est-elle exécutable, est-elle salutaire au peuple ? C’est dire qu’on veut arracher tout le peuple à ses foyers, à ses affaires ; c’est dire qu’on a partout des moyens pour l’alimenter et l’armer ; c’est dire qu’on a besoin de cette croisade innombrable de millions d’hommes pour repousser quelques milliers d’hommes ; c’est dire qu’avec une foule d’hommes courageux, mais qui n’ont pas l’habitude des armes, qui n’ont pas de chefs expérimentés, on est plus sûr du succès qu’avec des troupes disciplinées, armées, habituées à la fatigue ; c’est en un mot, envoyer le peuple à la boucherie... J’ai, comme tout autre, admiré l’apostrophe de M. Robespierre ; mais je lui dirai, d’après lui-même, que le destin des empires ne se règle pas d’après des figures de rhétorique.
Le pouvoir exécutif, chargé de diriger la guerre, épouvante : on voudrait la voir hors de ses mains...
Certes, les craintes qu’on a du pouvoir exécutif sont en général bien fondées ; elles tiennent à sa nature, à sa formation. Le peuple n’a point de prise sur le ministère, et c’est un vrai crime dans ceux qui ont révisé la constitution d’avoir ôté au peuple son influence à cet égard ; ils ont, dans cette partie, semé l’anarchie, semé les défiances.
Cependant cette constitution est jurée, il faut lui obéir : elle met dans la main du roi la direction de l’armée ; elle doit y rester, mais en la surveillant, mais en éclairant tous ses faits.
Il faut donc que l’armée soit organisée suivant les décrets, se conforme à la discipline décrétée, obéisse aux généraux nommés par le roi. Il faut, ou marcher ainsi, ou briser la constitution.
On a dit et répété que la guerre mettrait dans la main du pouvoir exécutif de grandes forces, qu’il pourrait en abuser.
Et j’ai déjà répondu qu’on insultait à nos soldats, à nos volontaires nationaux. J’ai répondu que la cour pourrait séduire quelques généraux, quelques officiers, mais qu’elle ne séduirait pas les soldats, nos gardes nationales. J’ai cité Bouillé, désertant seul, Arnold, désertant seul...
J’ai dit que les grandes trahisons étaient désormais impossibles, et j’aime à croire que les terreurs de M. Robespierre seraient désavouées dans nos camps.
On a dit qu’on voulait cantonner et camper les soldats pour les ramener plus facilement à l’idolâtrie pour le chef suprême de l’armée...
Et ces camps sont formés depuis longtemps, et cette idolâtrie ne se manifeste point, et ceux qui ont visité les camps savent que le soldat aime la liberté, la révolution par dessus tout.
Et ceux qui connaissent l’effet rapide des progrès de la raison, l’influence des papiers et de l’opinion publique qui s’éclaire chaque jour, voient que cette idolâtrie pour un homme touche bientôt à son terme.
On nous a dit qu’il valait mieux, au lieu de s’occuper de guerre, remettre l’ordre dans l’intérieur, éclairer les finances, etc., etc. Et tous ces lieux communs étaient et sont toujours aujourd’hui prêché par le ministère. Il nous a aussi observé avant-hier, que la guerre la plus heureuse entraînait les plus grandes calamités.
Il est très singulier de voir aujourd’hui M. Robespierre, marchant sur la même ligne que le ministre, soutenir cependant qu’il est en sens inverse, et prétendre que ceux-là seuls le soutiennent qui le combattent.
Comme M. de Lessart, il nous dit : “que répondrez-vous au pouvoir exécutif quand il vous dira, quand il vous prouvera, par des actes authentiques, que les princes ont dissipé les rassemblements ? Quel prétexte légitime vous reste-t-il pour faire la guerre ?” [Voyez le Discours de M. Robespierre, page 52]
Certes, nous n’accuserons pas, malgré ces rapprochements, M. Robespierre d’être de concert avec le ministère ; mais qu’il veuille bien croire au moins que ce concert n’existe pas entre ce ministre et ceux qui le combattent ouvertement, qui dénoncent avec vigueur les vices et les abus de son administration.
Cette idée me ramène à quelques insinuations sur la pureté de mes intentions, qui déparent les discours de M. Robespierre. Elles lui sont étrangères, j’aime à le croire ; car je l’ai vu, j’ai connu son âme, et la méchanceté n’en approcha jamais. S’il existe des poisons déguisés dans ses discours, je ne les attribuerai qu’aux suggestions d’hommes contre lesquels il n’est pas assez armé de défiance.
M. Robespierre, se flatte de pouvoir prononcer avec liberté sur les ministres, parce qu’il ne spécule ni pour lui, ni pour ses amis. [P. 8]
Et moi aussi, je puis prononcer librement ; car non seulement je ne spécule point sur le ministère, mais j’ai renoncé à toute espèce de commerce avec les hommes que j’avais connus avant leur élévation au ministère. Si au milieu des confidences de l’amitié, j’ai pu quelquefois laisser entrevoir le vœu que je formais de voir élever au ministère des patriotes éclairés, ce vœu est-il donc un crime si grand, qu’il fallût violer les épanchements de l’amitié, et le dénoncer avec éclat ? Devons-nous donc être condamnés à n’avoir jamais que des ministres ignorants ou corrompus ? Veut-on donc condamner le gouvernement à une inaction éternelle, et le peuple français à sa ruine ? Car tel est le point où nous mènent ceux qui ne veulent pas voir élever des patriotes au ministère. Quoi ! Si la cour balançait entre un Jacobin et un modéré, ce serait un crime que de désirer de voir pencher la balance pour notre frère, et surtout pour un homme qui a rendu les plus grands services à la cause de la liberté !
Un patriote élevé au ministère, ou soutient la cause du peuple, ou la trahit ; s’il la soutient, il contribue à la prospérité publique ; s’il la trahit, l’opinion publique n’est-elle pas là pour le dénoncer ?
M. Robespierre me reproche encore d’avoir expédié des brevets de patriotisme [p. 8] à deux ministres. Il m’a mal lu ; j’ai dit qu’un ministère plébéien devait se combiner avec les patriotes pour écraser les aristocrates, et avec les modérés, pour écraser les patriotes. Quel brevet de patriotisme ! Partant de cette supposition, il s’écrie : comme les routes du patriotisme sont devenues, pour M. Brissot, douces et riantes !... [P. 13]
Libelles, menaces, poignards, et ce qui est plus douloureux encore, attaques obliques de l’amitié surprise, voilà les fleurs qui ornent la route que je parcours...
L’insinuation est l’arme des méchants ; elle ne convient donc point à un patriote. Si j’ai dévié des principes, si je suis coupable, que M. Robespierre articule un fait positif ; je l’en somme, lui et tous ceux qui m’entendent...
J’ai ma conscience pour moi ; elle seule m’a soutenu dans tous les combats que j’essuie depuis quelque temps ; mais je l’avoue, cette consolation m’abandonne, en me voyant, non pas ouvertement déchiré, mais effleuré avec un air de mystère, par un homme qui a droit à l’estime publique. Il ne cesse depuis quelque temps de vous annoncer la révélation de grandes conspirations... Qu’il ose enfin soulever le voile ; qu’il éclaire de grands jours ces noirs complots ; qu’il ose dire si j’y trempe, me voilà prêt à répondre ; qu’il cesse enfin de faire errer le glaive des dénonciations sur un homme qui, comme lui, a droit de se dire : integer vitae scelerisque purus.
Oui, messieurs, cette tête est comme la sienne l’exécration des partisans de la tyrannie ; elle doit tomber avec la liberté, car les tyrans ne pardonnent point aux hommes à principes, parce que ces hommes sont invariable...
Mais je rougis de me traîner si longtemps sur des dénonciations.
Cependant je dois dire un mot du crime capital qui me paraît avoir le plus violemment excité la haine de mes adversaires ; c’est de ne pas déchirer chaque jour et le roi et ses ministres, et les généraux, et surtout M. Lafayette...
Messieurs, la dénonciation m’a toujours paru une arme trop précieuse pour la prostituer à chaque minute. Les sauveurs des ministres sont précisément leurs éternels dénonciateurs, ou ceux qui les dénoncent sans preuves.
Faits importants, preuves irrésistibles, voilà ce que j’ai toujours cru essentiel de réunir en dénonçant les ministres. Depuis mon entrée à la législature, j’ai prononcé huit discours ; qu’on m’en cite un seul où je n’aie pas énergiquement démasqué les intrigues, les abus, les divers ministres ! A-t-on depuis détruit un seul fait ? Qu’on lise ma dénonciation sur les colonies ; et les colons et leurs protecteurs les ministres ont-ils osé répliquer ?
C’est ainsi, messieurs, qu’on honore, qu’on rend utiles les dénonciations. Ah ! défions-nous de ces hommes emportés, qui ne parlent que de poignards, de sang, de gibets, et pour les moindres fautes : ceux-là décrient et desservent le peuple, et fortifient la cause des ministres...
Voulez-vous connaître les signes auxquels on doit distinguer, parmi ces déclamateurs, les vrais amis du peuple de ses ennemis ?... De l’énergie, et point de fureur ; de la surveillance, et point de calomnie ; des faits, et point d’hypothèse ; des preuves, et non des soupçons ; du caractère surtout, c’est-à-dire une forte persévérance dans un parti dicté par la raison seule ; et ce mot vous apprendra à vous défier de ces hommes qui parcourent rapidement les extrêmes, brisent les statues qu’ils ont élevées, déchirent aujourd’hui ce qu’ils ont encensé la veille. Le vrai patriotisme n’a point cette légèreté ni ces inconséquences.
C’est d’après ces principes que j’ai dirigé ma conduite à l’égard de M. Lafayette... Je le voyais une fois tous les mois avant la Saint-Barthélémy du 17 juillet ; je le voyais, et c’était pour soutenir en lui quelques souffles de la liberté, et c’était pour l’empêcher de se livrer aux séductions d’hommes qui avaient juré notre ruine. Le ciel m’est témoin que jamais je n’eus d’autres intentions ; que jamais aucune vue intéressée ne flétrit mes démarches. Je l’ai vu surtout au moment où un événement inespéré pouvait imprimer à la constitution française un grand caractère qui lui manquait, le seul qui en aurait corrigé tous les défauts. Je croyais Lafayette assez grand pour s’élever à la hauteur de sa destinée, et assez fort pour nous élever à la nôtre. Il me le promit, il me trompa. J’ai rompu publiquement avec lui, et depuis je ne l’ai pas revu.
Lorsque quelque acte public l’a ramené au tribunal de l’opinion publique, je l’ai traité avec la justice qu’on doit à tout étranger ; il l’était, il le sera toujours pour moi. Depuis, il s’est retiré dans la solitude ; pourquoi aurais-je eu l’inhumanité de l’y poursuivre, le persécuter, alors qu’il n’était plus qu’un homme privé ? Il en sort, il est nommé ; je ne fais qu’un vœu, c’est pour qu’il efface, par une conduite patriotique les taches qui ensanglantent sa vie politique. Est-ce donc là un vœu criminel ? Il est vrai, j’avoue cette faute, je n’ai point envoyé dans son camp des brochures contre lui, je n’arme point ses soldats de poignards contre lui, je ne les excite point à la désobéissance. Les soldats sont nos frères, sont patriotes ; reposons-nous sur eux. Si Lafayette est traître, il sera bientôt démasqué et puni ; s’il sert bien sa patrie, n’est-ce pas un crime national que d’exciter ses soldats à lui désobéir ?
En voilà sans doute assez, messieurs, pour vous éclairer sur ma conduite et sur mes démarches, sur les principes qui me dirigent. Ce ne sont point des mots, ce sont des faits, écrits partout, répétés dans tous mes écrits, et dans ma conduite depuis quatre ans...
Si je me suis trompé dans la question de la guerre, c’est au moins dans la droiture de mon âme ; j’aurai alors payé un tribut à la fragilité humaine ; mais je déclare qu’avant d’exposer mon opinion, j’ai pris toute la précaution pour me garantir de l’erreur. J’ai étudié les meilleurs ouvrages, suivi les événements avec constance... et je me rassure en voyant que les hommes les plus célèbres, que les meilleurs patriotes partagent mon opinion. Si M. Robespierre ne tremble pas d’être presque seul dans la sienne, comment serais-je timide en m’appuyant sur des colonnes aussi bien éprouvées ?
Les événements arrivent à mon secours, les électeurs ont plié ; l’empereur pliera, j’ose le prédire ; donc on aura bien fait de déployer une grande force pour le soumettre à reconnaître nos droits, et pour ôter cet appui aux mécontents.
L’empereur pliera, et nous soumettrons de même tous ces vains potentats qui ont osé nous braver parce que nous étions désunis ; et alors la prospérité accompagnant la paix, nous portera à ce degré d’élévation où tout peuple libre doit arriver infailliblement.
Maintenant, messieurs, je me suis expliqué, mon âme est satisfaite ; elle ne conserve ni haine, ni même de ressentiment. Je n’ai pu persévérer à haïr même les scélérats qui m’ont le plus déchiré ; comment haïrai-je un patriote que j’estime, qui n’est qu’égaré par des impulsions étrangères, et qui, j’aime à le croire, va s’empresser de terminer un combat scandaleux, et funeste à la cause de la liberté.
Messieurs, convaincu que la discussion engagée, tant à l’assemblée nationale, que dans cette société, avait éclairé au plus haut degré la question de la guerre, je n’imaginais pas qu’en reproduisant les mêmes arguments, on me forcerait encore à reparaître sur l’arène. J’aurais dédaigné et les sophismes et les insinuations dans la bouche des partisans du ministère ; mais c’est un patriote, c’est un frère qui demande des éclaircissements, et c’est un devoir pour moi de les donner. Je le remplirai avec cette décence convenable à tout homme qui se respecte lui-même et respecte la société devant laquelle il parle.
Je ne répéterai point ici les arguments que j’ai développés avant-hier à l’assemblée nationale, parce que mon discours doit vous être distribué dans votre prochaine séance. Je vous dirai seulement que je m’y suis attaché à prouver deux points importants.
1° Que l’empereur était en état d’hostilité ouverte envers la France, et qu’il était autant de notre sûreté que de notre dignité de l’attaquer, s’il ne nous donne pas une satisfaction telle qu’elle dissipe toutes nos inquiétudes.
2° Que l’empereur avait violé constamment le traité du premier mai 1756, qu’il fallait se hâter de le rompre, puisqu’il était onéreux à la France sous tous les points de vue, et que, surtout, il était impossible de conserver la liberté de la France, tant que ce traité subsistera.
Je viens maintenant aux arguments qui m’ont été faits dans cette tribune par M. Robespierre, et que je n’ai pas encore réfutés.
La question qui nous divise peut- être réduite à des termes bien simples, et je copie ceux mêmes de mon adversaire : Quel parti, a-t-il dit, devons nous prendre dans les circonstances où nous sommes ?
Pour nous déterminer sur ce parti, il faut connaître ces circonstances. Or, nous sommes dans des circonstances hostiles, offensives ; donc il faut, je ne dis pas attaquer, mais nous défendre ; et comme en nous défendant, il nous convient mieux de faire du pays ennemi, plutôt que du nôtre, le théâtre de la guerre, donc il faut se hâter de la porter au delà du Rhin.
Osera-t-on nier ces circonstances hostiles ? Niera-t-on que les émigrants étaient parvenus à rassembler des forces à Worms, à Coblence, à les armer, à les approvisionner ? Niera-t-on qu’ils nous menaçaient d’une prochaine invasion ? Niera-t-on que les électeurs leur prêtaient non seulement un asile, mais des secours considérables, qu’ils en tiraient encore des divers princes qui ont intérêt à entretenir le feu de la discorde au sein de la France ?
Dès lors ne devient-il pas d’une absolue nécessité que, pour faire cesser ces rassemblements, ces menaces, ces hostilités prochaines, la France déployât ses forces et menaçât à son tour d’écraser ses imprudents voisins ?
Elle a réussi, les rassemblements sont dissipés ; le succès a prouvé la bonté de cette opération, et la fermeté que la France a développée dans cette opération, en étonnant l’Europe, a convaincu les peuples et les souverains, que la France n’était pas sans moyens, qu’elle n’était pas réduite à l’impuissance par l’anarchie, comme ses détracteurs le répètent partout.
Mais la France ne perdrait-elle pas tout le fruit qu’elle doit attendre de ce grand développement si elle s’arrêtait dans sa carrière, et si, après avoir effrayé les petits princes qui osaient l’insulter, elle ne prenait pas la même attitude vis-à-vis des grandes puissances qui stimulaient sourdement les électeurs ?
L’empereur est à la tête. Il a montré son inimité pour la nation française, et en refusant d’abord de dissiper les rassemblements, et en promettant des troupes aux électeurs, et surtout en excitant, en concluant une ligue contre la France avec les diverses autres puissances ; cette ligue est prouvée par ses lettres, par une circulaire, par divers traités, par les notifications qui en ont été faites à la diète de Ratisbonne. Il est dès lors en état d’hostilité contre la France.
Maintenant ne serait-il pas insensé de rester tranquille sur la défensive, de laisser se former tranquillement au dehors cette coalition couronnée, de lui laisser rassembler ses forces, pour tomber sur nous au moment qui lui conviendrait le mieux ? Je ne cesserai de répéter ce dilemme auquel on n’a pas encore répondu.
Ou l’empereur veut nous attaquer, ou il ne veut que nous effrayer. S’il veut nous attaquer, il est de la démence de ne pas le prévenir, puisqu’en le prévenant nous avons mille avantages, puisqu’en l’attendant, nous les perdons tous.
Si l’empereur veut seulement nous effrayer, c’est pour nous forcer à dissiper des sommes énormes dans des préparatifs et des armements qui nous épuisent ; c’est pour nous laisser un éternel sujet d’inquiétude, entretenir l’espoir des mécontents, et par conséquent le désordre, et par conséquent amener la banqueroute, etc.
Dans ce cas, le bon sens ne dit-il pas qu’il faut mettre fin à ce jeu ruineux, qu’une guerre ouverte serait moins dangereuse, moins coûteuse, que ces préparatifs de guerre ? Donc il faut ou exiger de l’empereur une satisfaction telle que nous puissions être tranquilles, que nous puissions désarmer, ou il faut l’y forcer par les armes.
Que répond-on à ce dilemme pressant ? La cour de France veut la guerre, et il faut se défier de ses vues secrètes.
Et je dis, moi, messieurs, la cour ne veut pas la guerre. Je l’ai dit, le jour même où le roi prononçait son fameux discours du 14 décembre ; tout cet étalage ne m’a point séduit ; j’ai dès lors prévu qu’au 15 janvier il n’y aurait pas de proposition de guerre. J’ai persisté dans ma prédiction, quoique tous les ministériels semblassent s’être donné le mot pour emboucher la trompette guerrière, et ma prédiction s’est vérifiée ; car vous avez vu, messieurs, le ministre des affaires étrangères vous apporter des lettres calmantes qui annonçaient la soumission des électeurs. - Vous l’avez vu publier une proclamation qui manifeste ses craintes sur une agression imprévue. - Vous l’avez entendu, dans son dernier discours, prêcher la paix...
Nouveau stratagème ! s’écrie-t-on, la cour veut toujours la guerre ; mais elle change de marche, pour vous la faire mieux adopter.
Mais ce stratagème est inutile, et même stupide ; car, si la cour veut la guerre, pourquoi le roi ne vient-il pas en faire la proposition à l’assemblée nationale ?
J’ose assurer que les deux tiers de cette assemblée accueilleraient avec transport cette proposition. Comment donc, puisque la cour est sûre de faire, est sûre d’avoir la guerre quand elle le voudra, comment aurait-elle la démence de prendre une route longue, tortueuse, incertaine ? Comment feindrait-elle de ne pas la vouloir, pour nous la faire vouloir, lorsque nous la voulons, lorsque le vœu général était bien prononcé ? Comment dédaignerait-elle de profiter du fruit de ses manœuvres, lorsque le fruit est dans ses mains ? Comment en éloignerait-elle le moment ? Comment les membres de l’assemblée qui lui sont dévoués viendraient-ils combattre la guerre qu’elle désire ?
Allons plus loin, et voyons si les autres actes de la cour prouvent qu’elle veut la guerre. Si le roi veut la guerre, que doit-il faire ? Multiplier tous les moyens qui peuvent la rendre nécessaire. Ainsi, puisqu’on suppose qu’il est de concert avec les réfugiés de Coblence, avec les électeurs, avec l’empereur, comment ne les a-t-il pas prié secrètement de ne pas dissiper les rassemblements, de continuer les exercices militaires, de vexer les Français, d’insulter leur territoire ? Par quelle démence allie-t-il ces contradictions ? Il veut la guerre, il est de concert avec les électeurs ! et ces électeurs dissipent les rassemblements, chassent les émigrés, donnent satisfaction à la France, et ôtent tout prétexte de guerre au roi, qui la veut ; de concert avec eux ! Il veut la guerre, et l’empereur, son soutien secret, qui doit la vouloir avec lui, la faire pour lui, qui devrait profiter de tous les prétextes pour la faire déclarer, hâter les préparatifs, faire marcher ses troupes ; cet empereur force les électeurs à dissiper les rassemblements, laisse ses troupes dans l’inaction, ne fait aucun mouvement ; va de lui-même au devant de la paix ! N’existe-t-il pas une contradiction évidente entre la volonté de la guerre qu’on prête au roi, et ses actions ? N’est-il pas ici un mystère qu’il est impossible de résoudre dans le système de mon adversaire ?
Au contraire, tout ce mystère s’explique aisément dans le mien : Ni la cour de France, ni l’empereur, ne veulent la guerre ; ils ont seulement voulu nous effrayer.
Ils ont dû, pour nous effrayer, nous la proposer avec éclat ; ils ont dû la proposer, pour exciter des défiances dans l’esprit des patriotes éclairés ; ils ont dû la proposer, pour se populariser parmi les troupes.
Ils doivent aujourd’hui changer de langage, parce qu’ils sont prêts d’être pris au mot ; ils doivent en changer, parce que la guerre ne leur convient point ; et c’est ce qu’il est facile de démontrer.
Léopold ne doit pas la vouloir ; dix volcans sont allumés sous ses pas ; une étincelle peut les embraser tous à la fois.
La cour de France elle-même doit redouter l’issue de cette guerre ; c’est le triomphe de l’aristocratie et de Léopold qui lui convient. Et ce triomphe est incertain ; elle voit que les armées de Léopold sont insuffisantes pour ses propres besoins ; que ses finances sont délabrées ; que sa volonté est chancelante ; elle sait que les princes confédérés n’ont ni la puissance, ni les moyens, ni la bonne foi nécessaire pour assurer le succès de cette coalition commencée. La cour sait qu’elle a un appui certain dans Léopold ; mais elle sait aussi qu’il est impossible de calculer les effets de la guerre, les effets d’un embrasement universel. Elle voit en frémissant qu’au premier coup de canon, le Brabant peut s’ébranler et renverser son ancien régime ; elle sait que Vienne mécontente peut profiter de ce moment pour manifester son mécontentement ; et qui répond à notre cour que le trône de Léopold n’en sera pas renversé ? Qui lui répond que l’audace des troupes françaises s’arrêtera à son gré ? Qui lui répond que les Français ne franchiront pas les bornes qu’elle leur posera ? Qui lui répond que, quand les Français le respecteraient, les étrangers n’osassent pas l’outrepasser ? Quand Louis XVI assembla les notables, prévoyait-il la chute de la Bastille ?... Quel est donc le mortel auquel il est donné de pouvoir lire dans l’avenir, et marquer à la révolution le temps et le pays où elle doit s’arrêter ? Les volcans sont préparés partout ; encore une fois il ne faut que l’étincelle pour l’explosion universelle. Ce n’est pas au patriotisme à en craindre les suites ; elle ne menace que les trônes.
Les cours de l’Europe ne voient que trop bien les suites de la révolution française ; elles voient bien que les rois sont mûrs, et leur politique doit être de retarder le moment où le fruit doit tomber. Or la guerre accélérerait ce moment ; ils doivent donc l’éviter.
Mais en même temps qu’ils sont forcés de l’éviter, ils doivent affecter de ne pas la craindre ; ils doivent affecter des hauteurs avec la France, chercher à tracasser, semer la discorde dans son sein, l’épouvanter au dehors par des ligues impossibles à réaliser ; et ils savent bien cette impossibilité ; mais qu’importe ? S’ils ont excité la terreur, ils auront réussi ; leur espoir a été déçu.
Cette manœuvre a été sans succès, et pourquoi ? Parce que les rois ont mal jugé la France et l’esprit de la liberté. Ils ont cru, d’après des journaux aristocratiques (et ils ne lisent que ceux-là), d’après les récits mensongers de vils flatteurs, que la France était sans soldats, sans argent, sans moyens, et ils l’ont insultée avec éclat ; ils ont cru que la France était dirigée par une poignée de factieux, et cette poignée est composée de 25 millions d’hommes ; ils ont cru que l’amour de la liberté n’était qu’un vain mot, qu’il céderait à la crainte, et ils ont insulté à cet esprit de liberté.
Repoussés avec fermeté, les voilà forcés de rétrograder, forcés de rendre hommage à votre indépendance, d’obéir à vos réquisitions. Que voyez-vous dans cette conduite ? Ineptie et châtiment à côté de l’insolence ; fermeté et succès à côté de la justice.
Je vous l’ai déjà dit, messieurs, qu’importe à une grande nation les petits calculs de quelques individus ? que lui importe de savoir ce qu’ils veulent ou ne veulent pas ; de connaître tous les fils des intrigues qui agitent leurs cabinets, toutes les passions des scélérats ou des femmes corrompues qui les dirigent ? Une grande nation ne doit avoir sous les yeux que deux grands objets, les principes et la force.
Cependant je dois résoudre une objection qui m’a été faite.
Si les cours de France et de Vienne, m’a-t-on dit, ne veulent pas la guerre à présent, c’est qu’elles ne sont pas préparées ; elle ne la veulent que pour le printemps. - J’y consens ; mais qu’en conclure ? Qu’il faut la faire à présent. Nous sommes sûrs du succès, en attaquant les premiers ; tous les avantages nous attendent sur le terrain ennemi ; tous les désastres nous suivrons dans nos foyers : aussi, messieurs, tout ce qu’on peut dire sur cette question, peut se réduire à ce triple point de vue : - ou l’empereur veut la guerre, ou il ne la veut qu’au printemps, ou il ne la veut pas du tout.
S’il la veut, il faut le prévenir ; s’il ne la veut qu’au printemps prochain, il faut encore se hâter de le prévenir ; s’il ne la veut pas du tout, il faut le forcer, en la lui déclarant, à nous donner toutes les satisfactions qui peuvent dissiper nos inquiétudes, et nous mettre à portée de terminer cette guerre de préparatifs. Donc, dans tous les cas, la guerre est nécessaire.
On voit maintenant que nous ne sommes pas libres de vouloir ou de ne pas vouloir la guerre. Elle n’est pas offensive de notre part, car nous sommes attaqués ; notre sûreté est en danger, si la ligue se réalise ; et si elle ne se réalise pas, elle nous cause des inquiétudes dispendieuses.
On a prétendu qu’il valait mieux avoir cette guerre au dedans de la France qu’au dehors. C’est dire qu’il vaut mieux avoir chez soi le feu, la peste, et tous les maux possibles, que de les prévenir, et de les repousser chez ses ennemis ; c’est oublier ce qu’on doit à ses concitoyens des frontières, sur la tête desquels on appelle toutes les calamités.
On a dit qu’on voulait bien la guerre, mais la guerre du peuple, et non pas la guerre des armées soldées.
Cette idée est grande, mais est-elle exécutable, est-elle salutaire au peuple ? C’est dire qu’on veut arracher tout le peuple à ses foyers, à ses affaires ; c’est dire qu’on a partout des moyens pour l’alimenter et l’armer ; c’est dire qu’on a besoin de cette croisade innombrable de millions d’hommes pour repousser quelques milliers d’hommes ; c’est dire qu’avec une foule d’hommes courageux, mais qui n’ont pas l’habitude des armes, qui n’ont pas de chefs expérimentés, on est plus sûr du succès qu’avec des troupes disciplinées, armées, habituées à la fatigue ; c’est en un mot, envoyer le peuple à la boucherie... J’ai, comme tout autre, admiré l’apostrophe de M. Robespierre ; mais je lui dirai, d’après lui-même, que le destin des empires ne se règle pas d’après des figures de rhétorique.
Le pouvoir exécutif, chargé de diriger la guerre, épouvante : on voudrait la voir hors de ses mains...
Certes, les craintes qu’on a du pouvoir exécutif sont en général bien fondées ; elles tiennent à sa nature, à sa formation. Le peuple n’a point de prise sur le ministère, et c’est un vrai crime dans ceux qui ont révisé la constitution d’avoir ôté au peuple son influence à cet égard ; ils ont, dans cette partie, semé l’anarchie, semé les défiances.
Cependant cette constitution est jurée, il faut lui obéir : elle met dans la main du roi la direction de l’armée ; elle doit y rester, mais en la surveillant, mais en éclairant tous ses faits.
Il faut donc que l’armée soit organisée suivant les décrets, se conforme à la discipline décrétée, obéisse aux généraux nommés par le roi. Il faut, ou marcher ainsi, ou briser la constitution.
On a dit et répété que la guerre mettrait dans la main du pouvoir exécutif de grandes forces, qu’il pourrait en abuser.
Et j’ai déjà répondu qu’on insultait à nos soldats, à nos volontaires nationaux. J’ai répondu que la cour pourrait séduire quelques généraux, quelques officiers, mais qu’elle ne séduirait pas les soldats, nos gardes nationales. J’ai cité Bouillé, désertant seul, Arnold, désertant seul...
J’ai dit que les grandes trahisons étaient désormais impossibles, et j’aime à croire que les terreurs de M. Robespierre seraient désavouées dans nos camps.
On a dit qu’on voulait cantonner et camper les soldats pour les ramener plus facilement à l’idolâtrie pour le chef suprême de l’armée...
Et ces camps sont formés depuis longtemps, et cette idolâtrie ne se manifeste point, et ceux qui ont visité les camps savent que le soldat aime la liberté, la révolution par dessus tout.
Et ceux qui connaissent l’effet rapide des progrès de la raison, l’influence des papiers et de l’opinion publique qui s’éclaire chaque jour, voient que cette idolâtrie pour un homme touche bientôt à son terme.
On nous a dit qu’il valait mieux, au lieu de s’occuper de guerre, remettre l’ordre dans l’intérieur, éclairer les finances, etc., etc. Et tous ces lieux communs étaient et sont toujours aujourd’hui prêché par le ministère. Il nous a aussi observé avant-hier, que la guerre la plus heureuse entraînait les plus grandes calamités.
Il est très singulier de voir aujourd’hui M. Robespierre, marchant sur la même ligne que le ministre, soutenir cependant qu’il est en sens inverse, et prétendre que ceux-là seuls le soutiennent qui le combattent.
Comme M. de Lessart, il nous dit : “que répondrez-vous au pouvoir exécutif quand il vous dira, quand il vous prouvera, par des actes authentiques, que les princes ont dissipé les rassemblements ? Quel prétexte légitime vous reste-t-il pour faire la guerre ?” [Voyez le Discours de M. Robespierre, page 52]
Certes, nous n’accuserons pas, malgré ces rapprochements, M. Robespierre d’être de concert avec le ministère ; mais qu’il veuille bien croire au moins que ce concert n’existe pas entre ce ministre et ceux qui le combattent ouvertement, qui dénoncent avec vigueur les vices et les abus de son administration.
Cette idée me ramène à quelques insinuations sur la pureté de mes intentions, qui déparent les discours de M. Robespierre. Elles lui sont étrangères, j’aime à le croire ; car je l’ai vu, j’ai connu son âme, et la méchanceté n’en approcha jamais. S’il existe des poisons déguisés dans ses discours, je ne les attribuerai qu’aux suggestions d’hommes contre lesquels il n’est pas assez armé de défiance.
M. Robespierre, se flatte de pouvoir prononcer avec liberté sur les ministres, parce qu’il ne spécule ni pour lui, ni pour ses amis. [P. 8]
Et moi aussi, je puis prononcer librement ; car non seulement je ne spécule point sur le ministère, mais j’ai renoncé à toute espèce de commerce avec les hommes que j’avais connus avant leur élévation au ministère. Si au milieu des confidences de l’amitié, j’ai pu quelquefois laisser entrevoir le vœu que je formais de voir élever au ministère des patriotes éclairés, ce vœu est-il donc un crime si grand, qu’il fallût violer les épanchements de l’amitié, et le dénoncer avec éclat ? Devons-nous donc être condamnés à n’avoir jamais que des ministres ignorants ou corrompus ? Veut-on donc condamner le gouvernement à une inaction éternelle, et le peuple français à sa ruine ? Car tel est le point où nous mènent ceux qui ne veulent pas voir élever des patriotes au ministère. Quoi ! Si la cour balançait entre un Jacobin et un modéré, ce serait un crime que de désirer de voir pencher la balance pour notre frère, et surtout pour un homme qui a rendu les plus grands services à la cause de la liberté !
Un patriote élevé au ministère, ou soutient la cause du peuple, ou la trahit ; s’il la soutient, il contribue à la prospérité publique ; s’il la trahit, l’opinion publique n’est-elle pas là pour le dénoncer ?
M. Robespierre me reproche encore d’avoir expédié des brevets de patriotisme [p. 8] à deux ministres. Il m’a mal lu ; j’ai dit qu’un ministère plébéien devait se combiner avec les patriotes pour écraser les aristocrates, et avec les modérés, pour écraser les patriotes. Quel brevet de patriotisme ! Partant de cette supposition, il s’écrie : comme les routes du patriotisme sont devenues, pour M. Brissot, douces et riantes !... [P. 13]
Libelles, menaces, poignards, et ce qui est plus douloureux encore, attaques obliques de l’amitié surprise, voilà les fleurs qui ornent la route que je parcours...
L’insinuation est l’arme des méchants ; elle ne convient donc point à un patriote. Si j’ai dévié des principes, si je suis coupable, que M. Robespierre articule un fait positif ; je l’en somme, lui et tous ceux qui m’entendent...
J’ai ma conscience pour moi ; elle seule m’a soutenu dans tous les combats que j’essuie depuis quelque temps ; mais je l’avoue, cette consolation m’abandonne, en me voyant, non pas ouvertement déchiré, mais effleuré avec un air de mystère, par un homme qui a droit à l’estime publique. Il ne cesse depuis quelque temps de vous annoncer la révélation de grandes conspirations... Qu’il ose enfin soulever le voile ; qu’il éclaire de grands jours ces noirs complots ; qu’il ose dire si j’y trempe, me voilà prêt à répondre ; qu’il cesse enfin de faire errer le glaive des dénonciations sur un homme qui, comme lui, a droit de se dire : integer vitae scelerisque purus.
Oui, messieurs, cette tête est comme la sienne l’exécration des partisans de la tyrannie ; elle doit tomber avec la liberté, car les tyrans ne pardonnent point aux hommes à principes, parce que ces hommes sont invariable...
Mais je rougis de me traîner si longtemps sur des dénonciations.
Cependant je dois dire un mot du crime capital qui me paraît avoir le plus violemment excité la haine de mes adversaires ; c’est de ne pas déchirer chaque jour et le roi et ses ministres, et les généraux, et surtout M. Lafayette...
Messieurs, la dénonciation m’a toujours paru une arme trop précieuse pour la prostituer à chaque minute. Les sauveurs des ministres sont précisément leurs éternels dénonciateurs, ou ceux qui les dénoncent sans preuves.
Faits importants, preuves irrésistibles, voilà ce que j’ai toujours cru essentiel de réunir en dénonçant les ministres. Depuis mon entrée à la législature, j’ai prononcé huit discours ; qu’on m’en cite un seul où je n’aie pas énergiquement démasqué les intrigues, les abus, les divers ministres ! A-t-on depuis détruit un seul fait ? Qu’on lise ma dénonciation sur les colonies ; et les colons et leurs protecteurs les ministres ont-ils osé répliquer ?
C’est ainsi, messieurs, qu’on honore, qu’on rend utiles les dénonciations. Ah ! défions-nous de ces hommes emportés, qui ne parlent que de poignards, de sang, de gibets, et pour les moindres fautes : ceux-là décrient et desservent le peuple, et fortifient la cause des ministres...
Voulez-vous connaître les signes auxquels on doit distinguer, parmi ces déclamateurs, les vrais amis du peuple de ses ennemis ?... De l’énergie, et point de fureur ; de la surveillance, et point de calomnie ; des faits, et point d’hypothèse ; des preuves, et non des soupçons ; du caractère surtout, c’est-à-dire une forte persévérance dans un parti dicté par la raison seule ; et ce mot vous apprendra à vous défier de ces hommes qui parcourent rapidement les extrêmes, brisent les statues qu’ils ont élevées, déchirent aujourd’hui ce qu’ils ont encensé la veille. Le vrai patriotisme n’a point cette légèreté ni ces inconséquences.
C’est d’après ces principes que j’ai dirigé ma conduite à l’égard de M. Lafayette... Je le voyais une fois tous les mois avant la Saint-Barthélémy du 17 juillet ; je le voyais, et c’était pour soutenir en lui quelques souffles de la liberté, et c’était pour l’empêcher de se livrer aux séductions d’hommes qui avaient juré notre ruine. Le ciel m’est témoin que jamais je n’eus d’autres intentions ; que jamais aucune vue intéressée ne flétrit mes démarches. Je l’ai vu surtout au moment où un événement inespéré pouvait imprimer à la constitution française un grand caractère qui lui manquait, le seul qui en aurait corrigé tous les défauts. Je croyais Lafayette assez grand pour s’élever à la hauteur de sa destinée, et assez fort pour nous élever à la nôtre. Il me le promit, il me trompa. J’ai rompu publiquement avec lui, et depuis je ne l’ai pas revu.
Lorsque quelque acte public l’a ramené au tribunal de l’opinion publique, je l’ai traité avec la justice qu’on doit à tout étranger ; il l’était, il le sera toujours pour moi. Depuis, il s’est retiré dans la solitude ; pourquoi aurais-je eu l’inhumanité de l’y poursuivre, le persécuter, alors qu’il n’était plus qu’un homme privé ? Il en sort, il est nommé ; je ne fais qu’un vœu, c’est pour qu’il efface, par une conduite patriotique les taches qui ensanglantent sa vie politique. Est-ce donc là un vœu criminel ? Il est vrai, j’avoue cette faute, je n’ai point envoyé dans son camp des brochures contre lui, je n’arme point ses soldats de poignards contre lui, je ne les excite point à la désobéissance. Les soldats sont nos frères, sont patriotes ; reposons-nous sur eux. Si Lafayette est traître, il sera bientôt démasqué et puni ; s’il sert bien sa patrie, n’est-ce pas un crime national que d’exciter ses soldats à lui désobéir ?
En voilà sans doute assez, messieurs, pour vous éclairer sur ma conduite et sur mes démarches, sur les principes qui me dirigent. Ce ne sont point des mots, ce sont des faits, écrits partout, répétés dans tous mes écrits, et dans ma conduite depuis quatre ans...
Si je me suis trompé dans la question de la guerre, c’est au moins dans la droiture de mon âme ; j’aurai alors payé un tribut à la fragilité humaine ; mais je déclare qu’avant d’exposer mon opinion, j’ai pris toute la précaution pour me garantir de l’erreur. J’ai étudié les meilleurs ouvrages, suivi les événements avec constance... et je me rassure en voyant que les hommes les plus célèbres, que les meilleurs patriotes partagent mon opinion. Si M. Robespierre ne tremble pas d’être presque seul dans la sienne, comment serais-je timide en m’appuyant sur des colonnes aussi bien éprouvées ?
Les événements arrivent à mon secours, les électeurs ont plié ; l’empereur pliera, j’ose le prédire ; donc on aura bien fait de déployer une grande force pour le soumettre à reconnaître nos droits, et pour ôter cet appui aux mécontents.
L’empereur pliera, et nous soumettrons de même tous ces vains potentats qui ont osé nous braver parce que nous étions désunis ; et alors la prospérité accompagnant la paix, nous portera à ce degré d’élévation où tout peuple libre doit arriver infailliblement.
Maintenant, messieurs, je me suis expliqué, mon âme est satisfaite ; elle ne conserve ni haine, ni même de ressentiment. Je n’ai pu persévérer à haïr même les scélérats qui m’ont le plus déchiré ; comment haïrai-je un patriote que j’estime, qui n’est qu’égaré par des impulsions étrangères, et qui, j’aime à le croire, va s’empresser de terminer un combat scandaleux, et funeste à la cause de la liberté.
Vogesus- Maire
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