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"Brissot le belliciste" par André Guès (février 1981)

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"Brissot le belliciste" par André Guès (février 1981) Empty "Brissot le belliciste" par André Guès (février 1981)

Message  Vogesus Sam 10 Juil 2010 - 22:11

GUES André “Brissot le belliciste” in Écrits de Paris février 1981 n° 470.

Écrits de Paris, sous-titré « Revue des questions actuelles » (Paris, Société parisienne d’édition et de publication, 1947-1951), est un périodique français d’extrême droite fondé par René Malliavin et succédant au mensuel Questions actuelles créé par le même Malliavin en 1944.

[Je ne partage absolument pas ce point de vue, mais il est toujours intéressant de lire d'autres visions, aussi erronée soit -elles.]


Brissot eut ses heures de gloire lorsque, président du Comité des Relations extérieures (Commission des Affaires étrangères) de la Législative et de la Convention, ministre de fait en raison des mœurs parlementaires de l’époque, il conduisit dans sa presse, au Club et à l’Assemblée, sous les acclamations, la propagande pour la guerre pendant l’hiver 92-93 [sic], fit déclarer la guerre à l’Autriche le 20 avril, au Piémont un peu avant Valmy, à l’Angleterre, à la Hollande et à l’Espagne au début de 93. Mais dès l’automne 92, la Montagne conduite par Robespierre avait créé le qualificatif de brissotin qui devait le faire mourir. Il est vrai que, dans sa propagande belliciste au temps de la Législative, il s’était heurté à l’opposition du futur dictateur qu’à cette occasion il avait accusé de faire partie du Comité autrichien manié par la Cour : ce sont des choses que Robespierre ne pardonnait pas.

J’ai relaté dans la revue (juillet-août 1974) comment Brissot, pacifiste par principe philosophique, était devenu belliqueux par opportunisme politique, ce qui n’est pas fait pour le distinguer des autres pacifistes qui ne font jamais que choisir leur guerre. Mais, vu l’importance que le personnage eut pendant plus d’une année dans la Révolution, il est utile de compléter ce portrait.

Brissot était un raté de la société, même de la nature - une taille de nabot -, un raté suffisant, comme il arrive souvent, et un malhonnête homme, ce qui ne le distinguera pas davantage de maint autre jacobin. Comme Fabre d’Eglantine, Poultier d’Elmotte, Boursault Malherbe et Thomas Payne, conventionnels, Hébert et Chaumette, procureur et substitut de la Commune de Paris, Pépin-Desgrouettes - qui fut membre du tribunal criminel de Paris et fini “mouton” de police à Saint-Lazare - le journaliste Linguet, Châlier et Lacombe, grands hommes des jacobinières de Lyon et Bordeaux, tous ratés de la catégorie des gyrovagues allant d’un métier à un autre sans pouvoir se fixer, Brissot erre sans qu’on puisse suivre son curriculum vitae. Il faut être bref et se contenter de quelques coups d’éclairage.

Comme beaucoup de ratés, il est prétentieux : à Londres, il crée par contrat passé le 16 septembre 1783 un “Lycée”, c’est-à-dire un club qui devait entretenir une correspondance internationale contribuant à établir “une confédération universelle des Amis de la Vérité et de la Liberté”, prétention maçonnique, et publier un journal : Tableau des Sciences et des Arts en Angleterre. Pour lancer l’entreprise, il a reçu 13 355 livres de son associé Desforges. L’année d’après, le Lycée n’a pas été créé, le journal n’a pas paru, les fonds n’ont pas été remboursés et il est en prison pour dettes. Autre prétention, ce fils d’aubergiste s'anoblit à peu de frais en ajoutant à son nom celui de Ouarville, village d’Eure-et-Loir, anglicisé en de Warville suivant le snobisme anglomane de l’époque. La compagnie des avocats de Reims ne s’en impressionne pas et refuse son admission.

De son séjour à Londres, il a gardé quelques relations avec l’officine d’où sortaient des pamphlets à prétentions littéraires et d’une nature bien particulière, contre Marie-Antoinette : il en distribue en France, qui sont peut-être de sa plume, qu’il a facile, et est embastillé deux mois. A sa sortie, il est heureux de trouver, coïncidence, un petit emploi à la chancellerie d’Orléans. Au mois d’août 87, il est obligé de s’enfuir à Londres à cause d’un mystérieux complot fomenté au Palais Royal. Mais à la fin de cette année-là, il s’est lancé dans la politique internationale avec des hommes qui ont une autre surface que lui : Clavière, Bergasse et Saint-John Crèvecoeur, ce qui lui vaudra de devenir le spécialiste de la politique étrangère de deux Assemblées. Il fonde avec eux la Société gallo-américaine pour faciliter les échanges entre les deux pays et y augmenter le bien-être. Il publie alors avec Clavière un bouquin de 416 pages : De la France et des Etats-Unis.

Dès la seconde séance de la Gallo-américaine, Clavière fait observer qu’il est suisse et ne saurait donc y demeurer, et qu’en outre il serait absurde qu’en y participant il parût être “en quelque sorte au service” d’un gouvernement à qui il n’a nulle obligation. Entendez que le gouvernement surveille les affaires interlopes du banquier international. Qu’à cela ne tienne, sans changer son nom, la société décide d’étendre ses activités au monde entier. Voilà Brissot dans la politique mondiale. Les scrupules du “patriote” et futur ministre des Contributions de la Républiqye Clavière sont apaisés et il utilise la société en vue de réaliser des affaires avec les États-Unis où il envoie Brissot en juillet 88 faire ce qu’on appellerait aujourd’hui une enquête de “marketing”. Il ne reste que la haine du banquier suisse contre le gouvernement français, acceptée par ses collègues “patriotes”.
A cette même séance, décidément instructive, Brissot lit une lettre de son ami le quaker Philips qu’il a sollicité d’entrer dans la société, nonobstant ses statuts : “Je dois te prévenir que je suis trop anglais pour sacrifier l’intérêt de mon pays à l’amitié, et en conséquence n’entreprendrai rien qui puisse tendre à diminuer et notre commerce et nos manufactures, ou, ce qui est la même chose, à étendre les vôtres. Il est de notre devoir d’agir comme de fidèles serviteurs de nos gouvernements respectifs.” Et la société de rendre alors hommage à des “scrupules” patriotiques qui ne sont pas ceux de ces “patriotes”.

***

C’est Brissot qui dressera la liste des étrangers que la Législative en fin de carrière a décidé d’honorer de la citoyenneté française, ès qualités de président du Comité ad hoc et en toute connaissance acquise dans ses voyages et ses activités à la Gallo-américaine. A Chauvelin qui lui apporte la lettre de Roland lui annonçant l’honneur dont il est l’objet, Bentham répond qu’il veut bien devenir citoyen français à Paris sous condition de rester citoyen anglais à Londres, et républicain en France sous réserve de demeurer royaliste en Angleterre. Réponse ironique et polie mais en fait Bentham est rien moins que favorable aux “idées nouvelles” : il héberge chez lui nombre d’émigrés si bien que sa maison est devenue une sorte d’hôpital et il écrit même à un ami que si les Français savaient ce qu’il pense de leur fameuse Déclaration des droits, il n’y aurait personne au monde à être plus mal reçu que lui en France.

Une autre caractéristique de Brissot est la virulence de son anticatholicisme qui n’étonnera pas chez un “patriote” si délibéré et bientôt jacobin. Dix ans avant la Révolution il écrivait : “Je vois que les prêtres infectent l’esprit de mon père ; dès à présent je dévoue ma plume à cette race maudite qui fait le malheur de ma vie”, ses déficiences personnelles n’y étant pour rien. Pour que, suivant la thèse officielle, sorbonnarde et scolaire, la Révolution n’ait pas été anticatholique dès ses débuts, il a fallu que Brissot et ses nombreux émules en anticatholicisme aient été touchés par la Grâce en franchissant le seuil du Club des Jacobins.

Pendant l’hiver 91-92, il mène à la Législative, au Club et dans son journal Le Patriote français la propagande pour la guerre : d’abord sous le prétexte d’intrigues d’émigrés impuissants prétendument soutenus par l’Autriche et de l’affaire des sujets de l’Empire “possessionnés en Alsace” que la Nuit du 4 août a privé de leurs droits féodaux, puis dans l’intention avouée de révolutionner l’Europe. En fait, il l’avouera après le 10 août, il est à la tête du complot girondin pour faire tomber la Monarchie sous le bénéfice de défaites attendues “qui pussent se réparer” et de mesures drastiques que l’état de paix ne permettrait pas de prendre : “c’est l’abolition de la royauté que j’avais en vue en faisant déclarer la guerre.”

Mais aussitôt la guerre déclarée, stupéfait comme toute la jacobinière de voir jouer l’alliance défensive austro-prussienne, affolé sans doute par la gravité des premiers échecs militaires, il montre son désarroi par ses conceptions de la conduite à tenir vis-àvis de l’Angleterre dont la politique lui échappe totalement. Elle est pourtant claire : la marine française est ruinée, le “pacte de famille” rompu qui assurait à la France la suprématie navale en Méditerranée, les colonies se révoltent, l’émigration, l’inflation, la crise de confiance et le désordre ont arrêté le commerce, la France est sans alliance et court à sa ruine. Pour Pitt, la neutralité dans le conflit qui vient de se déclarer offre à son pays, gratuitement, les avantages qu’aurait une guerre victorieuse contre la France. Cette évidence échappe tellement à Brissot qu’il suggère au Comité diplomatique d’offrir Calais et Dunkerque à l’Angleterre pour prix d’une neutralité qui est dans les intentions de Londres. L’ambassadeur des Etats-Unis le rapporte à son gouvernement et ajoute : “Vous jugerez par ce specimen de la sagesse et de la vertu de la faction à laquelle il appartient.”

C’est alors que Talleyrand fait ses premiers pas dans la diplomatie, envoyé à Londres sous le couvert de Chauvelin, ambassadeur en titre, car la loi interdit à l’ancien constituant tout emploi pendant deux ans. Le 25 mai, Talleyrand obtient du gouvernement anglais une déclaration de neutralité pour laquelle il n’a pas eu besoin de ce que le Comité brissotin l’a finalement autorisé à offrir : Tabago, l’Ile-de-France, l’Ile Bourbon et le démantèlement du port de guerre de Cherbourg. Pitt garantit que l’Angleterre restera neutre si la France borne ses ambitions aux provinces méridionales de la Belgique.

Les victoires de l’automne 92 soulagent Brissot au point qu’il change complètement d’optique : il pousse la République à d’autres guerres pour éterniser le conflit. Pas de paix, car les soldats en revenant pourraient “nous couper la gorge” (Roland, Clavière). La Gironde est maintenant dans la crainte du général victorieux qui hantait Robespierre dans son opposition à la guerre. Brissot écrit : “Nous ne pourrons être tranquilles que quand l’Europe, toute l’Europe sera en feu.”

***

Comme tout homme politique, Brissot doit être étudié dans ses lettres privées ou semi-officielles. Le 26 novembre, il écrit à l’ancien ministre Servan, commandant en chef sur les Pyrénées : “la cour d’Espagne est dans le dernier embarras et ne demande pas mieux que de reconnaître la République française ; elle a d’ailleurs suspendu ses préparatifs (de guerre).” Mais “ces faits et ces idées ne m’ont point fait changer d’opinion” qui est “point de paix avec les Bourbons, et dès lors il faut songer à l’expédition d’Espagne. Je ne cesse de la prêcher aux ministres.” La méthode intellectuelle du spécialiste girondin de la politique extérieure s’autorise de Rousseau : “Ecartons les faits.” Mais ne pas tenir compte des faits n’a jamais passé pour une manifestation d’untelligence, particulièrement en politique.

Quoique l’Espagne se montre bien disposée envers la République, il faut donc lui faire la guerre. Cette guerre comprendra l’organisation d’un soulèvement de ses colonies d’Amérique centrale et méridionale et des Antilles, ce pourquoi il n’est que d’expédier l’aventurier vénézuélien Miranda commander à Saint-Domingue pour y préparer une descente sur le continent. L’opération demande évidemment la maîtrise de la mer des Antilles au moins, et la France est loin de l’avoir puisque le gouvernement va décider d’abandonner ses colonies antillaises à l’Angleterre, sauf Saint-Domingue où il entretient quelques forces (Procès-verbal du Comité de défense générale du 31 janvier 93). Mais Brissot ne soulève pas la question, il ne s’occupe que d’envoyer le Vénézuélien sur le théâtre d’opérations.

Miranda servant sous Dumouriez, il écrit à celui-ci le 28 novembre pour qu’il consente à se priver de ses services : Clavière, Pétion, Gensonné, Monge et “le ministère” sont d’accord sur le projet et pour en confier l’exécution à Miranda. “Ah ! mon cher, qu’est-ce qu’Albéroni, Richelieu qu’on a tant vantés ? Qu’est-ce que leurs projets mesquins, comparés à ces soulèvements du globe ?” L’aventurier a plus de réalisme que le spécialiste de la politique mondiale et lui répond le 19 décembre sans montrer d’empressement pour l’aventure. Son seul départ pour Saint-Domingue “serait le signal d’alarme pour la cour de Madrid et pour celle de Saint-James”, c’est-à-dire s’il en est connu, et “les effets s’en feraient bientôt apercevoir à Cadix et à Portsmouth, ce qui mettrait de nouveaux obstacles à l’entreprise.” Le fantassin pense à la mer où Brissot ne voit pas d’obstacle.

Il écrit encore le 28 novembre : “Ne nous occupons plus de ces projets d’alliance de la Prusse, de l’Angleterre : misérables échafaudages, tout cela doit disparaître. Novus rerum nascitur ordo.” Un nouvel ordre des choses dont la France seule doit faire les frais avec le sang des Français en âge de porter les armes. En ce qui concerne l’Angleterre, Brissot fait allusion à des tractations menées à Londres après le 10 août par Danton et Lebrun-Tondu. En ce qui concerne la Prusse, il s’agit des émissaires de la Convention et des ministres, du commandant en chef et des généraux qui ont fait après Valmy les offres de paix les plus précises au Prussien qui a fait mine d’accepter pour tirer son armée du guêpier où il l’avait mise (cf. Écrits de Paris, décembre 1979). En somme, depuis le début de 1792 jusqu’à l’automne, les Jacobins boutefeux ont eu souci de détacher la Prusse de l’alliance autrichienne et d’obtenir sinon l’alliance anglaise, du moins la neutralité de l’Angleterre. Certains rêvaient d’une bonne alliance protestante de la Prusse, la Hollande et l’Angleterre avec la France. Tous objectifs définis par la louable idée que leur pays ne doit pas être isolé dans la guerre, idée qu’il est, par conséquent, juste de porter au crédit dans le dossier de moralité des Jacobins, s’il est impossible de la mettre dans celui de leur intelligence politique et de leur connaissance de l’état de l’Europe.

Mais maintenant c’en est fini de “tout cela”. Déjà à la guerre contre l’Autriche et la Prusse s’est ajoutée le 7 septembre celle contre le Piémont. Un quatrième adversaire n’a été évité que par la soumission de Genève contre qui Clavière, le ministre des Contributions qui en connaissait bien les ressources, étant banquier et genevois, avait fait ordonner une expédition motaire. Reybaz est passé de la position de “martyr de la liberté” et nègre de Mirabeau à celle de chargé d’affaires de la nouvelle République à Paris. Dans quelques semaines, les vues de Brissot auront prévalu et la République va déclarer la guerre à l’Angleterre, la Hollande et l’Espagne. Les vues de Brissot, c’est beaucoup dire. Car s’il veut révolutionner “le globe”, il se refuse à envisager ce que deviendront dans l’aventure les voisins de son pays : “Il faut que (la vielle constitution germanique) meure, écrit-il à Dumouriez, elle est à l’agonie et il vous est réservé de l’achever. Quel sera ensuite le sort de cette partie de l’Europe ? Que deviendront les Cercles ? Avec les pamphlets allemands et vos baïonnettes, tout s’arrangera.” Voilà quelles sont les vues profondes, réalistes, lointaines et bien combinées du “patriote” Brissot, spécialiste des affaires étrangères à la Législative, à la Convention, au Club et dans le parti girondin. Pour connaître les Jacobins, il est préférable de les étudier dans leurs propres textes qu’à travers nos professeurs d’histoire.
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"Brissot le belliciste" par André Guès (février 1981) Empty Re: "Brissot le belliciste" par André Guès (février 1981)

Message  Bart Dim 11 Juil 2010 - 16:48

Pour ce qui concerne les accusations de malversations contre Brissot avant 1789, il semblerait que les pièces à charges contre lui ne sont pas fondées. J'avais écrit une note perso sur ce point ici : https://lagironde.forumactif.com/notices-biographiques-autres-articles-f4/note-perso-sur-brissot-t97.htm

Pour le reste j'y reviendrai plus tard.
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