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Anne de Mathan-les Girondins et la représentation nationale

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Anne de Mathan-les Girondins et la représentation nationale Empty Anne de Mathan-les Girondins et la représentation nationale

Message  Bart Jeu 3 Mar 2011 - 18:03

Une analyse trés pertinente sur la politique girondine & la représentation nationale - Anne de Mathan - Maître de conférences à l'Université de Bretagne occidentale.


Vaincus par les Montagnards, écrasés par la Terreur et longtemps stigmatisés par l’historiographie, les Girondins sont marqués par des clichés historiographiques dans l’imagerie politique contemporaine telle qu’elle s’exprime parfois encore sous la plume des journalistes ou à la tribune de l’Assemblée nationale. Fédéralistes, ils auraient souhaité ménager les pouvoirs locaux afin de promouvoir un système plus décentralisé que celui qu’imposent les Jacobins en l’an II. Ces notations relèvent de l’instrumentalisation d’une prétendue référence historique, tendue vers la légitimation d’objectifs politiques contemporains, loin des idéaux et des réalités de la Révolution Française. Sans instaurer un tribunal de l’histoire dévolu à la révision du procès des Girondins, la déconstruction de ces mythes qui ont la vie dure doit empêcher ces contresens. L’exploration des stratégies politiques des Girondins indique, en effet, la complexité de leur rapport avec la souveraineté et la représentation nationales. Leurs discours expriment la nature profonde de leur antagonisme face aux Montagnards. Les révoltes « fédéralistes » en réaction à leur arrestation confirment l’ambiguïté d’une conception à géométrie variable de la centralité législative.

Le groupe de la Gironde prend corps sous la Législative, sous des dénominations peu flatteuses qui disent l’importance des affinités personnelles dans la constitution de cette identité politique. Brissotins, Rolandins, et autres Buzotins se retrouvent contre Robespierre aux Jacobins, dans le débat sur l’opportunité d’une guerre contre l’Autriche, la question du sort à réserver au « tyran n° 16 », et le choix de la politique à mener dans la crise du printemps 1793, suscitant des revendications populaires autour la taxation des prix, la punition des agioteurs et des traîtres. L’échec des Girondins s’explique en partie par une stratégie de défense de la représentation nationale à géométrie variable.

L’élément qui provoque la scission entre Girondins et Montagnards est l’irruption des masses populaires sur la scène politique, à laquelle les Girondins contribuent eux-mêmes. Leur projet de remplacer la monarchie par la République conduit au déclenchement de la guerre contre l’Autriche, dont ils espèrent qu’elle permettra de démasquer les traîtres jusqu’au sommet de l’État. Le républicanisme des Girondins, dicté par de nobles considérations et le désir de revenir au Ministère, suscite la journée du 20 juin dont Taine considère qu’elle libère « le dogue révolutionnaire ». Leur calcul se vérifie : le manifeste de Brunswick prouve la solidarité du roi avec les monarques européens, mais exaspère le peuple de Paris et provoque la chute de la monarchie. La légalité constitutionnelle défendue par les Girondins se trouve dévaluée face à la légitimité révolutionnaire incarnée par les acteurs du 10 Août. Les Montagnards s’appuient alors sur Paris comme levier politique pour radicaliser la Révolution que les Girondins veulent terminer : Robespierre tente, dès septembre 1792, de se débarrasser des Girondins en les désignant à la vindicte populaire aux Jacobins pendant les massacres. Les Girondins luttent au contraire pour la défense de la loi contre l’activisme parisien en s’appuyant sur le peuple des départements qui pèse par son nombre, mais dont la faible mobilisation se révèle dérisoire face aux sans-culottes. Barbaroux réclame, mais en vain, la poursuite des massacreurs de septembre et leur jugement par la Convention dont il espère qu’elle requière des peines exemplaires contre les meneurs du mou-vement populaire. Il tente de restaurer l’influence des départements en y levant des forces vouées à la protection de l’Assemblée, mais forge, ce faisant, la fiction de l’anti-parisianisme girondin.

...


L’optimisme des Girondins face à la guerre, aimable croisade pour la libération des peuples, se mue en une profonde méfiance face au risque de l’extension du conflit contenu dans la décision du sort qu’il convient de réserver au roi. Confiants, un mois avant, dans la sagesse de l’Assemblée pour la punition des crimes de septembre, mais conscients de leur affaiblissement à la tribune, ils cherchent désormais à éviter l’extension de la puissance législative par l’appel au peuple : contournant pour l’occasion la représentation nationale par la souveraineté populaire, Vergniaud lutte contre le jugement du roi par l’Assemblée, où leur influence décline, en proposant un référendum qu’il espère clément. L’échec de cette stratégie ouvre le processus de l’élimination des Girondins. Le régicide soude l’Europe monarchique contre la France, et les Montagnards ont beau jeu de rendre les Girondins responsables de la crise multiforme qui s’ensuit.

La stratégie des Girondins pour préserver leur influence à la Convention confirme cette conception fluctuante de l’inviolabilité législative. Lors des premières pétitions parisiennes réclamant la tête des Girondins, la réaction de Vergniaud est claire : « L’exercice de la souveraineté est confié à la représentation nationale. Donc, ceux qui parlent d’insurrection veulent détruire la Convention nationale » (10 avril 1793). L’argument sera le même jusqu’au 2 juin : attenter à la personne des représentants, c’est attenter à la souveraineté populaire, provoquer la rupture du contrat social et tendre à l’anarchie. Pour autant, l’argument ne semble valoir que pour les Girondins, car ces derniers utilisent une institution dont ils ont déploré la création, le Tribunal révolutionnaire, pour tenter d’éliminer un député de la Montagne, Marat, dont ils obtiennent, quoique vainement, l’inculpation.

Les Montagnards, arguant des circonstances dramatiques, imposent la politique de salut public, où la suspension progressive de l’ordre constitutionnel et la mise en place de l’exception sont présentées comme les seuls moyens propres à sauver la République. Les Girondins résistent à cette radicalisation révolutionnaire, contraire à leurs convictions et dangereuse pour eux-mêmes, à telle enseigne que la cohésion idéologique du groupe se forge véritablement face à l’adversité.

L’idéologie girondine se caractérise par l’absolu primat des libertés individuelles et rejette la politique de salut public qui justifie, pour les Montagnards, la suspension des libertés individuelles au nom de la liberté de la nation. Le libéralisme girondin s’exprime en un étroit constitutionnalisme qui assigne à l’État l’unique fonction de protéger les droits de l’homme par le strict respect de la loi, auquel tous les citoyens concourent par leurs représentants. L’éducation des citoyens permet une participation politique éclairée excluant les extrêmes, un entier consentement à l’exercice de l’autorité publique, et l’inviolabilité des élus du peuple, dans le cadre d’une autonomie toute kantienne : la liberté signifie la capacité à se donner des lois et à s’y conformer, la souveraineté populaire s’exprime dans l’élection de la représentation nationale et le respect de son activité législative. Les Girondins surinvestissent la souveraineté nationale, au point que la représentation se trouve auréolée d’une dimension presque sacrée : l’Assemblée, « temple des lois », est inviolable car issue du vote de tous les citoyens français.

Les Girondins se montrent tout autant que les Montagnards attachés à la centralité législative. Le fédéralisme qui leur est imputé provient du « roman » ficelé par les Montagnards pour désigner leurs ennemis par une catégorie politique infamante et justifier leur élimination. Il repose sur la déformation de la posture girondine à l’égard de Paris : les Girondins ne détestent pas en Paris la capitale, siège des institutions centrales de la République, mais ils honnissent la grande ville en tant que « repaire des sans-culottes » qui exercent sur l’Assemblée une pression croissante en faveur des Montagnards.

La politique économique des Girondins se réduit à la réduction des inégalités socio-économiques les plus criantes par l’imposition, afin de garantir une certaine harmonie sociale et l’acceptation de l’ordre établi, tandis que les Montagnards s’attirent le soutien des sans-culottes par le vote, le 4 mai 1793, de la loi du maximum. Quand les Montagnards dénoncent les Girondins comme des fédéralistes, royalistes qui ont voulu sauver le roi et contre-révolutionnaires responsables d’une guerre désastreuse, les sans-culottes ne cessent d’interrompre les séances de la Convention par des huées réclamant l’arrestation des traîtres. Les Girondins protestent que la représentation nationale n’est plus libre, qu’elle délibère sous les poignards des assassins, mais ne peuvent inverser le processus. Les sans-culottes se lèvent, le 2 juin 1793, au son du tocsin et rejoignent aux Tuileries la garde nationale d’Hanriot : 80 000 hommes armés de piques, de baïonnettes et de canons, encerclent la Convention terrorisée et lui arrachent le décret d’arrestation de 32 Girondins. Au fil des actes d’accusation repris par l’historiographie, leurs portraits sont bientôt figés, en un contresens total, sous le verre déformant du fédéralisme.

...


Les discours des Girondins et de leurs partisans après le 2 juin, ainsi que leurs stratégies en faveur de la restauration de l’intégralité de la Convention renforcent l’accusation, quoique infondée du fédéralisme, et confèrent à la Gironde son image, partiellement circonstancielle, de championne de la représentation nationale.

Gensonné décrit ainsi à ses électeurs le 2 juin : « le mouvement prétendu révolutionnaire que cette faction prépare et exécute n’a pour objet que de dissoudre la Convention nationale et d’usurper ses pouvoirs, de les réunir et de les concentrer dans les mains d’un petit nombre d’individus soutenus et dirigés par une portion de souveraineté nationale subjuguée elle-même par la terreur ou complice de cette usurpation révoltante ». La réaction ne se fait guère attendre : le département de la Gironde convoque à ses côtés les administrations subalternes. Les magistrats, évoquant « les cris d’un peuple qui, voyant sa liberté compromise, se prépare à se ressaisir de ses droits, à employer la résistance à l’oppression contre une faction désorganisatrice dont les entreprises criminelles menacent d’envahir l’autorité suprême qui ne peut résider que dans les mains de la Nation entière ou de la majorité de ses délégués », s’érige, le 9 juin, en Commission populaire de Salut public qui assume provisoirement la souveraineté du peuple de la Gironde et « ne cessera ses fonctions après qu’elle aura, de concert avec les autres départements, mis la liberté hors de tout péril, en la rétablissant dans le sein de la Convention ». Le 11 juin, la Commission avertit la Convention de son insurrection : « Ne vous y trompez pas, citoyens législateurs, la France entière ne vous voit que tremblants sur vos sièges, rendant comme les statues des faux dieux les oracles qui vous sont dictés par des êtres imposteurs. Non, dans cet état d’abjection, la nation ne peut plus reconnaître ceux qu’elle avait cru doués d’assez d’énergie pour exprimer sa volonté. Ah ! si vous n’avez pas eu la force de mourir plutôt que de céder à l’oppression, ne combattez pas au moins les efforts des hommes courageux qui veulent vous en délivrer. Vous allez voir dans toute l’étendue de la République toutes les sections du peuple se ressaisir de leur portion de souveraineté, pour en confier l’exercice momentané à des mandataires qui en règlent l’usage, et la conservent comme un dépôt sacré qui devra être rétabli dans le centre commun de la représentation nationale, lorsqu’elle aura recouvré ses droits et sa dignité ».

La Commission populaire lève une force départementale pour marcher sur Paris. Les Montagnards utilisent ce fait pour renforcer à l’encontre des Girondins l’accusation d’anti-parisianisme et de fédéralisme, mais dénaturent les intentions des départements insurgés qui ne veulent pas détruire la Convention, mais la restaurer. Ainsi la Commission populaire tient aux Bordelais ce langage : « Non, citoyens, ce n’est point pour faire la guerre aux Parisiens, c’est pour les secourir que nous marchons sur Paris ; nous y allons, non pour dicter des lois, mais pour empêcher qu’on continue d’en dicter à vos représentants ; non pour en imposer par la terreur aux autorités légitimes, mais pour défendre la première de toutes les autorités ; nous y allons pour nous jeter dans les bras de nos frères, les aider à secouer le joug de leurs oppresseurs, et jurer avec eux l’unité et l’indivisibilité de la République » (30 juin 1793).

Mais sa crédibilité de championne de la représentation nationale est relativisée par son comportement à l’égard des représentants du peuple en mission, députés montagnards envoyés dans les départements pour y lutter contre les insurrections départementales. Les Bordelais se déclarent très hostiles à cette pratique : « L’illimitation des pouvoirs réside exclusivement et essentiellement dans la majorité de la Convention et cesse avec elle. Elle ne peut donc déléguer à quelques individus épars ce qu’elle possède en masse car elle n’est revêtue des pleins pouvoirs que lorsqu’elle est en majorité. […] Toute violation de ce principe amène nécessairement la dissolution de la Représentation nationale et, avec elle, la privation de tout gouvernement. » À leurs yeux, les agissements des Montagnards rompent le contrat social, et le droit de résistance à l’oppression légitime l’atteinte à l’inviolabilité de ces hommes, indignes du titre de représentants du peuple car complices du coup de force du 2 juin. Ainsi, la municipalité de Bordeaux arrête Ichon et Dartigoyete dans la nuit du 6 au 7 juin 1793, prétendant protéger leur sécurité, mais soucieuse en réalité d’intimider les émissaires de la Montagne qui quittent la ville en toute hâte. Lorsque l’insurrection bat son plein à Bordeaux, qui s’enivre du respect de la souveraineté et de la représentation nationales, il est plus délicat de malmener ouvertement les députés que la Convention lui envoie. Aussi Treilhard et Mathieu n’ont à déplorer qu’une surveillance rapprochée. Mais après l’échec de l’insurrection et la dissolution la Commission populaire le 2 août, Baudot et Ysabeau apprennent à leurs dépens que les braises couvent encore à Bordeaux où ils sont arrêtés et humiliés trois jours durant.

L’échec des Girondins s’explique sans doute par de mauvais choix stratégiques en faveur des départements contre les sans-culottes parisiens et des calculs politiques louvoyant qui nuisent à leur crédibilité. Champions de la représentation nationale, les Girondins et leurs partisans le sont certainement, mais quand cette posture sert leurs propres desseins : figer la Révolution dans ses acquis, détruire l’influence des sans-culottes et protéger le jeu légal des institutions, éviter le régicide et l’extension du conflit à toute l’Europe, défendre leurs têtes, voire menacer leurs ennemis. Ils ne sont pas d’inconséquentes girouettes, mais des hommes politiques pris dans un conflit mortel. Ni fédéralistes, ni contre-révolutionnaires, mais modérés et libéraux, ils rêvaient d’une République une et indivisible où chacun puisse jouir paisiblement de ses droits, mais ne répugnèrent pas à descendre dans l’arène de Convention, à s’y salir comme les autres députés par des tactiques inhérentes à tout combat politique, et à y perdre leur vie pour la défense des droits de l’homme contre la perspective de la Terreur.
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